Les théâtres clôturent leurs saisons et préparent la saison prochaine. Que ferons-nous cet été ? Pour les amoureux du théâtre, heureusement, il y a les festivals d’ici et d’ailleurs qui permettent de s’évader et de faire de jolies découvertes à ciel ouvert. L’heure est à la fête !
Les théâtres clôturent leurs saisons et préparent la saison prochaine. Que ferons-nous cet été ? Pour les amoureux du théâtre, heureusement, il y a les festivals d’ici et d’ailleurs qui permettent de s’évader et de faire de jolies découvertes à ciel ouvert. L’heure est à la fête !
Lumière sur quatre festivals, bien de chez nous.
Festival au carré/Mons 2015Du 28 juin au 11 juillet
Il paraît qu’un vent d’aventure…
Artiste de la scène, australien-sri-lankais-tamoul-flamand-nouveau Belge
Comment dépasser les stéréotypes? par Ahilan Ratnamohan, artiste de la scène J'écris le présent article en français. C’est un choix conscient. Il est vrai que l’anglais serait l'option la plus pertinente pour exprimer mes pensées. Et le néerlandais serait sans doute la langue la plus appropriée pour aborder les thèmes qui m'occupent aujourd'hui, puisque je les ai surtout expérimentés en tant que résident en Flandre. Toutefois, j'ai l'impression qu'il serait presque malhonnête d'écrire cet article en anglais, ou même en néerlandais, car en quelque sorte cela ferait de moi un expert en anthropologie, un expert que je ne suis pas. Écrire en français me semble être le plus logique, en dépit de l’effort que cela me demande. Quand j’écris en français, je dois écrire des phrases très simples. Des phrases qui reflètent peut-être la naïveté de cet article. Ma compréhension de la complexité de la Belgique sera toujours naïve et simpliste, je ne comprendrai jamais tous les tenants et aboutissants. Vous, lecteur belge francophone ou peut-être même néerlandophone, vous allez sans doute vous irriter en découvrant le degré de simplification de l’analyse, tout comme vous allez vous irriter en lisant mon français de pauvre qualité. Parce que vous n'êtes pas habitué à écouter le point de vue d’un migrant sur la Belgique, tout comme vous n'êtes habitué à lire des articles que dans un français parfait. En fait, quand j’ai proposé d'écrire ce texte directement en français au lieu de le faire traduire, Hans, le secrétaire de rédaction, n'était pas convaincu que ce soit une bonne idée. Les lecteurs trouveraient peut-être cela étrange, m’a-t-il écrit. C’est un point de vue auquel je n’avais jamais été confronté dans les cercles flamands. * Les premiers pas en Wallonie Soit. Hans m'a proposé d'écrire un article sur la manière dont, selon moi, la Flandre et la Wallonie interagissent et devraient interagir. En fait, je m’étais déjà posé cette question en 2018, il y a six ans. C’est à ce moment-là, cinq ans après mon arrivée en Belgique, que je me suis rendu compte que je n'étais jamais allé en Wallonie, sauf pour une escapade avec des Flamands dans les Ardennes. J’avais pourtant déjà franchi la frontière des Pays-Bas un nombre incalculable de fois (de même que la frontière allemande) pour y jouer des spectacles, mais pas une seule fois je ne m’étais aventuré en Wallonie. À cette époque, mon interaction avec la Belgique francophone était inexistante. Les seules choses que je savais sur les Wallons m'avaient été confiées par des gens de Flandre ou par les médias. J’avais donc hérité d'une série d’idées stéréotypées et parfois sensationnalistes, très difficiles à transcender. Et particulièrement cantonnées à Anvers. Ce sont précisément les stéréotypes qui m'ont poussé à entreprendre des recherches plus sérieuses. À essayer de dépasser les frontières mentales et physiques que je m’étais construites. Je m'étais convaincu que je pouvais tenter d'échapper à mon identité de vervlaamste [flamandisé] Australien-Sri-Lankais-Tamoul. Ou, plus honorablement encore, tenter de devenir un meilleur Belge. Néanmoins, je suis bien contraint de l’avouer, aujourd’hui je me demande si ma démarche n’était pas plutôt née d’une réalité économique. Je crois que j’étais surtout gêné par le fait de ne pas pouvoir profiter de toutes les possibilités de jouer ou de créer des spectacles dans le pays entier. En fait, cela est assez ironique. Je découvrirais que cette impulsion économique était le résultat d’une ignorance coupant court aux stéréotypes. Au moment où j’ai mis les pieds dans un centre artistique francophone pour la première fois, j’ai vite été étonné. L'accueil y était si sympathique, si chaleureux. De surcroît, dans les lieux culturels francophones que j’ai fréquentés, il y a même un poste spécifique dédié à l'accueil des artistes. Or, je me rappelle encore bien la première fois où j'ai été invité à jouer en Flandre, dans un festival assez important. Entrant dans les bureaux pour me présenter, je m'attendais à un accueil spécial tel que: Zo fijn dat je deel uitmaakt van ons festival! [Nous sommes ravis de vous compter parmi les participants à notre festival!] Mais j'ai été reçu par des gens derrière leur ordinateur. Certains ont levé les yeux, mais personne ne m'a adressé la parole. Il faut bien le reconnaître, les processus et les habitudes sont si différents dans les théâtres francophones et néerlandophones qu’il est parfois facile de comprendre pourquoi les collaborations sont rares [v. note 1 ]. Cette observation me permet d'exprimer ma critique peut-être la plus forte à l’égard du secteur du spectacle en Belgique. La scène artistique veut toujours être progressiste, nous nous vantons de construire le changement pour une société meilleure. Toutefois, lorsqu'il s'agit de coopérer au-delà de la frontière linguistique, la scène artistique contribue peu à faire avancer les choses. Malgré l’importance accordée à l’accueil des artistes en Wallonie, faire ses premiers pas de l'autre côté reste très difficile pour les artistes flamands. Je n’en connais aucun qui présente ses spectacles sur les scènes wallonnes. Pour réussir à faire tourner un «spectacle flamand» en Wallonie (puisque je suis devenu flamand) il me faudrait appliquer une autre méthodologie, que je n’ai pas encore trouvée. En dépit de ce décalage, j'ai eu la chance de collaborer avec quelques théâtres francophones. * L’expérience des migrants Pendant un certain temps, l’apprentissage du français et la découverte de tous ces sons et registres différents continuaient à me confronter à moi-même. Mes recherches sur les relations entre Francophones et Néerlandophones ne pouvaient pas vraiment dépasser les stéréotypes. Suite à un accueil fantastique au Théâtre de Liège, j'ai commencé à m'intéresser à une nouvelle question liée à ce thème: l'expérience des «nouveaux Belges» en Belgique francophone. Si l’on s’arrête dans la rue du Moulin à Liège, on peut être tenté de penser que l'expérience est exactement la même en Wallonie et en Flandre. Je me rappelle, quand j'entrais dans ces magasins, je me sentais comme chez moi. Parce que les magasins de la diaspora y sont organisés exactement comme les magasins de mon quartier à Anvers. C'était un sentiment très étrange: tous les produits, toute l'organisation, toutes les odeurs et les lumières y sont identiques… mais dans un contexte francophone. On porte rarement le regard sur les nouveaux Belges, alors que ce sont eux, ou nous, qui, en grande partie, semblent tisser le lien de ce pays. Je croise régulièrement des Marocains et des Turcs qui traversent fréquemment, plus que les Belges eux-mêmes, la frontière entre la Wallonie et la Flandre, car ils ont de la famille des deux côtés. L'expérience des migrants dans leur pays d’accueil peut montrer quelque chose de plus profond d’une culture. Leur histoire a la possibilité d'échapper au discours bien-pensant et leur regard sur l’espace qui les accueille peut bien dire davantage sur la culture locale... Avec cette pensée en tête, j’ai commencé à lire des auteurs francophones belges d’origine étrangère. Cette étape m’a interloqué, car parmi mes amis et mes collègues aucun ne pouvait me faire de recommandations 2 . Or, pendant mes séjours en Flandre, aux Pays-Bas et en Allemagne, j’ai toujours trouvé sans difficulté le nom de jeunes écrivains issus de l’immigration. En somme, le plus stupéfiant était de voir mes interlocuteurs désemparés lorsqu’ils saisissaient le problème fondamental lié à ma question. J’ai toujours plaint les gens issus de l’immigration en Flandre, où les différences de salaires sont palpables et où la ségrégation commence déjà à l’école. Né en Australie, où les plafonds de verre…
Le virus de l’ imagination non reproductible. Les festivals TAZ et OEROL
Le festival d’Avignon et l’Edinburgh Festival Fringe sont les plus grands et les plus prestigieux festivals de théâtre européens. Ils ont valeur de référence. Hendrik Tratsaert, le nouveau rédacteur en chef de Septentrion, les a tous visités. Il nous présente dans cet article deux modèles alternatifs qui ont pris de l’ampleur au fil des années: en Belgique, TAZ dans la ville balnéaire d’Ostende et aux Pays-Bas, OEROL dans l’île frisonne de Terschelling. Il explique ce qui les rend uniques. * On dit souvent que chaque village flamand a son festival. Pour nombre de ces événements, l’important n’est pas forcément le prestige de l’affiche, mais l’expression d’une certaine identité. Ils rassemblent les gens autour d’un but commun. En se retroussant les manches pour organiser le festival, la population en devient une partie intégrante; elle le vit pleinement et se fond dans son atmosphère. Dans l’aire néerlandophone, on peut citer deux exemples marquants bâtis sur ces principes: Theater Aan Zee (TAZ - Théâtre-sur-mer) à Ostende, et OEROL dans l’île néerlandaise de Terschelling. TAZ et OEROL ont commencé modestement, se sont affirmés comme plates-formes de repérage de jeunes talents et ont vu croître le nombre des spectateurs accueillis en dix jours. Les deux festivals se déroulent au bord ou au milieu de la mer et chacun d’eux tire son caractère unique de son lien avec le locus, autrement dit le site où ils se déroulent. En ce sens, ils n’ont rien de comparable avec les autres grands festivals, tels le Holland Festival d’Amsterdam ou le KunstenFESTIVALdesArts de Bruxelles, qui misent sur la venue de célébrités internationales se produisant dans les boîtes noires des salles traditionnelles. Autant le spectacle donné sur les planches est d’avant-garde, autant le cadre est classique. Mais cette considération formelle n’est ni un critère de qualité ni ce qui nous intéresse dans cet article. Comme le veut la boutade, il n’y a que deux sortes de théâtre: le bon et le mauvais, ce qui n’empêche pas que le cadre unique et non reproductible où se déroule un festival puisse se révéler un atout. TAZ à Ostende: «L’émergence d’un monde meilleur» Le projet initié en 1996 par la ville d’Ostende était simple: le nouveau festival combinait le théâtre de rue et la présentation des travaux de fin d’études des étudiants des écoles de théâtre. Une précision sur le contexte: à l’époque, la cité balnéaire ne comptait qu’un seul équipement culturel, le Casino Kursaal; elle ne disposera d’un théâtre correctement équipé qu’à la fin de l’année 2012. Le festival devait donc pouvoir se dérouler, pour ainsi dire, partout. Que ce premier festival ait vu le jour sous les auspices de l’Office de tourisme d’Ostende n’a rien d’étonnant. La culture et le marketing urbain étaient alors synonymes. À l’initiative de Luc Muyllaert et d’une petite équipe motivée, le festival se dotera ensuite d’un statut d’association sans but lucratif lui permettant de voler de ses propres ailes. Le dénuement rend créatif. L’improvisation était la clef de la réussite et la bonne volonté de tous, son lubrifiant. L’ingéniosité technique se révélait capable de transformer la moindre petite arrière-salle, salle de sport, le moindre club de gymnastique, garage ou terrain de basket en la boîte noire d’un théâtre. Les interventions théâtrales en plein air virent le jour dans une ville possédant un grand parc, un aéroport, un port de pêche, une plage et un cordon de dunes. La ville devint un canevas créatif. En tant qu’habitant, il m’arrivait de penser que les indications portées sur le plan de ville vous amenaient à explorer des endroits où personne n’aurait eu autrement l’idée de mettre les pieds. Le théâtre traditionnel et l’avant-garde faisaient l’objet d’une égale attention. Le label «Jeune théâtre» devint une référence, entre autres grâce à la formule «nomade», sorte de blind date où le public, conduit par un guide, assistait à une série de courtes pièces dont il ne connaissait à l’avance ni la location ni les auteurs. Les programmateurs et les découvreurs de talent savaient qu’en venant là où tous les jeunes espoirs étaient rassemblés, ils s’évitaient de courir toute l’année par monts et par vaux pour repérer ceux qui sortaient du lot. Les acteurs et les créateurs faisaient leurs premiers pas au TAZ - il suffit de penser à Matteo Simone lors des débuts de la troupe FC Bergman, ou à Bruno Vanden Broecke. Tous voulaient s’y retrouver et s’y produire. Le réseau minutieusement bâti pour repérer les talents en Flandre, à Bruxelles et à Amsterdam se révélait un choix stratégique payant. Un spectacle de la section mime de l’École supérieure des arts d’Amsterdam pouvait y côtoyer un dialogue de l’Académie de théâtre de Maastricht, une performance du conservatoire d’Anvers, ou une représentation exceptionnelle d’une bande de jeunes loups. Toutes les «jeunes» productions bénéficiaient d’autre part d’une programmation multiple leur évitant le risque de passer inaperçues. TAZ vous les apportait, pour ainsi dire, sur un plateau. Non content d’afficher une brochette de comédiens et créateurs célèbres, le festival permettait au spectateur d’assister à une représentation à toute heure du jour. Chaque édition comportait son lot de ravissements et de scandales. En une seule journée, j’ai ainsi pu voir un angoissant spectacle muet signé Lotte Van den Berg dans une friche du port, une pièce à scandale de la jeune compagnie Abattoir Fermé dans un hangar ferroviaire - une scène où on voyait l’actrice Tine Van den Wijngaert feindre d’être sauvagement violée provoqua le départ d’une partie du public -, et le même soir, dans un buffet de gare délabré, un jeune comique qui éclipsait tout le reste. Ce même jour, j’aurais également pu assister à un spectacle de théâtre musical avec Josse De Pauw, à une représentation de Schwalbe, à un apéro-poésie rassemblant des auteurs consacrés autant qu’inconnus, et terminer la soirée par ciné-concert en live. J’en profite pour préciser que la musique et la littérature ont eu très tôt leur place dans le festival. Depuis une quinzaine d’années, TAZ fait appel à des commissaires invités. Au départ, il s’agissait d’un duo: deux personnalités artistiques marquantes, représentatives en général l’une du théâtre et l’autre de la musique, coconstruisaient le programme. Elles apportaient avec elles leur réseau, leur bagage intellectuel et leurs souhaits les plus chers. Ainsi, lors de l’édition 2009, l’auteur-réalisateur Arne Sierens (Cie. Cecilia) et l’auteur-compositeur Gabriel Rios: le premier invita la créatrice française Gisèle Vienne et le metteur en scène Pippo del Bono, et le second fit venir sa chanteuse idole Mavis Staples et son propre père, pianiste à Porto Rico. L’année suivante, le festival donna carte blanche à Jan Goosens (alors directeur du Théâtre royal flamand de Bruxelles, et maintenant du festival de Marseille) et au chanteur Arno dont la renommée a depuis longtemps dépassé les frontières de sa ville natale. Depuis cinq ans, TAZ n’invite plus qu’un seul commissaire; celui-ci ne se contente pas d’imposer sa marque sur la programmation, mais opte également pour un thème, souvent socialement engagé, qui se reflète dans les créations et les débats. La commissaire Barbara Raes, qui conçoit des rituels pour les pertes non reconnues, fit naviguer chaque jour vers l’est un bateau ayant à son bord un enfant endeuillé qui devait aider le soleil à se lever. The sky is the limit: cela aussi est possible à TAZ. Chaque nouvelle saison est donc devenue une splendide vitrine où se côtoient des pièces de théâtre - de jeunes troupes et de compagnies consacrées -, des débats d’actualité, un programme pour enfants dans le parc, des interventions artistiques,…