Notice sur Albert Mockel (1866-1945)



À PROPOS DE L'AUTEUR
Albert Mockel
Auteur de Notice sur Albert Mockel (1866-1945)
BIOGRAPHIE Né à Ougrée, dans la banlieue de Liège, le 27 décembre 1866, Albert Mockel est issu d'un milieu bourgeois — son père est directeur d'usine. La famille s'établit à Liège et Mockel s'inscrit en 1884 à la Faculté de philosophie et lettres de l'université, où il poursuit des études de lettres et de droit jusqu'en 1892. Il y fait ses débuts d'écrivain, collaborant à une revue estudiantine, L'Élan littéraire, dont il deviendra propriétaire en 1886. Sous le titre de La Wallonie, la revue, devenue symboliste, s'assure, pendant ses sept années d'existence, la collaboration d'écrivains renommés tant belges — Verhaeren, Van Lerberghe — que français, notamment Vielé, Griffin et Gide. En 1887, paraissent Les Fumistes wallons, où Mockel affiche ses préférences littéraires et musicales pour Mallarmé, avec qui il va entamer une correspondance, et Wagner. Après un voyage en Allemagne, il séjourne à Paris en 1890 et est assidu aux mardis du maître. L'année suivante voit son installation définitive dans la capitale française en compagnie de Marie Ledent, pianiste liégeoise, qu'il épousera en 1893, et dont il a un fils, Robert-Tristan. Son premier recueil poétique, Chantefable un peu naïve (1891) décrivant, dans un langage maniéré, la quête amoureuse d'un jeune seigneur, paraît à Paris sans nom d'auteur. Toute la poésie de Mockel est animée par la tension vers une forme neuve, pour une œuvre qu'il aurait voulu dominée par un thème directeur mais qui n'échappe pas, cependant, au didactisme. C'est dans ses essais qu'il faut sans doute voir sa contribution la plus riche à la littérature : avec Propos de littérature (1894), Mockel synthétise un certain nombre de conceptions qui étaient dans l'air : il expose une esthétique poétique soumise aux références musicales et échafaude une théorie du symbole, enrichie ultérieurement par divers articles. Pour le poète capable de le déchiffrer, le symbole est une synthèse qui, grâce à une démarche empreinte de subjectivisme située au-delà du rationnel, permet de mettre en évidence les rapports idéaux des formes entre elles. Par sa puissance suggestive, il assure le sens pluriel de l'œuvre, évitant d'en figer le sens, ouvert dès lors à l'interprétation du lecteur. La mort de Mallarmé en 1898 lui fournit l'occasion d'une exégèse et d'un hommage dans Stéphane Mallarmé, un héros où il déploie des qualités de critique qui ne se démentiront pas par la suite, que ce soit dans ses essais sur Charles Van Lerberghe (1904), sur Émile Verhaeren ou sur Max Elskamp. Il contribue ainsi à faire mieux connaître le caractère moderne d'une poésie dont il expose la logique interne et les enjeux, et qui a alimenté ses propres conceptions artistiques. De mars à septembre 1901, Mockel voyage en Italie en compagnie de Charles Van Lerberghe. Clartés, son second recueil, suivi d'une conclusion musicale, est publié au Mercure de France l'année suivante. D'une prosodie libérée, l'ouvrage met en scène, à travers la symbolique de l'eau, le drame de l'incommunicabilité et la tentation du narcissisme. Poursuivant ses collaborations à de nombreuses revues et journaux — le Mercure de France, Durendal, La Plume, L'Express (Liège) — Mockel se fait conférencier. Il commence à jouer un rôle important dans la diffusion de la littérature belge en France, se dépensant sans compter pour faire connaître les œuvres de ses amis, Charles Van Lerberghe en particulier. Témoignage de son intérêt pour les arts plastiques, une étude consacrée au statuaire wallon Victor Rousseau, paraît en 1905. Auguste Donnay et Armand Rassenfosse retiendront aussi son attention. De nombreux contes pour enfants avaient paru dans différentes revues : il en retient dix, Contes pour les enfants d'hier (1908), publiés à compte d'auteur au Mercure de France, illustrés par Auguste Donnay qui reflètent, comme dans son premier recueil, son goût pour les atmosphères moyenâgeuses. Après son établissement à Rueil-Malmaison en 1910, Mockel, auteur du Chant de la Wallonie, participe activement aux manifestations du mouvement wallon et préside la section parisienne des Amis de l'art wallon. Dans ce domaine aussi, articles et conférences se succèdent. En 1919, l'Esquisse d'une organisation fédéraliste met en œuvre ses idées sur la séparation administrative de la Belgique. Son fils meurt la même année; les Mockel multiplient les tentatives de communication spirite avec le disparu. Mis à part la publication de La Flamme stérile (1923) suivi de La Flamme immortelle (1924), l'activité littéraire de Mockel se ralentit : ce dernier recueil, long dialogue sur le mode de la tragédie classique entre deux amants, est fidèle à toute son œuvre, qui véhicule d'une manière constante une aspiration à l'Idéal incarné ici par le symbole de la flamme. Désormais, sa vie est une suite d'honneurs — il est de l'Académie dès sa fondation —, de célébrations et d'activités mondaines. Décoré, membre de divers jurys, Mockel, fidèle à lui-même et aux écrivains en qui il avait cru, poursuit ses activités de conférencier et de critique. Il reçoit, en 1935, le Prix quinquennal de littérature pour l'ensemble de son œuvre. Le couple se réinstalle définitivement en Belgique en 1936. La fin de sa vie est marquée par la guerre et les difficultés matérielles. Il est nommé, en 1940, conservateur du musée Wiertz, peintre auquel il accepte de consacrer une étude. Il meurt le 30 janvier 1945. Sans doute plus influent par ses positions d'animateur, de critique et de théoricien que par son œuvre de poète, Albert Mockel a joué dans l'histoire des lettres belges un rôle institutionnel important, perpétuant, au-delà du combat d'arrière-garde, l'esprit d'un Symbolisme exigeant.

AVIS D'UTILISATEURS

FIRST:xfirstword - "Notice sur Albert Mockel (1866-1945)"
stdClass Object ( [audiences] => [domains] => )

Ceci pourrait également vous intéresser...

Simenon à Neufchâteau et la BD belge

La mémoire-papier des grands Belges : deux belles propositions…

La Belgique de l’étrange

On a souvent évoqué l’existence d’une tradition fantastique en Belgique, tradition dont on s’est plu à rechercher les racines dans les tableaux de Jérôme Bosch et de Pieter Bruegel.…

Témoigner la monstruosité de la Shoah. Le devoir de mémoire et de transmission de Vincent Engel et Françoise Lalande

Introduction [page 37 de la version papier]  Dans son essai Fiction : l’impossible nécessité, Vincent Engel XX signale que « le discours sur la littérature de la Shoah est dominé par une insistance sur l’incapacité de ce discours et plus particulièrement sa déclination artistique » XX . De fait, le judéocide fut une expérience d’une monstruosité telle qu’elle paraît se situer au-delà de tout ce qui est humainement imaginable, dicible et transmissible. Cependant, ces trois concepts, Engel les qualifie comme des mots qui ne trahissent que notre incapacité à imaginer, dire et transmettre, « des mots qui ne disent rien sur ce qu’on entend qualifier à travers eux » XX .  Méditant sur le caractère toujours inédit et unique de l’expression de l’indicible, Engel montre comment le parcours du narrateur imaginé par Jean Mattern dans Les Bains de Kiraly XX (2008) atteste que, s’il est possible de surmonter la détresse en construisant un discours sur un événement apparemment inimaginable, indicible et intransmissible, le dépassement de cet inénarrable passe nécessairement par l’élaboration d’un récit personnel. Dans cette étude, nous nous proposons de nous faire l’écho des témoignages de deux voix majeures des lettres belges actuelles, deux romanciers [page 38 de la version papier] appartenant à des générations différentes mais dont les familles, juives, éprouvèrent dans leur chair et leur âme les atrocités nazies : Vincent Engel (°1963) et Françoise Lalande-Keil (°1941). Vincent Engel: Respecter le silence des survivants – Vous pourriez le laisser en prison, l’envoyer en Allemagne, dans un camp... – Vous ne connaissez pas les camps, monsieur de Vinelles ; sans quoi, je crois que vous me supplieriez de le fusiller sur-le-champ   plutôt que de l’y envoyer XX ... Cette réplique de Jurg Engelmeyer, un officier allemand qui a ordonné l’exécution d’un jeune garçon en représailles aux actes commis par son père résistant, ne montre-t-elle pas que la monstruosité du nazisme hante le parcours romanesque de notre auteur pratiquement depuis son début ? Dans son article intitulé « Oubliez le Dieu d’Adam » XX , Engel relate qu’au cours de ses études de philologie romane à l’Université catholique de Louvain, son père lui offrit Paroles d’étranger d’Élie Wiesel, une lecture qui le bouleversa : Par le silence de mon père, par son indifférence à la chose religieuse, je redécouvre le judaïsme. Dans les livres, d’abord, au CCLJ (Centre Communautaire Laïc Juif) ensuite. Et Dieu se voile d’un drap sombre : celui de la souffrance à la puissance infinie d’Auschwitz. Toutes les souffrances se mêlent : celle de ma mère [décédée d’un cancer quelques années plus tôt], celle de la famille de mon père disparue dans les camps. (Idem, p. 72) Pourquoi parler d’Auschwitz ? Cette question, Engel s’astreindra à y répondre dès que cette réalité s’imposera à lui comme une « expérience marquante » bien que non vécue personnellement. La lecture et l’étude approfondie de l’œuvre de Wiesel imprimeront sur sa vision de la Shoah « un vocabulaire et des évidences : un monde était mort à Auschwitz, une société y avait fait faillite, et plus rien ne pouvait être comme avant » XX . D’où la nécessité, poursuit Engel, de « repenser le monde, refonder la morale, instaurer des conditions nouvelles pour la création artistique – pour autant qu’elle fût encore possible XX –, forger des mots neufs pour prononcer l’imprononçable [page 39 de la version papier] [...] » (idem, p. 18-19). D’autres évidences surgiront progressivement dans l’esprit de celui pour qui Auschwitz deviendra vite « une obsession » : celles de constater que la masse des documents publiés « n’ont guère servi à éduquer les gens » (idem, p. 20-21) et que les descendants des survivants, qui ont pour tâche de reprendre le flambeau du témoignage, doivent « trouver d’autres moyens d’expression, car ils n’ont pas vécu l’épreuve » (idem, p. 19). Si ses travaux scientifiques XX lui permirent d’« épuiser » la question « épuisante » de la responsabilité de Dieu devant le génocide juif ou, en tout cas, de tourner une page (ODA, p. 72), par après, c’est principalement à travers la fiction qu’Engel poursuivra cette interrogation sur la Shoah. Une interrogation qui trouve donc sa source directe dans la tragique histoire familiale et dans une identité juive ashkénaze fort ancienne. Comme il le détaille dans quelques interviews et articles XX , ses ancêtres paternels, polonais, étaient des juifs religieux appartenant à la bourgeoisie aisée. Bien que la situation dût se dégrader après la Première Guerre mondiale au cours de laquelle la famille se réfugia à Budapest où son père naquit en 1916, ils sont une famille juive inscrite dans le processus d’assimilation propre à cette période et à leur classe sociale ; les enfants fréquentent des écoles où ils côtoient la bourgeoisie polonaise catholique. Une intégration donc plutôt réussie mais qui n’empêchera pas leur déportation au début des années quarante. De toute la famille paternelle survivront un seul oncle, communiste avant la guerre et rescapé des camps, qui s’en ira faire sa vie à Los Angeles et y deviendra religieux orthodoxe, ainsi que le père de Vincent Engel, parti poursuivre ses études en Belgique vers 1938 et qui, après avoir passé la guerre dans les forces belges de la R.A.F, décidera de s’y installer définitivement : « Plus tard, il me dirait : “N’oublie pas que, pendant la guerre, des Juifs se sont battus”. » (Idem, p. 70.) Quand, à quarante ans, il rencontre son épouse, celle-ci, bien qu’appartenant à une bourgeoisie catholique bruxelloise imbue de solides préjugés, propose de se convertir au judaïsme. Une proposition qui sera rejetée par l’intéressé pour des raisons sur lesquelles l’écrivain ne peut que conjecturer : [page 40 de la version papier] Son athéisme s’était certainement renforcé à l’épreuve de la guerre et des camps. Ou bien, comme d’autres, refusait-il d’inscrire dans une telle tradition de martyre des enfants à venir. Ou bien, plus pragmatiquement, avait-il jugé que les meilleures écoles, à son avis, étaient catholiques. Hypothèse que conforte non seulement le refus de la conversion de sa femme, mais aussi le fait que ses enfants seraient baptisés, inscrits dans des écoles catholiques et feraient leur profession de foi. (Idem, p. 70-71) Une profession de foi qui, chez l’adolescent Engel, ne va pas de soi ! La découverte de l’œuvre de Wiesel et la relecture de Camus lui permettront de régler progressivement le conflit qu’il entretient avec ce christianisme qui prône la soumission, ferme les yeux sur les injustices les plus flagrantes – « Questionner Dieu sur la souffrance, celle d’Auschwitz ou celle de ma mère, accroît l’obscénité de la souffrance, puisque Dieu n’intervient pas et ne répond pas » (idem, p. 74) – et transmet à tous un goût certain pour la culpabilité. Ce qu’Engel (re)découvre dans Camus, la fausseté de la question de Dieu tout comme le devoir pour tout un chacun de suivre un cheminement éthique exigeant, n’est-ce pas en définitive ce que son père lui a transmis ? Évoquant ailleurs la figure paternelle, Engel insiste d’une part sur la certitude de celui-ci « qu’il n’y a pas de droits de l’homme sans le respect de devoirs, et de liberté sans responsabilité » ; d’autre part, sur « [son] impossibilité de dire à ses proches qu’il les aimait ». Et, ajoute-t-il, « pour ce qui est du judaïsme, un silence réduit à l’essentiel. [...] Mais un silence capable de faire passer le judaïsme, le sien, auquel son cadet au moins adhérera pleinement après ses vingt ans » XX . Car ce qui séduit Engel dans le judaïsme, c’est le fait qu’il représente « un rapport à…