Donner la parole à des pères, recueillir leurs témoignages, sentir leurs voix se briser ou la colère les emporter, être témoin de toutes ces histoires, parfois si banales mais pourtant toutes si particulières… tel est le projet que Julie Annen a entrepris après s’être replongée dans sa propre enfance, son propre rapport à cet homme qui faisait pleinement partie de son entourage et pourtant qu’elle avait – et a encore – l’impression de mal connaître. Convaincue que ces paroles, aussi anodines qu’elles puissent paraître, faisaient écho en chacun de nous et s’avéraient finalement universelles malgré les origines très différentes de ceux qui les prononçaient, elle a décidé d’en réunir un certain nombre dans cet ouvrage, puis de les mettre en scène. En espérant que le lecteur aura autant de plaisir et d’intérêt qu’elle à les découvrir, et que d’autres créateurs manifesteront le désir de les faire partager à travers les formes d’expression les plus diverses.
Auteur de Les pères
"De là d'où je viens quatre noms suffisent pour ne pas se perdre: ceux des trois montagnes et du lac qui entourent la vallée. Depuis neuf ans que je vis à Bruxelles, il m'arrive encore d'hésiter sur la direction du métro quand je monte à bord. Et pourtant, depuis tout ce temps, j'ai mis au monde un premier fils qui connait le plan de la STIB par coeur, vu des spectacles aux quatre coins de la ville, mis en scène six pièces à droite et à gauche, fait quatre ans d' études à l'INSAS en déménageant presque une fois par an, mis au monde un deuxième fils qui part toujours dans la direction opposée à la mienne et acheté une carte du Bruxelles cyclable pour rouler en vélo. Peut-être est-ce pour cela que je suis heureuse ici: une ville où l'on se perd nous oblige à rester toujours en éveil, attentif et curieux du monde qui nous entoure."
Julie Annen est originaire de Genève. Née en 1980, elle passe son enfance en Suisse, avant de s’installer à Bruxelles pour suivre, de 2001 à 2005, les cours de mise en scène et techniques de plateau à l’Institut National Supérieur des Arts du spectacle (INSAS), dont elle sortira diplômée.
C’est logiquement en mise en scène qu’elle fait ses premières armes théâtrales : en 2005, La Sorcière du placard aux balais de Pierre Gripari (spectacle primé à Huy en 2006, et qui tournait encore en décembre 2009) ; en 2006 Eros Medina de Thierry Debroux ; en 2007, Histoires d’hommes de Xavier Durringer, etc.
Elle assure également, en parallèle, sur différents projets, les rôles d’assistante, assistante à la mise en scène, chargée de production, etc.
Par nécessité d’abord, par goût ensuite, Julie Annen se lance dans l’écriture dramatique, tout en poursuivant son travail de mise en scène.
Elle s’attaque d’abord à la traduction et à l’adaptation (La Tempête de Shakespeare, Messieurs les enfants de Daniel Pennac) puis s’engage dans une écriture originale avec Ceux qui courent, créé à Lausanne en 2009.
Elle est par ailleurs co-fondatrice de la compagnie PAN ! (www.panlacompagnie.org), née en Suisse et basée à Bruxelles, qui est active dans le secteur jeune public.
Léa et Ted se retrouvent sur la Rambla, à Barcelone. Un rendez-vous qui semble ne pas avoir été convenu,…
Le chant du signe : Dramaturgies expérimentales de l’entre-deux-guerres
Pierre PIRET , Le chant du signe. Dramaturgies expérimentales de l’entre-deux-guerres , Circé, coll. « Penser le théâtre », 2024, 210 p., 24 €, ISBN : 978-2-84242-510-4 Nonobstant le fait qu’ils ont produit leur œuvre pour l’essentiel dans l’entre-deux guerres, que peuvent avoir en commun des dramaturges aussi différents que Fernand Crommelynck, Paul Claudel, Michel De Ghelderode, Jean Cocteau, Roger Vitrac, Henry Soumagne, Guillaume Apollinaire ? Si l’on se réfère aux études existantes, seules quelques analogies très partielles sinon superficielles ont été mises en lumière. Or, malgré sa brièveté, cette période fut marquée dans les domaines tant musical que plasticien et littéraire par une forte volonté des créateurs de mettre en question les codes établis – notamment ceux du théâtre de boulevard – et d’innover sans craindre de provoquer. Cette volonté s’étant exprimée dans un grand désordre apparent, sans qu’on puisse la ranger dans le tiroir « avant-gardes », c’était une gageure d’y reconnaitre une logique commune et, à fortiori, de détailler les rouages d’une telle logique. Voilà le défi que vient de relever brillamment Pierre Piret, professeur au Centre d’Études théâtrales de l’UCLouvain, en s’appuyant sur la panoplie conceptuelle de la psychanalyse lacanienne – on voit mal, tout compte fait, quelle autre grille d’analyse aurait pu convenir à la tâche. Déjà naissante avant la guerre de 14-18, une prise de conscience s’est progressivement répandue et amplifiée chez les dramaturges concernant le système et les fonctions du langage verbal. Loin de se réduire à un outil docile d’expression et de communication, celui-ci impose sa loi différenciatrice et structurante à l’ensemble de l’activité psychique et, par là, permet rien de moins que la genèse de la pensée. De cette primauté fondamentale résultent trois grands effets aliénants. D’abord, la langue est léguée à l’enfant par ses prédécesseurs : les seuls mots disponibles pour s’identifier et s’exprimer sont venus de l’Autre. Chacun à leur manière, Crommelynck, Ghelderode et Vitrac ont illustré cette altérité dans Le cocu magnifique, Pantagleize, Victor ou les enfants au pouvoir et plusieurs autres pièces. Une deuxième contrainte résulte de ceci que les mots forment un système clos sur lui-même et radicalement incomplet ; ainsi le sujet est-il entrainé dans une chaine infinie de renvois sans origine ni aboutissement. Les pièces de Claudel et de Soumagne sont particulièrement déterminées par cette organisation langagière, qu’il s’agisse du Soulier de satin ou de L’autre Messie. Enfin, la parole étant structurellement équivoque, elle fait de l’allocutaire non pas un simple « décodeur » comme on le croyait, mais le véritable faiseur de la signification, amené à se frayer un chemin parmi l’entrelacs de signifiants auquel il est confronté. Préoccupés par ce renversement, Cocteau et Apollinaire ont accordé une place stratégique au mécanisme allocutif dans leurs pièces Les mariés de la Tour Eiffel, La voix humaine, Les mamelles de Tirésias. Au-delà de leur grande diversité, et grâce à un examen extrêmement minutieux, Pierre Piret montre que toutes ces pièces présentent plusieurs points communs. Dans chacune le héros (l’héroïne) suspend son existence à la question de la vérité et joue par là sa propre vie. Partagé entre le rôle qu’il tient et le rôle qu’il désire, il n’entre pas vraiment en conflit avec ses semblables mais s’efforce de les discréditer : devenant incompréhensible à leurs yeux, il s’écarte irrémédiablement du cercle familial ou social. Il s’agit en bref d’une « dramaturgie métonymique », soutenue par une fuite en avant continuelle où chaque solution successivement espérée se révèle illusoire, et où dès lors nul dénouement n’est possible. Rompant avec la tradition théâtrale, les pièces analysées mettent en cause de manière insistante la fonction du mode interpellatif inhérent au théâtre, soulignent l’aliénation qui en est inséparable, en ce compris le rôle du public, et précisent dans ce but les conditions de mise en scène. L’entre-deux-guerres théâtral en langue française n’est donc pas aussi disparate qu’on le croyait. Les pièces étudiées dans Le chant du signe – jeu de mots lacanien ? – reflètent la mutation épistémique majeure amorcée par le linguiste Ferdinand de Saussure et y réagissent par des innovations dramaturgiques très imaginatives. Ceci dit, et c’est regrettable, le livre de Pierre Piret n’est accessible qu’à des lecteurs avertis, de préférence familiers des théories de Jacques Lacan. Mais, après tout, celui-ci ne parlait ni n’écrivait pour le grand public… Daniel Laroche Les stratégies d’expérimentation théâtrale mises en œuvre par Apollinaire, Claudel, Cocteau, Crommelynck, Ghelderode, Soumagne ou Vitrac radiographient, selon l’auteur, une mutation civilisationnelle majeure. Ces innovations dramaturgiques qui paraissent gratuites ou absurdes témoignent en réalité d’une interrogation fondamentale…