C’est d’abord l’univers étrange d’une ville en ruines qu’explore le héros avec émerveillement. Peu à peu, la vision des murs énormes à abattre, des ferrailles à couper et à broyer éveille dans l’être jeune et impatient qu’est Robin un rêve primitif de destruction et de possession totale. Il se fait démolisseur. Les murs tombent sous le coup de machines insolites, les carcasses sont brûlées, découpées, et Robin entasse cette écume du temps avec une joie presque mystique et une frénésie démoniaque. C’est alors l’aventure d’un homme aux prises avec les choses dans un univers étranger à l’homme et qui le menace. Ne connaissant ni dieu ni homme, il veut percer le secret de cette existence sans leur secours : idolâtrie redoutable des choses. Tantôt il retient, tantôt il détruit. Il croit ainsi, dans sa démesure, rompre la toile fine du temps. Mais c’est en despote solitaire qu’il mourra, dans un univers dont l’ordre lui échappe. Car rien n’est ici fixe ; la ville se reconstruit ; une nouvelle vie reprend. La fragile Chée, sa compagne de jeux ambigus, ne peut l’empêcher de mener jusqu’à son terme sa quête d’absolu. Elle revient non sans déchirement vers l’homme placide et rusé qui lui assure un univers à sa mesure. Lorsque l’on trouve le cadavre exsangue du démolisseur, l’enfer des choses a pris fin. N’existait-il que dans la tête de Robin, ou est-il réservé à ce couple prudent qui écarte d’un geste anodin un vieux rêve grandiose et inhumain ?
Éric Derkenne a fait du visage le théâtre de ses précises opérations.Jour après jour cerné de lignes ombrageuses, le siège du combat se disloque en de sombres cavités. Les yeux, les oreilles, les narines, la bouche sont autant de gouffres que l'artiste sonde inlassablement et qui emportent celui qui les scrute dans des tourbillons vertigineux. Les têtes prennent corps et dans ce bataillon de figures totémiques, chaque soldat se distingue grâce à une infinité de détails graphiques.Parti d'un bigbang de formes colorées et isolées dans l'espace, Éric Derkenne a mis en place au fil des ans une méthode précise et immuable, un réseau de circonvolutions de cercles et de serpentins qui envahit la feuille blanche, donnant naissance à d'énigmatiques portraits. Tel une « dentellière du stylo à bille », il s'est abîmé avec application dans ce lent ouvrage de tissage, d'entrelacement de lignes, ceignant sa propre image, par maints assauts répétés. À l'identité qui défaille, Éric Derkenne a répondu…
Après la guerre, Ange, le gardien de phare que tout le monde appelle Gueule cassée, guette depuis sa tour de pierre le retour de…