Auteur de Suite mallarméenne
Émilie Elisa Régine Noulet naît à Auderghem le 2 mai 1892. Après des études à l'École moyenne de Schaerbeek, elle fréquente l'École normale moyenne de l'État à Bruxelles, où elle acquiert une formation d'institutrice, de régente littéraire et scientifique. Au lendemain de la première guerre mondiale, elle s'inscrit comme étudiante à l'Université libre de Bruxelles dans la toute jeune section de philologie romane fondée par Lucien-Paul Thomas et Gustave Charlier, dont elle sera la disciple. Première femme diplômée de la section (1924), elle consacre sa thèse de doctorat à Léon Dierx. Publié l'année suivante aux Presses universitaires de France, l'ouvrage marquera son entrée dans la brillante carrière de critique littéraire où elle ne cessera de s'illustrer jusqu'à la fin de sa vie.
Devenue professeur au Lycée communal d'Ixelles, elle poursuit sa vocation d'exégète. Elle donne une conférence sur Paul Valéry qui la fait remarquer de Georges Marlow. Ce dernier lui propose d'envoyer le texte de sa communication au Mercure de France, qui la publiera dans son numéro du 15 juin 1927. Une longue amitié affectueuse la liera à l'auteur de Monsieur Teste qui dédicacera un exemplaire de Rhumbs «À Émilie Noulet dont je suis compris. Celle qui sait lire», comme il l'appellera encore dans une autre dédicace, a consacré à Paul Valéry de nombreux ouvrages, considérés aujourd'hui encore comme des sommes inégalables d'intelligence et de finesse.
De 1930 à 1940, elle assume à l'université la charge d'assistante auprès de Gustave Charlier et prépare sa thèse d'agrégation de l'enseignement supérieur consacrée à L'œuvre poétique de Stéphane Mallarmé (1940). La seconde guerre mondiale interrompt momentanément sa carrière à l'Université de Bruxelles. Mariée depuis 1937 au poète catalan Josep Carner, que la victoire du franquisme a contraint à l'exil, elle part le rejoindre à Mexico. Elle y exerce successivement les charges de professeur à l'Institut national de l'enseignement secondaire de Mexico et d'inspecteur de l'enseignement normal. L'année 1944 est marquée par la publication des Études littéraires. Elle y aborde le problème de l'hermétisme en poésie, étudie l'influence d'Edgar Pœ sur Baudelaire, Valéry et Mallarmé, et donne une exégèse de trois sonnets de Mallarmé. Elle fonde avec Josep Carner la revue Orbe, qui paraîtra du 1er juillet 1945 au 1er mai 1946. Dans cette revue latine de culture générale, on trouvera des études sur Valéry, bien entendu, mais aussi sur Supervielle, Roger Caillois ou Alfonso Reyes.
Elle revient en Belgique en août 1945 et retrouve l'université, où elle reprend ses fonctions au titre d'agrégée. À partir de 1946, elle y dispense un cours libre sur la poésie moderne française à partir du romantisme et, en 1948, après la mort de Lucien-Paul Thomas, elle est nommée chargée de cours à temps partiel. Elle devient professeur ordinaire en 1953. Grande spécialiste de la poésie moderne, Émilie Noulet enchante ses étudiants par ses analyses de Rimbaud, de Tristan Corbière, de Valéry, de Mallarmé… Adversaire de l'explication biographique ou psychologique, elle veut faire parler le texte, l'obliger à dévoiler ses intimes secrets. Quidquid latet apparebit, inscrira-t-elle en épigraphe de ses Études littéraires… C'est du texte seul que peut jaillir le sens des mots, c'est lui qui doit guider le philologue dans sa recherche du texte poétique. «Seul le texte est pur, lui seul confesse», écrivait Valéry. Émilie Noulet ne trahira pas le maître tant admiré et consacrera ses talents d'enseignante à inculquer à des générations d'étudiants ce principe de l'analyse poétique.
En 1953, elle publie Le premier visage de Rimbaud, édité par l'Académie, puis, en 1964, un volume consacré à Jean Tardieu. Le 14 novembre 1953, elle est élue à l'Académie de langue et de littérature françaises, au siège de Servais Étienne. On se souviendra de ce merveilleux texte, lu à l'Académie, en 1956 à l'occasion d'un débat organisé au sein de celle-ci sous le titre : Définir la poésie? Dans le déploiement inattendu d'un long poème en prose, riche en métaphores subtiles, ce grand critique donnait, de la poésie, la seule approche définitive possible : celle de la poésie elle-même.
En 1962, Émilie Noulet est nommée professeur émérite de l'Université libre de Bruxelles et, en 1963, docteur honoris causa de l'Université de Paris. L'Alphabet critique qui paraîtra, en quatre volumes, de 1964 à 1968, reprend toute une série d'articles parus de 1924 à 1964, et rassemblés par ses étudiants. Belle façon de rendre hommage à cette grande dame pour qui l'enseignement représentait le plus beau des métiers.
La retraite ne lui fait pas abandonner ses recherches. Elle publie encore de nombreuses études, dont Le ton poétique en 1971. Elle collabore à une impressionnante quantité de revues, des plus prestigieuses aux plus modestes : La Nouvelle Revue française, le Mercure de France, la Revue belge de philologie et d'histoire, Beaux-Arts, Combat (où, avec d'autres intellectuels, elle manifeste son engagement contre le nazisme), Solstice, Les Lettres, Empreintes, Fontaine, La Table ronde, Les Cahiers du Nord, Les Cahiers du Sud, Synthèses… En Amérique latine, elle a écrit dans les revues Bélgica, Filosofia y letras, Ruecca, El Hijo prôdigo… Émilie Noulet est également connue comme traductrice de Mariano Brull, José Marti et bien sûr, de son époux Josep Carner.
La polyvalence et le talent caractérisent sans aucun doute cette grande critique disparue le 7 août 1978, dont Roland Mortier disait avec émotion : « Sa vie, en effet, est la courbe, littéralement exemplaire, d'un admirable destin de femme »…