Les théâtres clôturent leurs saisons et préparent la saison prochaine. Que ferons-nous cet été ? Pour les amoureux du théâtre, heureusement, il y a les festivals d’ici et d’ailleurs qui permettent de s’évader et de faire de jolies découvertes à ciel ouvert. L’heure est à la fête !
Les théâtres clôturent leurs saisons et préparent la saison prochaine. Que ferons-nous cet été ? Pour les amoureux du théâtre, heureusement, il y a les festivals d’ici et d’ailleurs qui permettent de s’évader et de faire de jolies découvertes à ciel ouvert. L’heure est à la fête !
Lumière sur quatre festivals, bien de chez nous.
Festival au carré/Mons 2015Du 28 juin au 11 juillet
Il paraît qu’un vent d’aventure…
Le virus de l’ imagination non reproductible. Les festivals TAZ et OEROL
Le festival d’Avignon et l’Edinburgh Festival Fringe sont les plus grands et les plus prestigieux festivals de théâtre européens. Ils ont valeur de référence. Hendrik Tratsaert, le nouveau rédacteur en chef de Septentrion, les a tous visités. Il nous présente dans cet article deux modèles alternatifs qui ont pris de l’ampleur au fil des années: en Belgique, TAZ dans la ville balnéaire d’Ostende et aux Pays-Bas, OEROL dans l’île frisonne de Terschelling. Il explique ce qui les rend uniques. * On dit souvent que chaque village flamand a son festival. Pour nombre de ces événements, l’important n’est pas forcément le prestige de l’affiche, mais l’expression d’une certaine identité. Ils rassemblent les gens autour d’un but commun. En se retroussant les manches pour organiser le festival, la population en devient une partie intégrante; elle le vit pleinement et se fond dans son atmosphère. Dans l’aire néerlandophone, on peut citer deux exemples marquants bâtis sur ces principes: Theater Aan Zee (TAZ - Théâtre-sur-mer) à Ostende, et OEROL dans l’île néerlandaise de Terschelling. TAZ et OEROL ont commencé modestement, se sont affirmés comme plates-formes de repérage de jeunes talents et ont vu croître le nombre des spectateurs accueillis en dix jours. Les deux festivals se déroulent au bord ou au milieu de la mer et chacun d’eux tire son caractère unique de son lien avec le locus, autrement dit le site où ils se déroulent. En ce sens, ils n’ont rien de comparable avec les autres grands festivals, tels le Holland Festival d’Amsterdam ou le KunstenFESTIVALdesArts de Bruxelles, qui misent sur la venue de célébrités internationales se produisant dans les boîtes noires des salles traditionnelles. Autant le spectacle donné sur les planches est d’avant-garde, autant le cadre est classique. Mais cette considération formelle n’est ni un critère de qualité ni ce qui nous intéresse dans cet article. Comme le veut la boutade, il n’y a que deux sortes de théâtre: le bon et le mauvais, ce qui n’empêche pas que le cadre unique et non reproductible où se déroule un festival puisse se révéler un atout. TAZ à Ostende: «L’émergence d’un monde meilleur» Le projet initié en 1996 par la ville d’Ostende était simple: le nouveau festival combinait le théâtre de rue et la présentation des travaux de fin d’études des étudiants des écoles de théâtre. Une précision sur le contexte: à l’époque, la cité balnéaire ne comptait qu’un seul équipement culturel, le Casino Kursaal; elle ne disposera d’un théâtre correctement équipé qu’à la fin de l’année 2012. Le festival devait donc pouvoir se dérouler, pour ainsi dire, partout. Que ce premier festival ait vu le jour sous les auspices de l’Office de tourisme d’Ostende n’a rien d’étonnant. La culture et le marketing urbain étaient alors synonymes. À l’initiative de Luc Muyllaert et d’une petite équipe motivée, le festival se dotera ensuite d’un statut d’association sans but lucratif lui permettant de voler de ses propres ailes. Le dénuement rend créatif. L’improvisation était la clef de la réussite et la bonne volonté de tous, son lubrifiant. L’ingéniosité technique se révélait capable de transformer la moindre petite arrière-salle, salle de sport, le moindre club de gymnastique, garage ou terrain de basket en la boîte noire d’un théâtre. Les interventions théâtrales en plein air virent le jour dans une ville possédant un grand parc, un aéroport, un port de pêche, une plage et un cordon de dunes. La ville devint un canevas créatif. En tant qu’habitant, il m’arrivait de penser que les indications portées sur le plan de ville vous amenaient à explorer des endroits où personne n’aurait eu autrement l’idée de mettre les pieds. Le théâtre traditionnel et l’avant-garde faisaient l’objet d’une égale attention. Le label «Jeune théâtre» devint une référence, entre autres grâce à la formule «nomade», sorte de blind date où le public, conduit par un guide, assistait à une série de courtes pièces dont il ne connaissait à l’avance ni la location ni les auteurs. Les programmateurs et les découvreurs de talent savaient qu’en venant là où tous les jeunes espoirs étaient rassemblés, ils s’évitaient de courir toute l’année par monts et par vaux pour repérer ceux qui sortaient du lot. Les acteurs et les créateurs faisaient leurs premiers pas au TAZ - il suffit de penser à Matteo Simone lors des débuts de la troupe FC Bergman, ou à Bruno Vanden Broecke. Tous voulaient s’y retrouver et s’y produire. Le réseau minutieusement bâti pour repérer les talents en Flandre, à Bruxelles et à Amsterdam se révélait un choix stratégique payant. Un spectacle de la section mime de l’École supérieure des arts d’Amsterdam pouvait y côtoyer un dialogue de l’Académie de théâtre de Maastricht, une performance du conservatoire d’Anvers, ou une représentation exceptionnelle d’une bande de jeunes loups. Toutes les «jeunes» productions bénéficiaient d’autre part d’une programmation multiple leur évitant le risque de passer inaperçues. TAZ vous les apportait, pour ainsi dire, sur un plateau. Non content d’afficher une brochette de comédiens et créateurs célèbres, le festival permettait au spectateur d’assister à une représentation à toute heure du jour. Chaque édition comportait son lot de ravissements et de scandales. En une seule journée, j’ai ainsi pu voir un angoissant spectacle muet signé Lotte Van den Berg dans une friche du port, une pièce à scandale de la jeune compagnie Abattoir Fermé dans un hangar ferroviaire - une scène où on voyait l’actrice Tine Van den Wijngaert feindre d’être sauvagement violée provoqua le départ d’une partie du public -, et le même soir, dans un buffet de gare délabré, un jeune comique qui éclipsait tout le reste. Ce même jour, j’aurais également pu assister à un spectacle de théâtre musical avec Josse De Pauw, à une représentation de Schwalbe, à un apéro-poésie rassemblant des auteurs consacrés autant qu’inconnus, et terminer la soirée par ciné-concert en live. J’en profite pour préciser que la musique et la littérature ont eu très tôt leur place dans le festival. Depuis une quinzaine d’années, TAZ fait appel à des commissaires invités. Au départ, il s’agissait d’un duo: deux personnalités artistiques marquantes, représentatives en général l’une du théâtre et l’autre de la musique, coconstruisaient le programme. Elles apportaient avec elles leur réseau, leur bagage intellectuel et leurs souhaits les plus chers. Ainsi, lors de l’édition 2009, l’auteur-réalisateur Arne Sierens (Cie. Cecilia) et l’auteur-compositeur Gabriel Rios: le premier invita la créatrice française Gisèle Vienne et le metteur en scène Pippo del Bono, et le second fit venir sa chanteuse idole Mavis Staples et son propre père, pianiste à Porto Rico. L’année suivante, le festival donna carte blanche à Jan Goosens (alors directeur du Théâtre royal flamand de Bruxelles, et maintenant du festival de Marseille) et au chanteur Arno dont la renommée a depuis longtemps dépassé les frontières de sa ville natale. Depuis cinq ans, TAZ n’invite plus qu’un seul commissaire; celui-ci ne se contente pas d’imposer sa marque sur la programmation, mais opte également pour un thème, souvent socialement engagé, qui se reflète dans les créations et les débats. La commissaire Barbara Raes, qui conçoit des rituels pour les pertes non reconnues, fit naviguer chaque jour vers l’est un bateau ayant à son bord un enfant endeuillé qui devait aider le soleil à se lever. The sky is the limit: cela aussi est possible à TAZ. Chaque nouvelle saison est donc devenue une splendide vitrine où se côtoient des pièces de théâtre - de jeunes troupes et de compagnies consacrées -, des débats d’actualité, un programme pour enfants dans le parc, des interventions artistiques,…
D'imperceptibles voix: sur Voicelessness (in blog A.T. 22 mai 2017 )
Entretien avec Azade Shahmiri à propos de « Voicelessness » au Kunstenfestivaldesarts 2017 Une scène sobre partagée en deux par un grand écran sur lequel des images de montagnes enneigées sont projetées ; deux femmes, mère et fille, de chaque côté, dialoguent, essayant de reconstituer un crime qui a entraîné la mort du père. Elles cheminent virtuellement, l’une étant dans le coma (la mère), l’autre cherchant des réponses dans le passé pour pouvoir vivre le présent et appréhender le futur. Pouvoir vivre pour l’une, pouvoir mourir pour l’autre. Leurs voix se font écho dans un jeu de miroir entrainant le spectateur dans leurs projections mentales et dans leur désir d’entendre la voix de l’absent, de la vérité, de la mort. Silence et résonances. Nous avons rencontré Azade Shahmiri une première fois à Téhéran au moment du Festival Fadjr, et ensuite à Bruxelles pendant les représentations de Voicelessness aux Brigittines, dans le cadre du Kunstenfestivaldesarts. * LVG : Le théâtre en Iran et à Téhéran en particulier se développe beaucoup à partir de spectacles créés à l’université. Est-ce ton cas ? AS : Je suis née à Téhéran et j’ai étudié le théâtre, la dramaturgie et l’écriture à l’université de Téhéran. Quand j’étais en Master en Littérature dramatique, j’ai mis en scène quelques pièces et j’ai commencé à écrire. Une de mes pièces de docu-fiction inspirée par les journaux intimes et la correspondance de Frantz Fanon, intitulée Blind Track of Stars, a été primée lors du 12e Festival international du théâtre universitaire. Ce prix a permis de représenter le spectacle une vingtaine de soirs au théâtre Molavi de Téhéran. LVG : Voicelessness met en scène deux femmes, mère et fille, qui dialoguent. La scénographie est très sobre (un matelas par terre, au fond une grande toile sur laquelle des images sont projetées) et la mise en scène épurée souligne l’intemporalité du récit. Pourtant, cela se passe dans le futur, et la mère, qui se trouve dans le coma, communique avec sa fille par un moyen virtuel créé par la fille. Pourquoi as-tu choisi de projeter cette histoire dans le futur ? AS : L’année dernière, j’étais invitée à participer à un festival de théâtre à Mannheim, le Schwindelfrei theater festival, dont la thématique était « Facing 2066 ». En discutant avec la commissaire, j’ai décidé de travailler sur les procès et les cours de justice du futur. Elle m’a suggéré de travailler avec des installations vidéo. LVG : L’histoire croise le réel et la fiction. As-tu procédé ici aussi à un travail de documentation ? AS : L’histoire est basée sur un événement personnel ; mon père est mort dans des circonstances qui n’ont jamais été élucidées. Ça n’avait rien de politique mais j’ai voulu enquêter et comprendre ce qui s’était passé. Cela m’a menée à réfléchir à notre rapport au passé, et comment notre passé influence notre présent et notre futur. J’ai donc réalisé cette vidéo en Allemagne : un solo, moi face à la caméra. Christophe (Slagmuylder) a vu le travail et m’a suggéré de modifier la forme pour qu’elle soit plus performative, plus vivante ; de mon côté je n’étais moi non plus pas complètement satisfaite de ce travail. LVG : Tu as décidé alors d’y ajouter une actrice supplémentaire ? AS : Oui, Shadi Karamroudi, une jeune actrice. C’est en élaborant le scénario avec Soheil Amirsharifi, mon collaborateur (qui avait réalisé la vidéo), que nous avons décidé d’y ajouter l’autre « face » du texte, une deuxième voix, d’où l’idée de la relation entre une mère et sa fille. C’était comme une couche supplémentaire. Au début je pensais jouer la fille et que Shadi joue la mère, mais nous avons finalement inversé. LVG : Considères-tu que ton travail est aussi politique ? Est-ce une façon de parler du présent, du monde d’aujourd’hui ? AS : On peut y trouver des interprétations politiques. Je ne considère pas que mon travail soit lié à la politique de mon pays. Je pense -- j’espère -- qu’il est universel. Mais c’est une histoire personnelle et il se trouve que j’habite l’Iran, donc bien sûr, il y a des liens avec la réalité d’aujourd’hui, le travail de la police, etc. J’étais très déçue du fait que l’enquête au sujet de mon père n’ait rien donné. LVG : Tu as voulu narrer l’histoire d’une communication compliquée entre une mère et sa fille, dans le futur, alors qu’il y a un crime irrésolu qui les « relie »… AS : Oui, comment, dans le futur, nous racontons et nous nous remémorons le passé et comment nous traitons le matériau que nous avons à disposition pour reconstituer l’histoire et la « vérité historique ». LVG : Une mémoire familiale nébuleuse peut bloquer la vie dans le présent, c’est ce qui arrive à cette fille. Elle ne parvient pas à avancer à cause de ce qui est arrivé. Quelque part, elle est autant empêchée que sa mère qui se trouve dans le coma, comme si sa vie s’était arrêtée. AS : Oui, elle est « suspendue » dans le passé et le présent lui sert uniquement à essayer de comprendre ce passé. LVG : Ce n’est pas anodin que ce soient des femmes qui échangent car elles sont en général en première ligne pour transcender les histoires du passé aux nouvelles générations. AS : Elles incarnent souvent la mémoire dans les familles. Mais la pièce parle aussi du (ou des) père.s, même s’il est absent, sa voix est entendue, écoutée par sa fille. LVG : Le spectacle incarne aussi, dans un sens, la jeune génération, en Iran ou ailleurs, qui a l’impression, à tort ou à raison, de ne pas être assez entendue ou écoutée. AS : Toute la famille est ici « voiceless », sans voix, chacun à sa manière. La fille a entendu des choses que personne ne croit, la voix de la mère est virtuelle et le père est mort. La situation générale ne donne aucune voix, aucune possibilité, aucun outil pour comprendre. LVG : Il y a aussi l’idée que chaque personne a une voix propre, reconnaissable immédiatement et dont on se souvient longtemps ; une façon de continuer à vivre après la mort. Les montagnes projetées sur fond de scène évoquent l’écho qui fait résonner les voix, même celles des morts ; où avez-vous filmé ces images ? AS : Ce sont les montagnes qui entourent Téhéran. La ville est construite dans une vallée entourée de hautes montagnes qui ont des neiges éternelles au sommet ; nous avons filmé au printemps, quand la neige commence à fondre. C’est un endroit où Soheil va souvent grimper. LVG : Le lieu choisi pour ton spectacle, l’ancienne chapelle des Brigittines, était parfait pour incarner ce mélange entre passé et futur ! AS : Oui, c’était une suggestion du festival, et j’en suis très heureuse. C’était idéal pour mêler le passé, le présent et le futur. Les murs y ont une âme… LVG : Quels sont les artistes d’aujourd’hui que tu admires particulièrement ? AS : Je ne connais pas beaucoup d’artistes internationaux. J’ai eu la chance de voir quelques travaux de Romeo Castellucci qui m’ont beaucoup impressionnée ; j’aime beaucoup Amir Rêza Koohestani ; l’année dernière au Kunstenfestival, j’ai adoré la performance de Sarah Vanhee. Bien que son travail soit assez éloigné du mien, je me sens proche de sa démarche. Et enfin, Guerrilla (collectif El Conde de Torrefiel, Barcelone), vu l’année dernière……
RENCONTRE: La Bellone, un outil de réflexion pour la dramaturgie. Entretien avec Mylène Lauzon
Quand elle débarque en janvier 2004 à Bruxelles, il y a plus de dix ans, Mylène Lauzon ne sait pas qu’elle postulerait un jour à la direction de La Bellone. Formée aux Études littéraires, adjointe à la direction de compagnies de danse à Montréal, elle s’intéresse à la nouvelle narrativité et au rapport texte/image. Lors d’un passage à Copenhague en 2002, où elle conçoit des soirées « Noises in the dark » en lien avec l’architecture, le son et le mouvement, elle fait un saut à Bruxelles et y noue des liens avec le dessinateur Thierry van Hasselt. Celui-ci la met en contact avec Karine Ponties. Les saisons passent, les deux femmes se retrouvent à Montréal. Là, Karine lui propose de travailler un an à Bruxelles sur la dramaturgie et le développement de sa compagnie Dame de Pic. Le sommet de leur collaboration sera Holeulone, en 2006, spectacle pour lequel Mylène écrit aussi des textes. On retrouve ensuite la Québécoise à Mons, au Centre des Écritures contemporaines et numériques 1 . Elle y est adjointe à la direction, « en somme, responsable de tout », c’est-à-dire des formations, des résidences, des festivals et de la gestion d’équipe. « Ma répétition générale avant la Bellone », reconnait-elle dans un rire. Mylène a aussi été danseuse en France en 2007 et 2009 et performeuse pour Sarah Vanhée à Bruxelles. De son aveu « une expérience indispensable pour comprendre de l’intérieur » les métiers de la scène. Au final, elle aura pratiqué presque tous les métiers qui tournent autour de la création : « la moitié de mon corps est dans la création, l’autre, comme opérateur culturel ». Écrire, dit-elle Sa dernière commande littéraire remonte à une collaboration avec Anne Thuot en 2014. « Je n’ai pas écrit depuis », dit-elle, mais cela ne semble pas lui manquer. « Il y a des gens qui se définissent par leur pratique. J’ai toujours fait plein de choses, je ne me fixe pas dans une identité. J’ai d’ailleurs tout autant l’impression d’écrire en faisant de la programmation. En agençant du sens au service de la poésie. Toutes ces pratiques sont interchangeables, même si je ne m’y engage pas de la même façon. Je ne suis pas attachée aux formes. L’important est avec qui je travaille et pour qui. » Sa candidature à la direction de La Bellone marque un tournant dans son parcours, motivée par « l’envie d’avoir des responsabilités, de diriger un lieu, d’avoir un regard transversal. J’étais prête », affirme-t-elle. Elle conçoit sa mission comme un travail autour et avec « de l’humain, de l’intelligence du vivre ensemble », comme la mise à disposition « d’un bel endroit pour accueillir des gens ». Une maison d’artistes ? Quand on la questionne sur le regard qu’elle porte sur sa ville d’adoption, elle pointe avant tout le bilinguisme, moteur de tension créative et artistique. « Bruxelles est une ville où se vivent des fondements identitaires. On se définit par rapport aux autres. Ce qui engendre une vitalité. Comme Montréal, Bruxelles est traversée au quotidien par ces questions. Mais Montréal est isolé tandis que Bruxelles est au cœur de l’Europe. Il y a ici une circulation de population artistique incroyablement riche. » Cette richesse s’inscrit toutefois dans un cadre institutionnel. La Bellone a cette particularité d’avoir des représentants de la Cocof, de la Ville de Bruxelles et de la FWB au sein de son Conseil d’administration 2 . Cela entraine des missions centrées « sur l’ancrage local, sur l’ouverture et l’enregistrement de traces », via le Centre de documentation. « Toutefois, La Bellone se donne ses propres misions, insiste Mylène. Je suis actuellement sur les deux dernières années d’une convention de quatre ans. En 2017, je proposerai un nouveau projet. » En effet, après quatre années de mise en veille et de redressement financier, l’outil devait être réanimé. Sous la tutelle de Laurent Delvaux, chef de cabinet de l’échevine de la Culture de la Ville de Bruxelles, et de la directrice faisant fonction, Barbara Coeckelbergh, la Maison a dû faire un certain nombre de sacrifices afin d’assainir ses comptes. L’équipe, elle, sans projet et au futur incertain, était dans l’attente d’un élan. Et cette attente fut longue. « Même par rapport au secteur, il y reste beaucoup d’attente, voire un peu de pression. » Le projet de Direction, en effet, demande à être réfléchi. Car La Bellone reste « un outil lourd avec un petit budget artistique ». Soutenue presqu’à part égales par les trois instances à hauteur de 380.000 euros, la Maison ne réserve qu’une part minime aux accueils et aux activités artistiques. « Or, tous les artistes qui viennent travailler à La Bellone y déploient leurs efforts, leur temps et leur intelligence. Mais je n’ai ni les moyens de valoriser ce travail ni de le rendre visible. » La Bellone met actuellement à disposition des espaces dans le studio, la cour ou la galerie - le seul endroit où l’on peut diffuser des œuvres finies. L’idéal serait de pouvoir rémunérer tous ceux qui viennent travailler et partager leur savoir. « Pour l’instant je finance de la recherche fondamentale : trois semaines avec une question, sans rencontre avec le public. L’idée à terme est de communiquer sur la recherche comme service à la société. Il ne s’agit pas que d’enjeux esthétiques mais aussi politiques et sociaux. On est citoyen avant d’être artiste. » Remettre le signifiant au centre Le point névralgique de cette politique est le Centre de documentation. Ce dernier recense dans les quotidiens et les revues spécialisées tout ce qui se passe sur les plateaux, ce qui permet des recherches variées en dramaturgie. Actuellement, sa principale clientèle se compose de chercheurs universitaires en politique culturelle. « Le Centre n’est pas un service lié à un besoin de mémoire en tant que telle mais un outil de recherche en théâtre, un outil qui peut nourrir le questionnement actuel », précise Mylène. S’il stocke un volume important de papier, il faut se rappeler qu’il a été créé au moment où Internet n’existait pas. Maintenant que des plateformes multiples existent (telles que les sites des théâtres ou des méta-sites sur la production contemporaine), se pose la question du service offert à la population par le centre de documentation. « Il doit se recentrer sur des services que d’autres ne font pas, interroger son public et produire de l’analyse, des critiques sur les politiques culturelles via le web ». La Bellone deviendrait-elle un centre de discours sur le spectacle ? « Oui, mais qui permet de produire son propre discours. Ma priorité actuelle n’est pas, par exemple, de produire un spectacle d’art numérique mais plutôt d’organiser une conférence sur la culture numérique, pratique qui n’a pas encore interrogé toutes ses ramifications, que ce soit du côté de l’art ou de la neurologie. Il faut créer des états des lieux, poser la question Où en est-on dans sa pratique? afin de prendre le temps de mesurer le geste qu’on pose dans le monde. » Mylène veut remettre l’étude du signifiant au centre des préoccupations : « C’est cela qui manque à la communauté : un outil qui réfléchit à la dramaturgie. Comment fait-on pour avoir un corpus artistique signifiant ? » Des collaborations choisies En marge de ce travail, la Bellone doit-elle remplir des fonctions de défense des professions de la scène? « La Maison n’a pas vocation de représenter un corps de métier. Je suis une généraliste : elle doit rester un outil de ressources transdisciplinaires. On doit s’attacher à créer du lien et à mutualiser. Mais je ne suis pas convaincue par les fusions. Le CIFAS, le Guichet des arts, le Centre de Doc, Contredanse font chacun du bon travail. Ce qui est important, c’est que ces associations résidentes vibrent à La Bellone. Je ne crois pas aux coupoles mais…