Auteur de Passeports pour ailleurs. Poésie mémorielle Wu-sun
Dans la galaxie actuelle des livres, au plus loin de la littérature conçue comme une start-up, à des années-lumière des écrivains comme fondés de pouvoir du capital, il est des ouvrages qui rendent à la lettre ses puissances chamaniques, son souffle sauvage, son pari pour un art des confins. Poète, romancier (Silex et L’orée), traducteur, musicien, grand voyageur des espaces géographiques et des espaces intérieurs, Daniel De Bruycker nous fait don avec Passeports pour ailleurs de la redécouverte d’une Atlantide poétique, d’un art funéraire où le poème rédigé par le mourant tient lieu de sépulture. Au fil d’une anthologie de textes s’échelonnant du VIIIème au XXIème siècle, héritier des travaux du linguiste Ilan Precjev…
Mal blessée. Journal philo amoureux 2.0 d’un enfant du siècle
Olivier Terwagne a retrouvé le journal de Constance dans une maison inoccupée de Chimay et tente, dans cet ouvrage, d’assembler des fragments pour nous livrer des traces de vie de la jeune fille. L’historien ne nous donne pas à lire ici un témoignage lisse, structuré et exhaustif de l’héroïne. Il est en effet « difficile […] de lancer un avis de recherche pour retrouver une femme qui “n’existe pas” ». C’est donc à travers des aphorismes, des photos, des contes, des lettres et de nombreux poèmes que nous découvrirons les morceaux de vie de cette jeune femme un peu paumée. Amoureuse d’un Kiriakos grec passionné d’hellénisme, qui a accessoirement une femme et trois enfants, Constance nous fait part de ses questionnements et réflexions sur cet amour, la vie et « ce bordel dans [sa] tête ». Passant constamment du coq à l’âne, elle effectue un va-et-vient régulier entre la culture belge et grecque, en citant de multiples autres références culturelles : elle nous emmène dans un grand écart entre Brel, David Bowie, Périclès, Nietzsche, André Rieu, Truffaut, Steve Jobs, Brassens, Desplechin et j’en passe (sic !). À cela, vous ajoutez une passion pour les rimes, les oxymores et les idées engagées un brin subversives, vous avez alors un bref aperçu de ce qui vous est donné à lire. Accrochez-vous, il faut suivre ! Entre reconnaissance des exclus Et exclusion des connaissances Entre utopisation et mythologisation Entre récit saturé de la fin et récit fondamental des origines Entre le choix du retour à et la dissolution sans retour Entre l’effort de vérité et le confort des postvérités Sur ces entrefaites Je vous laisse au choix impossible Qui est réellement Constance ? Une actrice qui écrit un manuscrit dont nous saurons peu de choses. On sent vibrer une âme romantique et difficile à dompter : « Je me vis mieux à l’envers », « On ne possède pas les clés de sa propre maison », « Je me suis inventé des rêves », « Mes histoires d’amour n’en finissent pas de commencer ». Dans ce journal, le célèbre « je est un autre » est palpable et on l’approche à petites touches. Notes de casting – Actrice haut potentiel mais trop indocile – Aucune connexion dans le milieu (n’est pas « fille de ») – Côté sauvage intéressant mais pas « bankable » – Jouer sur la belgitude pour vendre l’image (mais déjà-vu) – Peut passer du rire aux larmes en trois secondes – Peut nous faire chier en trois secondes aussi – Problème avec la nudité – Promotion canapé impossible – M’a traité de sexiste – Trop intelligente – Féministe – Mélange de Liv Ullman et de Romy Schneider – Bilan : À recontacter pour une comédie douce amère Les fragments de ce journal de mal blessée nous apprennent à aimer Constance à travers ses mots, sa rébellion et sa douce poésie, mais aussi à travers tout ce qui n’est pas dit. On sent l’attachement d’Olivier Terwagne à cette anonyme que tout le monde a oublié sauf lui et son implication authentique à vouloir nous transmettre ce témoignage. Faut-il chercher ? Tout expliquer ? Laisser sa chance à l’ellipse et aux failles spatio-temporelles ? Laisser parler les fantômes incorporés en nous ou à jamais les réduire au silence ? Je me suis attaché à ce couple et à ces deux personnages dans leur singularité. Elle, très intelligente, bipolaire, philosophe, érotique, fragile, alcoolique, nostalgique, terriblement vivante, artiste, actrice… Lui, mystérieux, taciturne, lucide, enraciné, voyageur, poète… L’interaction entre la Belgique et la Grèce est un sujet rarement traité. Accéder à soi-même et au monde par les signes d’humanité dont sont dépositaires les textes de nos héros. La culture comme accès à soi. Comme révélation. Mal blessée , un récit qui nous fait toucher à l’énigme de…
Mon jardin des plantes : poèmes et photographies
Jan BAETENS et Marie-Françoise PLISSART , Mon jardin des plantes : poèmes et photographies , Impressions nouvelles, 2024, 136 p., 18 € / ePub : 7,99 € , ISBN :978-2-39070-145-3 Jan Baetens (1957) est l’auteur de vingt recueils de poésie, dont récemment Après, depuis (2021, prix Maurice Carême de poésie 2023 ) et Tant et tant (2022). Styles et thèmes de ses livres varient mais leur point de départ est toujours le même : la vie quotidienne repensée par l’art et la littérature. Auteur de nombreuses études sur les rapports entre textes et images, dont Le roman-photo (avec Clémentine Mélois) ou Adaptation et bande dessinée : éloge de la fidélité , dans son essai Illustrer Proust , il présentait et discutait les réponses successives données depuis plus d’un siècle par les artistes et leurs éditeurs au désir et à la difficulté d’illustrer Proust. Il a publié le remix d’une collection privée de ciné-romans-photos, Une fille comme toi (2020) et un essai contre l’oralisation de la poésie : À voix haute. Poésie et lecture publique (2016). Marie-Françoise Plissart (1954) est l’une des figures majeures de la photographie belge. Comme Baetens, elle s’est intéressée très tôt aux rapports entre un texte et une image, réalisant avec Benoît Peeters le livre Correspondance (Yellow Now, 1981), début d’une bibliographie abondante. Photographe free-lance depuis 1987, elle a réalisé de nombreux travaux dans de multiples domaines tels que l’architecture, le théâtre, le portrait et l’illustration. Ses photographies ont été notamment exposées à Bruxelles, Liège, Paris, Genève, Amsterdam, La Haye, Rotterdam, Berlin et Vienne. Elle est aussi une vidéaste captivée par l’exploration du tissu urbain et par ses transformations. Texte et image entretiennent une relation complexe, souvent de dépendance, sauf dans le cas où sa polysémie et celle du poème se superposent en échos infiniment répercutés et ouverts , comme dans l’effet-miroir. Mon jardin des plantes : poèmes et photographies est une composition photo-textuelle à quatre mains avec pour thèmes l’eau et l’arbre et une approche des coïncidences des contraires, qui culmine dans le magnifique effet-miroir de la photo du Parc royal de Bruxelles (M.F. Plissart, 2011). Ce concept de l’effet-miroir est présent dans toute l’anthropologie culturelle et symbolique : il nous met en présence d’une perception, d’une imagination ou d’une croyance en une surexistence par rapport au monde donné, qui n’est ni un irréel ni un délire. Une conscience d’un mode spécifique s’y fait jour, celui d’une apparition ou d’une épiphanie, sous forme de synchronicités, de dévoilements, de rencontres avec un au-delà du visible. Ce non visible ouvre sur l’expérience du sacré, en tant que celui-ci fait surgir dans notre sensibilité ou nos représentations un plan d’inaccessibilité ; on ne peut l’instrumentaliser, il est un inter-dit. Comment rendre compte de ces catégories si souvent associées, d’invisible, de secret et de sacré ? Comment permettent-elles de structurer et de comprendre une part d’ombre de notre expérience du monde et des autres ? L’art est une voie d’accès à cette sur-réalité : Johannes Vermeer, « Vue de Delft »Soustraire sans rien perdre, pour la beauté du geste, puis additionner en vue de la sainte multiplication, chaque chose à sa place, puis proliférant jusqu’à occuper une autre place dans l’eau,qui l’amène à d’autres négoces et trafics encore. Converti en brique et azur, le nombre d’or Garde ses droits, unissant pour mieux régner. Le livre est composé de sept « chapitres » : les poèmes et les photographies offrent une relation de miroir, non d’illustration. L’eau a toujours été l’un des éléments les plus efficaces pour équilibrer le corps et l’âme : elle est le signe d’un éveil spirituel, permettant de lâcher prise. L’arbre est un symbole de vie et de verticalité incarnant le caractère cyclique de l’évolution cosmique. Tous deux offrent une dialectique entre permanence et métamorphose. Ainsi au fil des poèmes, le lecteur est invité à considérer le proche et le lointain, le connu et l’inconnu, le quotidien et l’indéfinissable, le simple et le complexe, motifs qui se déclinent aussi par miroitements en ceux du voyage, de la perte des repères, des relations inattendues entre topos et tempus, nature et culture, à la recherche de l’unité originelle :[…] Lentement le sens se dépouille des mots qui l’emportent, Elle dit que le jardin se fait son havre. […] Enfin la main qui crée l’objet qu’elle touche, Qui aide à défaire sans peur l’articulation du monde, À ne plus nous lamenter que les choses parlent à notre place. L’amour du trivial est figure…