Les effigies

RÉSUMÉ

Préface par Jean-Luc Wauthier
Portrait par José-Willibald MichauxÀ propos du livre

Les effigies sont les figures inoubliables qui peuplent la mémoire. Elles surgissent en nous pour nous rappeler sous quelles espèces le sens ce notre vie prend forme dans notre temps intérieur. Le récit de Georges Thinès participe à la fois de l’autobiographie et du mythe. Fasciné…

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La première classe dans laquelle je pénétrai en 1929 était une salle commune qui groupait les six années du primaire. À trois mots près, cette phrase aurait pu être écrite par un géologue, car pour eux comme pour les instituteurs, le primaire groupe tout ce qui est préalable, fondamental, largement inconnu : c'est, selon le cas, la somme de toute l'ignorance ou de tous les ignorants.

La salle était vaste, claire, ouverte par un panneau vitré sur une cour vaguement sableuse. Les vitres avaient été passées à la peinture blanche jusqu'au tiers de la hauteur pour éviter les distractions. Les bancs, crevassés par des inconnus de la génération précédente, avaient été vernis à neuf pour donner un peu de sérieux pédagogiques à l'école ouverte quelques années plus tôt, à Altenbrück, petit village proche de la frontière allemande. Ce n'était pas l'école du village. Celle-là, nous ne la connaissions guère. Nous avions qu'elle était derrière le charbonnage, coincée entre des bois de pins rabougris et des ateliers tout neufs. Nous l'appelions la vieille école et nous ne comprenions pas le patois bas-allemand des enfants qui la fréquentaient, des enfants hirsute pleins d'arrogances gutturales. Notre école dépendait du charbonnage fondé au lendemain du traité de Versailles. Elle était réservée aux enfants des ingénieurs et des employés français. Plus tard vinrent des Belges, des Tchèques, des Polonais, beaucoup de Russes. Superbes les Russes, bagarreurs, excellents élèves comme le veut la légende. Les inscriptions à moitié rabotées attestaient que les bancs venaient de la vieille école. Ils étaient fort commodes. L'extrémité de la tablette était articulée et donnait accès à un casier peu profond dans l'angle duquel on logeait aisément les gommes au contact du bois.
Table des matières

Esquisse pour un portrait

Préface

I. Les cartes murales
II. Les armatures
III. Les eaux dormantes
IV. L'occupation romaine
V. L'Anabase
VI. Gloses sur le stratège
VII. Porté disparu
VIII. Le festin des Oligarques
IX. La fin des stratèges
X. L'onagre babylonien
XI. Histoire du déserteur
XII. Le songe de Xénophon
XIII. Les cités désertes
XIV. La mer ou la mort
XV. Apanthomancie
XVI. Cérasonte
XVII Message d'exil

Notice bio-bibliographique

À PROPOS DE L'AUTEUR
Georges Thinès

Auteur de Les effigies

Georges Thinès naît à Liège, le 10 février 1923. Il mènera de front trois carrières différentes encore que complémentaires : celle d'homme de sciences; celle d'écrivain (dans laquelle il abordera du reste la quasi-totalité des genres); celle de violoniste et de musicien. D'entrée de jeu donc, Thinès apparaît comme un écrivain fasciné par la science et par la musique. Mais il serait un peu court d'en rester à ce constat, relativement évident. Fils d'un ingénieur des mines, Thinès voyagera dès l'enfance au gré des déplacements professionnels de son père; les premiers paysages qui le fascineront seront ceux de la Campine, auxquels se juxtaposera le monde souterrain et mystérieux des galeries de mines, parcourues très tôt en compagnie de son père. Il fera ses études au Collège de Visé, lieu d'une rencontre capitale : celle de l'adolescent avec le monde romain, dont la contraction verbale et les mystérieuses effigies ne cesseront plus de le hanter. À la fin de la seconde guerre mondiale, il s'engage dans la Royal Navy puis reprend, à l'Université de Louvain, des études de psychologie et de philosophie qui le conduiront à une brillante carrière scientifique couronnée dès 1971 par le prix Francqui. Si l'exercice de la littérature lui fut naturel très tôt, ce n'est qu'en 1959 – il a trente-six ans – qu'il se décide à sauter le pas de la publication avec un recueil, Poésies, dont Georges Jacques dira qu'on y découvre une influence de la dialectique valéryenne et un intérêt pour les problèmes du graphisme et de la géométrie spatiale. Dès lors, l'écrivain semble vouloir rattraper le temps perdu, les œuvres paraissant couler de source. Mais il est à noter que, en permanence, la poésie restera pour lui la source la plus secrète et la plus essentielle de sa démarche créatrice. Son premier ouvrage en prose, Les Effigies, est publié par Gallimard en 1970. Thinès y mêle autobiographie et réflexion sur le temps, un des thèmes majeurs de toute l'œuvre à venir. C'est aussi l'hommage d'un écrivain à tous ceux qui, dans son adolescence, lui ont ouvert les portes du monde romain, civilisation-mère génératrice d'action et de magie. Les œuvres romanesques qui suivent forment un tout cohérent et rigoureux : Le Tramway des officiers (qui paraît en 1974, après avoir reçu le prix Rossel) est, en apparence, le plus classique des romans de Thinès : le pré-texte (au sens littéral) de l'Occupation, permet à l'écrivain de mener une réflexion sur la liberté, le réel, les apparences et l'ambiguïté existentielle, le bonheur, les hasards objectifs, et de démonter, sans avoir l'air d'y toucher, les ressorts du roman traditionnel qui, jamais, n'intéressera Thinès, sinon, en quelque sorte, comme objet de dissection intellectuelle. Comme libéré des dernières dettes envers le roman réaliste, Thinès devient, avec L'Œil de fer (1977), un écrivain fasciné par la double énigme que suscitent la création littéraire et l'existence de l'homme elle-même. Dès lors, les grands thèmes chers à Thinès – qui est élu le 10 juin 1978 à l'Académie, au fauteuil de Marcel Thiry – sont en place : fascination pour un double illisible, celui du texte et celui de la destinée; quête nostalgique de l'enfance irrémédiablement perdue certes, mais que la fiction permet de retrouver et de ressourcer («Écrire, disait Blanchot, c'est se livrer à la fascination de l'absence de temps»); thème corollaire de l'écoulement tragique du temps qui fait toute la dramaturgie existentielle; désir parallèle de recréer les images du passé en les mêlant dans un baroquisme particulièrement poussé (ce qui, à tort à mon avis, a poussé certains à reprocher un intellectualisme à Thinès là où il y a poésie et concept); enfin, fascination constante pour la musique qui, traversant le temps et les Babel langagiers, apparaît comme le message humain le plus universel. On retrouvera tous ces thèmes et ces techniques d'écriture, aussi bien dans Les Objets vous trouveront (1979), Les Vacances de Rocroi (1982) que dans Le Désert d'alun (1986) ou le récent La Face cachée (1995). En outre, et comme il fallait s'y attendre, le personnage-clé de Faust, celui qui a tenté d'apprivoiser le temps et qui y a laissé son âme, revient, dans l'œuvre d'une manière récurrente (Théorèmes pour un Faust, 1983, Le Quatuor silencieux, 1987). Dans le domaine de la nouvelle, Thinès pourrait reprendre à son compte l'image de Marcel Thiry, puisqu'il nous donne à voir le grand possible. On ne peut guère, en effet, parler d'étrangeté ici, mais plutôt d'un regard sur tous les possibles biologiques, temporels, spatiaux. Cet aspect de l'œuvre de Thinès semble compter parmi les plus accomplis, avec, par exemple, L'Homme troué (1981). Depuis les années quatre-vingt-dix, s'il a abordé avec talent le domaine du théâtre (avec La Succursale et L'Horloge parlante en 1991), c'est cependant la poésie qui paraît requérir idéalement l'écrivain : sans doute cette forme supérieure d'écriture lui permet-elle de faire défiler, dans la solitude du Verbe multiple, les fantasmes et les replis de sa mythologie. Les titres eux-mêmes de ces œuvres récentes sont éloquents et traduisent bien les bouleversements métaphysiques et humains qu'elles illustrent : Les Cités interdites (1990), L'Imperfection (1993), Gémonies (1995) et Janus (1996). Homme multiple dans sa cohérence créatrice, Thinès apparaît bien comme un des esprits les plus subtils et les plus déliés de notre temps. Ayant mis Athéna au service d'Orphée, il a réussi à marier création secrète et réflexion sur le monde, ses formes et ses mystères, de la pénombre des abysses aux lumières des cités interdites. Georges Thinès nous a quittés le 25 octobre 2016.

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