Mêsse Houbièt : Vî djeû po rîre, è deûs pårtèyes, qu’ine saquî a r’trové ’ne sawice

RÉSUMÉ

Adaptation en wallon liégeois de la farce de Maistre Pierre Pathelin.
Édition, présentation et notes par Albert Maquet.

À PROPOS DE L'AUTEUR
Albert Maquet

Auteur de Mêsse Houbièt : Vî djeû po rîre, è deûs pårtèyes, qu’ine saquî a r’trové ’ne sawice

Albert Maquet est né à Ougrée en 1922. Élève à l’Athénée de Seraing, il reçoit l’enseignement de Robert Grafé et de Louis Remacle, qui l’encouragent à développer son goût pour le wallon.  Il entreprend et réussit brillamment des études en philologie romane, qui l’amènent à étudier la dialectologie, la littérature française, mais également la langue et la littérature italiennes.  Déjà, il écrit et publie des textes en wallon liégeois. Son premier recueil, intitulé Samainne, est édité en 1941.  En 1947, Djeû d’apèles, son deuxième recueil, retient l’attention de nombreux spécialistes des lettres wallonnes, et, dès l’année suivante, il figure parmi les cinq auteurs du recueil Poèmes wallons 1948, qui marque un véritable tournant dans la littérature wallonne. Cette publication, qui réunit avec lui Franz Dewandelaer, Willy Bal, Louis Remacle et Jean Guillaume, a comme intention première la volonté de montrer que la langue dialectale est capable de devenir un moyen d’expression des réalités et des réflexions les plus contemporaines, dans les formes les plus contemporaines. C’est principalement cette visée que va poursuivre Albert Maquet tout au long de sa carrière littéraire.  Au début des années 1950, il compose plusieurs pièces de théâtre qui connaissent le succès. C’est le cas de l’Êrdiè sins solo, pièce plus traditionnelle, puis de Ratakans mès-èfants, qui lui permet d’explorer le potentiel du genre de la pièce radiophonique.  Entre 1950 et 1954, il entretient une correspondance étroite avec Albert Camus, à propos de l’œuvre duquel il projette d’écrire un essai. Cet essai est finalement publié en 1956 sous le titre Albert Camus ou l’invincible été. Il demeure une des études de référence de l’auteur français.  Entre 1957 et 1963, il est lecteur à l’Université de Turin. Ce séjour à l’étranger lui permet de découvrir les littératures dialectales italiennes et de nouer des contacts étroits. Déjà très sensible aux autres langues régionales romanes, il multiplie les adaptations de l’occitan, du piémontais, ou même de l’italien vers le wallon.   À cette époque, sa production littéraire est moindre, mais pas son travail de critique. Il tient la chronique des lettres wallonnes dans la revue La Vie wallonne.  Après un séjour de plusieurs années à l’Université de Turin, il est nommé titulaire de la chaire d’italien à l’Université de Liège, où il enseigne jusqu’en 1987.  Son travail scientifique en histoire de la littérature wallonne se poursuit : il assume l’édition philologique de plusieurs auteurs liégeois, il rédige des synthèses d’histoire littéraire ou d’histoire de genres littéraires, il contribue à des ouvrages culturels de grande ampleur.  Dans la dernière partie de sa vie, il reprend volontiers sa plume et explore encore d’autres horizons littéraires. D’une part, il cherche à renouveler le genre dramatique, en proposant notamment des adaptations de chefs-d’œuvre internationaux : La Mandragore de Niccolò Machiavelli devient Li Harloucrale (1989), Le Manteau de Nicolas Gogol devient Li Paletot (1985). Califice, l’ome di nole på èt d’ine sawice (1984), un de ses chefs-d’œuvre, s’inscrit dans la pure tradition de la Commedia dell’arte. Sadi Hozètes (1991) est composé de deux monologues d’un unique personnage, fait exclusif en théâtre wallon. D’autre part, il explore de nouvelles formes en poésie, comme le haïku ou le monostiche, et s’aventure vers des thématiques inhabituelles.  Enfin, il a été un membre actif de la Société de langue et de littérature wallonnes, et le premier président du Conseil des langues régionales endogènes à la Communauté française de Belgique, entre 1991 et 2006.  Il décède en 2009, à Liège. 

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Bokèts po l’ dêrène chîje : Poèmes pour l’ultime veillée

Peu de temps avant son décès, le grand écrivain wallonophone Émile Gilliard avait transmis à son éditeur les épreuves corrigées de Bokèts po l’ dêrène chîje . La première édition de cette œuvre — une édition artisanale en 50 exemplaires, aujourd’hui introuvable — lui avait valu le prix triennal de Poésie en langue régionale de la Fédération Wallonie-Bruxelles 2005 et était vue comme un incontournable de sa bibliographie. Sa réédition dans une collection de plus large diffusion et avec des adaptations françaises est donc une initiative bienvenue.  Si cette réédition fait œuvre de justice en permettant à la poésie d’Émile Gilliard d’atteindre des lecteurs qu’elle n’a jamais pu toucher auparavant, soulignons qu’elle fait aussi œuvre utile. En effet, elle fournit aux amateurs une réalisation exemplaire, témoin de la richesse du wallon sous la plume d’un auteur qui le possède pleinement, mais aussi des voies audacieuses empruntées par la poésie d’expression régionale depuis le milieu du 20e siècle.Émile Gilliard est en effet un héritier de la « génération 48 », qui a renouvelé cette poésie par la recherche de formes nouvelles et l’exploration de thèmes actuels. Ces jeunes poètes et leurs continuateurs visaient l’universalité, à travers des œuvres qui ne reniaient en rien leur attachement à leur région ni leurs origines souvent modestes.Dans Bokèts po l’ dêrène chîje , Émile Gilliard applique fidèlement ces principes, suivant une route d’abord tracée par Jean Guillaume, son maitre en poésie. Écrites dans les années qui ont suivi son départ à la retraite, les trois séries qui composent ce recueil explorent le regret lié au temps perdu, l’amertume d’avoir dû travailler pour d’autres, la fatigue physique et mentale… Au fil des poèmes, le lecteur découvre une langue particulièrement souple, riche d’adjectifs aptes à traduire, par exemple, les nuances de ce dernier sentiment : nauji [ « lassé » ], scrandi [ « fatigué » ], nanti [ « exténué » ], odé [ « lassé » ], skèté mwârt [ « éreinté » ]…Par endroits, le poète renoue avec la colère qui s’exprimait à plein dans certaines œuvres précédentes ( Vias d’mârs´ en 1961 , Come dès gayes su on baston en 1979) : ’L âront scroté nos tëresèt nos cinses èt nos bwès,à p’tits côps, à p’tits brûts,[…] come dès fougnantsk’on wèt todis trop taurdcand leû jèsse a stî fêteèt k’ tot-à-fêt a stî cauvelé. Dès-ans èt dès razansk’on a cauzu ovré d’zos mêsse,[…] dissus nos prôpès tëres. [Ils auront dérobé nos terres, / fermes et forêts, / peu à peu, sans fracas, / (…) comme des taupes / qu’on détecte toujours trop tard, / quand elles ont accompli leurs méfaits / et qu’elles ont tout creusé. // Une éternité / qu’on a quasi œuvré / sous tutelle, / (…) sur nos propres terres.] Ailleurs, il reprend les questionnements d’ordre métaphysique qui traversaient À ipe , cette autre œuvre importante, rééditée dans la collection micRomania en 2021. Èt si nosse bole âréve bukéconte one sitwale ? […] Èt nos-ôtes bèrôderèt r’nachî à non-syinceaprès l’ dêrène ruwale ? [Et si notre globe / avait cogné une étoile ? (…) // Nous aurions erré, / cherché inutilement / une ultime issue ?] Ces deux veines majeures de l’œuvre gilliardienne — le questionnement sur l’homme et son environnement, la défiance envers l’exploiteur, en communion avec tous les exploités — trouvent un point de rencontre dans les pages les plus fortes du recueil. C’est alors la métaphore de la maison qui exprime la détresse du « je » (non, du « dji » ) face aux communs massacrés au bénéfice de quelques-uns. ’L ont rauyî djustotes lès pîres dissotéyesèt lès tchèssî au lon,à gros moncias.Èt c’èst cauzucome s’il ârén´ ieû v’luchwarchî è vike,chwarchî è m’ pia.Come si l’ maujoneâréve ieû stîon niër, on burton d’ mès-oûchas. [Ils ont arraché / toutes les pierres descellées / et les entasser au loin, / et c’est quasi comme / s’ils avaient voulu / m’écorcher vif, / charcuter ma peau, / comme si la maison eût été un nerf, / un moignon de mes os.] De manière plus explicite, Émile Gilliard fait le lien avec le désastre écologique dans le poème d’épilogue, écrit spécialement en vue de cette deuxième édition. Vêrè ként’fîye on djoûki l’eûwe ni gotinerè pus wêre foû dès sourdants.On s’ capougnerè po sayî d’ ramouyî sès lèpes.Vêrè ki l’ têre toûnerè à trîs et tot flani,ki nos maujones si staureront su nos djoûs,èt nosse lingadje ni pus rén volu dîre. [Peut-être viendra-t-il un jour / où l’eau filtrera à peine de la source. / On s’empoignera pour se rafraîchir les lèvres. / Une terre stérile fera flétrir les plantes. / Notre maison s’écrasera sur nos jours, / et notre langue n’aura plus de sens.] Au possible effondrement des équilibres naturels fait écho ici celui d’une langue. Bokèts po l’ dêrène chîje est aussi traversé des préoccupations d’un homme qui a donné tous ses loisirs à la langue wallonne et laisse parfois libre cours à son pessimisme : « po ç’ k’il è d’meûre : / on batch di cindes èt dès spiyûres, / sacants scrabîyes / k’on îrè cheûre èt staurer sul pî-sinte » [ « pour ce qu’il en reste : / un bac de cendres, des déchets, / des escarbilles / à secouer et à répandre sur le sentier » ]Et c’est en cela que cette réédition prend une valeur supplémentaire : en redonnant à lire des poèmes qui ne taisent pas son sentiment de lassitude et d’isolement, elle nous rappelle que leur auteur a toujours su le dépasser. Émile Gilliard, en effet, n’a jamais cessé d’écrire dans sa langue première et a consacré ses dernières années à d’importants travaux philologiques. Ce livre prend donc, en creux, la valeur d’une ode à sa résilience et à son formidable engagement. Julien Noël Les traductions offertes ici sont les adaptations littéraires de l’auteur. Plus d’information Ce tryptique a été publié artisanalement, en wallon, à compte d'auteur, en tirage restreint, en 2004. Le dernier volet Crèchinces a également fait l'objet d'un numéro des Cahiers wallons . La présente édition est assortie d'une adaptation en langue française. L'ordre des textes comporte des modifications et un poème d'épilogue résume l'esprit du recueil. L'actuelle situation du monde donne à ces poèmes un reflet d'authenticité. Y pointent heureusement des germes d'espérance et de lumière. Le dilemme reste présent : d'un côté, l'appât du gain, du plaisir, du soi-disant progrès, le manque d'amour d'autrui, de l'autre, le respect de l'humanité, de la nature, du climat. L'humanisme triomphera-t-il d'un matérialisme borné dans lequel notre civilisation peine…

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