Auteur de Madame Kaekebroeck à Paris : moeurs bruxelloises
Léopold Courouble naît le 3 février 1861, à Bruxelles, rue des Chartreux, dans la belle demeure familiale, surmontée d'un double pignon à redans, qu'il a décrite dans La Maison espagnole (1904), charmant recueil de souvenirs de son enfance. Il y relate ce qui marqua profondément sa sensibilité : le vaste jardin, bien entretenu, borné par la Senne coulant en contrebas, les merveilleuses histoires que lui racontait, à l'heure du coucher, la servante Bertine, lectrice passionnée de l'Iliade et des récits mythologiques, la fréquentation quotidienne du quartier Saint-Géry et de ses autochtones au parler hybride et savoureux, l'apparition en 1870 de blessés français, internés en Belgique, accueillis comme des frères frappés par le malheur... Âgé à peine de sept ans, Léopold a été mis en pension à Vanves, au Lycée du Prince Impérial dénommé par la suite Lycée Michelet. S'il a, à Bruxelles, un contact prolongé avec les vaincus de Sedan, c'est que, en raison de la guerre, il a été renvoyé chez lui pour une période indéterminée, comme tous les collégiens de la région parisienne. Les événements lui épargnent, pour reprendre ses termes, une année de bagne. Car, à ses yeux de petit Belge exilé et privé de liberté, le Lycée de Vanves, l'un des plus beaux de France, aura toujours la sombre couleur d'un pénitencier.
Pensionnaire quelque temps au Lycée Louis-le-Grand, l'adolescent revient de Paris en 1877, pour achever ses humanités à l'Athénée de Bruxelles, où son accent pointu lui vaut les quolibets de condisciples – parmi lesquels Eugène Demolder – qui l'accusent de fransquillonner. Il n'en est pas troublé : s'exprimer de manière châtiée fait partie de son code moral. S'il lui plaira, dans le cycle des Kaekebrœck et quelques autres ouvrages, de peindre avec un réalisme tout imprégné de sympathie les Bruxellois bruxellisants du bas de la ville, il lui déplaisait que son entreprise amenât les esprits simplistes à voir en lui un bon Brusseleer. Cette méprise le contrariait, qui ignorait sa formation française et l'éducation qu'il avait reçue dans sa famille, dans cette maison espagnole où l'on se sentait à la fois très proche et si différent des gens du quartier.
Inscrit à l'Université libre de Bruxelles, il en sort en 1884 avec le diplôme de docteur en droit. Ce qu'il a appelé discrètement la fortune changeante le réduit tout soudain à la pauvreté. Que faire? Le métier d'avocat s'offre à lui. Il plaide quelque peu, mais il eut vite fait, dira George Garnir, de prendre en grippe la robe et le rabat du stagiaire. Certain jour, il s'embarque comme simple matelot sur un navire qui part pour l'Amérique, une aventure sans lendemain qu'il racontera dans Atlantique Idylle (1895), et qui, souvenir durable, lui fournira le sujet et le cadre de son dernier roman, À bord du Jacques Van Artevelde.
Il s'oriente vers le journalisme. Les chroniques judiciaires, signées Maître Chamaillac, qu'il donne à La Réforme, mettent en lumière son talent de narrateur ; il en publiera un choix dans Mes Pandectes (1904). Voilà qu'on lui propose, en 1889, un poste de magistrat au Congo. Il l'accepte, et il apporte à ses fonctions un zèle méritoire. Mais des ennuis de santé interrompent sa carrière africaine. Bien que brève, elle hante sa mémoire : En plein soleil (1900), Profils blancs et frimousses noires (1901), Images d'outre-mer (1903).
Son premier livre, Contes et souvenirs (1893), assemblage de textes hétéroclites, révèle l'embarras du débutant à la recherche du genre où il se fixera. En vérité, il l'a trouvé ; on s'en avise à la lecture des deux récits sur lesquels se ferme le volume, Le Châtiment de Mme Keuterings et La Fin de Trullemans, ébauches des histoires bruxelloises qui le rendront célèbre. Un domaine laissé en friche lui apparaît : il va le fertiliser. L'aventure maritime qu'il a vécue ne constitue qu'une partie de Atlantique Idylle; l'ouvrage en comporte deux autres (qu'il réutilisera) : Les Fiançailles de Joseph Kaekebrouch (orthographe provisoire) et Ferdinand Mosselman. Assez édulcoré dans les contes bruxellois du recueil de 1893, le parler local est restitué ici sans concession au bien-dire, et Courouble obtient des effets drolatiques. Pourtant, l'idiome du Brusseleer l'afflige. Il le déclare sans ambages dans l'opuscule Notre langue (1898), préambule spirituel et paradoxal à la saga où il exploitera la vis comica du jargon qu'il réprouve. Le roman inaugural, La Famille Kaekebrœck (1901), sera suivi de six autres : Pauline Platbrood (1902), Les Noces d'or de M. et Mme Van Poppel (1902), Les Cadets de Brabant (1903), Le Mariage d'Hermance (1905), Madame Kaekebrœck à Paris (1910) et – après une longue interruption – Le Roman d'Hippolyte (1927). Sans appartenir au cycle, Le Petit Pœls (1913) sera de la même veine.
Le public s'enthousiasme pour ce type nouveau de roman régional, pour ces intrigues simples, pimentées d'anecdotes, pour cette galerie de personnages pris sur le vif, pour ce style allègre et imagé, contrastant avec le français dénaturé des protagonistes. Innovateur entraînant, Courouble aura des émules, parmi lesquels les auteurs fameux du Mariage de Mlle Beulemans.
La mort de son fils unique Robert, le 23 avril 1915, sur le front de l'Yser, plonge l'écrivain dans un tel désarroi que, après la guerre, il quitte la Belgique et se réfugie à Toulon. Dans les premiers temps de son évasion, il se borne à envoyer des articles à La Gazette et à correspondre avec l'Académie, qui l'a élu le 12 novembre 1921. Puis, le sortilège des souvenirs opérant en secret, il éprouve un revenez-y pour le terroir dont il a été l'observateur amusé et attendri. Ce retour aux sources produit trois ouvrages : Le Roman d'Hippolyte (1927), qui se déroule pendant la guerre et, tristement, clôture la série des Kaekebrœck, Prosper Claes (1929) et L'Étoile de Prosper Claes (1930).
C'est à Bruxelles que Léopold Courouble meurt, le 17 mars 1937.