Utiliser Wikipédia pour valoriser les langues régionales. Réflexion
On a beaucoup critiqué Wikipédia. Dès sa création, son fonctionnement a suscité des réactions indignées : cette encyclopédie est alimentée par des volontaires issus de tous horizons, qui en rédigent les entrées et établissent des relations hypertextuelles avec des données internes et externes au site. Voici le premier volet d’une réflexion à ce sujet (à suivre dans la prochaine livraison de Wallonnes). * Les réserves furent nombreuses dès sa création en 2001, parfois à juste titre, car cette démarche laissait croire que n’importe qui pouvait y écrire n’importe quoi, sans approche critique, sans structure ni recours à des sources. Pourtant, parce qu’elle est gratuite, Wikipédia a d’emblée été une des sources d’information les plus consultées par les internautes, sur tous les sujets. En 2016, elle reste le site culturel francophone le plus consulté. Depuis 200$, les choses ont quelque peu évolué. Bien que les défauts évoqués ci-dessus n’aient pas complètement disparu, les qualités du système les ont estompés. En effet, les experts des matières les plus diverses ont cherché à s’investir, eux aussi, et ont commencé à corriger, à documenter et à certifier les informations présentées, en évoquant des sources fiables ou en citant des auteurs légitimes. La méfiance première des spécialistes a laissé place à une volonté de participation active. Par ailleurs, Wikipédia se présente comme une encyclopédie en perpétuelle évolution. Contrairement aux encyclopédies traditionnelles, l’Encyclopediae Universalis en tête, Wikipédia propose à l’internaute d’adopter une attitude coopérative. L’internaute n’est plus seulement celui qui reçoit l’information, il est aussi celui qui la valide, qui la corrige ou qui la crée. Pour cette raison, Wikipédia est beaucoup plus ouverte à des savoirs moins représentés dans les encyclopédies écrites, et notamment aux langues et aux littératures en langues régionales. En 2016, il s’avère que les versions de Wikipédia écrites en langues régionales représentent plus de 50 % du total des langues régionales. Après la version anglophone, la version catalane était, d’ailleurs, la première version créée. À l’heure actuelle, rien que pour l’espace « francophone », des versions alsacienne, basque, bretonne, corse, franco-provençale, flamande, luxembourgeoise, normande, occitane, picarde, tahitienne et wallonne sont régulièrement alimentées en informations neuves. En outre, un des modules du groupe Wikipédia, le Wiktionnaire, sorte de dictionnaire universel libre, permet une description des termes, de leur étymologie, la présence d’exemples et une comparaison des différentes variantes d’un même terme. Mis en relation avec les Wiktionnaires d’autres langues, il permet finalement une traduction automatique, toutes proportions gardées. Il me semble donc opportun de nous interroger sur le rôle que les défenseurs et les promoteurs des langues régionales seront amenés à jouer dans cette formidable entreprise participative. Plusieurs questions méthodologiques s’imposent : quel regard porter sur ce site ? Faut-il s’y impliquer ? Que retenir ? Que présenter ? Faut-il chercher à développer une version wallonne ? Comment l’organiser ? Sous quelle forme ? Quel intérêt peut avoir une présence dans la Wikipédia ? Pour cette première réflexion, je propose de nous limiter à l’introduction de présentation des langues régionales au sein de la version francophone. Nous reviendrons plus longuement sur une version wallonne. Nous reviendrons également sur les possibilités offertes par le Wiktionnaire. XX Wikipédia francophone: état des lieux Actuellement, la langue wallonne et une trentaine d’auteurs sont référencés sur la Wikipédia francophone. Pour la plupart, ces notices ne font état que d’éléments biobibliographiques simples : naissance et éventuellement décès, activité principale, listes des œuvres majeures. On notera que de nombreux dialectologues wallons sont repris : Jean Haust, Jules Feller, Louis Remacle, Maurice Piron, Élisée Legros, Jean Guillaume, Arille Carlier, Maurice Delbouille, Jules Herbillon, Albert Henry, Willy Bal, Léon Warnant... et jusqu’aux plus récents : André Goosse, Jean-Marie Pierret, Jean Germain, Daniel Droixhe, Michel Francard. Quant aux auteurs, on retrouve de grands noms de la littérature wallonne : Hubert Ora, Lambert de Ryckman, Simon de Harlez, Charles- Nicolas Simonon, Nicolas Defrêcheux, Joseph Grandgagnage, Édouard Remouchamps, Henri Simon, Eugène Gillain, Jean Lamoureux, Jacques Bertrand, Joseph Calozet, Joseph Vrindts, Georges Ista, Henri Bragard, Gabrielle Bernard, Théophile Bovy, Marcel Hicter, Géo Libbrecht, Émile Lempereur, Paul André, mais également Émile Gilliard, Julos Beaucarne, Jean-Luc Fauconnier, Guy Fontaine, André Capron. Certains projets d’éditions, comme l’Atlas linguistique de la Wallonie, et quelques institutions, comme le Musée de la vie wallonne, la Bibliothèque des dialectes de Wallonie ou la Société de langues et de littératures wallonnes y figurent également. Même si cette sélection présente des auteurs et des philologues de qualité, on regrettera que la moisson soit si maigre quand on connaît la multitude d’auteurs et de philologues wallons qui mériteraient d’être au moins cités. On s’étonne également que le théâtre wallon soit finalement très peu présent, alors qu’il s’agit de la facette la plus visible et la moins méconnue de nos langues régionales. Par ailleurs, le référencement des articles n’est pas toujours idéal et la liste d’écrivains de langue wallonne se mélange à celle des écrivains d’origine wallonne mais de langue française. Heureusement, on peut constater que la plupart des pages font référence à des sources fiables, comme l’Anthologie de la littérature wallonne de Maurice Piron ou l’Encyclopédie du Mouvement wallon, éditée par l’institut Jules Destrée. Il me semble que la simple présence de ces données nous impose au minimum un contrôle et une validation de celles-ci. Quoi qu’on en pense, Wikipédia est une des sources les plus consultées et les plus usitées. Déontologiquement, nous ne pouvons donc pas laisser des inepties ou des incorrections présentes sur cette interface. Quelles actions mener et pourquoi s’investir dans ce genre de démarche ? Il est malaisé de se lancer dans un large projet d’écriture sur Wikipédia, sans avoir reçu une formation complète à ce type de programme. En revanche, il me semble plus simple de pouvoir corriger les erreurs épinglées, simplement en modifiant les articles déjà présents. Dans tout article, il faudrait évidemment adopter une attitude d’encyclopédiste, autant que faire se peut. La majorité des superviseurs d’articles imposent la référence à des articles et des ouvrages reconnus. Les articles nouvellement créés sont relus par plusieurs personnes qui y traquent la moindre trace de militantisme ou de subjectivité. La Wikipédia francophone, bien plus que la version wallonne dont nous reparlerons, est encadrée par de nombreuses personnes volontaires qui veillent à son bon fonctionnement. Enfin, il me semble que les langues régionales ont tout intérêt à s’insérer dans ce processus international et tourné vers l’avenir. La tendance actuelle est de pouvoir disposer, via le web, de tous les savoirs, partout et tout le temps. Malheureusement, un renseignement absent de ces systèmes de référencement internationaux aura tendance à être oublié. Si Wikipédia permet d’offrir une visibilité large aux sujets qui nous tiennent à cœur, elle aura également comme fâcheuse tendance de plonger dans l’ombre tout ce qui ne s’y trouve pas référencé. [ À suivre ] © Baptiste Frankinet, 2016 NOTE 1. On n’hésitera pas à consulter Rémi Mathis, « Wikipédia comme ressource », dans Actes…
La Fédération Wallonie-Bruxelles à la Foire du livre de Bruxelles
Du 5 au 8 mars, la Foire du livre de Bruxelles prendra ses quartiers à Tour et Taxis. Cette édition,…
La critique à l’ère numérique (in Dossier)
Écrire sans contraintes avec autant de photos ou de documents possibles, ne pas être assujettis à un nombre de caractères ou à un format, c’est possiblement une promesse de la presse numérique et des revues web. Comment ces revues ont-elles vu le jour ? Comment fonctionnent-elles ? Qui les font ? Y a-t-il un revers de la médaille, le web est-il vraiment un paradis ? Blogs, sites, agendas en ligne, sites d’artistes, l’information web est protéiforme. Alors comment se repérer sur la toile et trouver le chemin qui mène à l’information ? Puisque, paradoxalement, ce n’est pas parce qu’elle est en ligne, qu’elle est accessible. * La filiation papier et web La corrélation directe entre le web et le papier permet de s’orienter plus facilement. Les journaux, généralistes comme Le Soir, La Libre Belgique, ou spécialisés tels que Mouvement, Inferno, développent un format web en lien avec la version papier. Dans ce cas, l’accès parait simple, bien que la subtilité des « tags » (étiquettes) et dénomina- tions complexifie la recherche (sous le mot « scène » se retrouvent des articles que l’on ne trouve pas sous le mot « danse » et vice versa). Là s’ouvre la boîte complexe de la terminologie. De plus, écrire pour le web ne garantit en rien que l’on est lu. Les moteurs de recherche fonctionnent de telle façon que plus un site est consulté plus il va appa- raître en tête de liste lorsque l’on fait une recherche. La boucle est bouclée qui rend parfois complexe l’accès à des initiatives plus inventives et spécifiques. En 2013, Agnès Izrine décide de faire une version web du magazine Danser. La fin de 30 ans de parution avait été si abrupte et difficile que, selon sa rédactrice en chef, « cela ne pouvait pas finir comme ça ». En créant « Dansercanalhistorique », elle pense alors développer un magazine web plus ou moins éphémère. L’expérience est un succès : le site est au- jourd’hui encore actif et enregistre jusqu’à 7 000 consultations par mois. Les lecteurs du magazine papier se sont déplacés vers le site, animé par l’équipe originale de la version papier. « Dansercanalhistorique » est le prolongement numérique de ce que fut le magazine Danser, une référence en termes de magazine spécialisé traitant de toutes les danses. La ligne éditoriale est de même facture, avec la possibilité d’augmenter l’espace des photos et d’ajouter des liens vidéo, et la liberté de sortir des contraintes du nombre de caractères. En- thousiaste, Agnès Izrine voit dans le numé- rique des possibilités pour l’avenir. Le numérique, c’est l’indépendance... Pour Marie-Christine Vernay, l’aventure commence quand elle claque la porte de Libération pour fonder le site « Delibere.fr » avec Édouard Laumet et René Solis. « L’essentiel était de préserver un espace d’écriture et un espace critique qui, pour nous, n’existaient plus. L’intérêt du web réside dans le fait qu’il n’y a pas de limite, on n’est pas cadré par des pages, des ultimatums autres que nos propres envies. J’ai inventé – ce que l’écrit papier ne me permettait pas auparavant – une chronique intitulée Chanson de gestes, où je décrypte les gestes quotidiens des gens, les gestes qui apparaissent, ceux qui disparaissent. Le web élargit le champ et permet de traiter de la danse de différentes façons. » Pour « Radio Bellevue Web », Marie-Christine Vernay ouvre de nouveaux espaces, imagine une rubrique où elle pose une simple question – « Est-ce que vous dansez ? » – à des politiques, des chorégraphes, et, ce faisant, éclaire la danse en creux. Le web peut s’avérer un champ d’investigation, d’inventions, une création de nouveaux espaces pour une pen- sée personnelle, une façon de se libérer de la contrainte du papier. ... mais c’est aussi le bénévolat Quelle est la différence entre un site et un blog ? La frontière est très poreuse. Le blog a priori s’apparente au journal intime ou au carnet de notes, souvent tenu par une seule personne, contrairement au site qui serait réalisé par une équipe. Cependant, nous pourrions citer une dizaine de contre-exemples avec des blogs menés à plusieurs. D’un point de vue technique, un site et un blog n’ont pas la même sorte d’interface et d’arborescence, mais la frontière n’est pas si tranchée, des blogs pouvant ressembler à des sites et vice versa. Blog ou site, ce qu’offre l’internet à la critique se résume à du bénévolat et à des personnes qui s’essaient à la quadrature du cercle pour trouver des moyens de financement. Ainsi, si Agnès Izrine bénéficie d’une subvention du ministère de la Culture, qui lui permet tant bien que mal de payer ses collaborateurs, elle trouve les annonceurs encore trop frileux et n’est pas encore parvenue à trouver un équilibre financier. À « Radio Bellevue » et à « Delibere.fr », tous les collaborateurs sont bénévoles. Selon Marie-Christine Vernay, les moyens financiers restent encore à inventer. Un espace pour l’émergence ? Le projet du blog « Un soir ou un autre » mené par Guy Degeorges emprunte des voies bien différentes. Son auteur a commencé il y a une dizaine d’années. Animé par le désir d’écrire, il s’est tourné vers la critique de théâtre et a rencontré la danse après coup, un peu par hasard. L’aventure est modeste : Guy Degeorges travaille seul, il revendique un non professionnalisme et affirme une subjectivité. Il est curieux et, à force d’écrire sur les formes émergentes et la jeune danse, il a peu à peu intégré le monde professionnel de la danse parisienne. Les jeunes chorégraphes l’invitent à voir leur premier spectacle, pour lequel ils espèrent en retour un article. Depuis 10 ans, Guy Degeorges est le témoin privilégié de l’émergence parisienne, avant lui peu relayée par la presse, par manque de temps, par manque de place. Car la presse web sert aussi à cela : ouvrir des espaces et faire découvrir de nouvelles démarches. Sarma, espace de ressources pour artistes et théoriciens Ouvrir des espaces pour les pratiques discursives a été un des moteurs de la création de l’association flamande Sarma en 2000. La première impulsion de Jeroen Peeters et Myriam Van Imschoot, critiques et fondateurs du projet, était de collecter articles et écrits sur la danse et la performance, de créer des archives qui puissent être consultées en ligne, et devenir vivantes au service des artistes aussi bien que des théoriciens. Sarma est devenue au fur et à mesure de son développement une véritable plateforme de recherche où pratique et théorie dialoguent, où critiques, artistes, dramaturges et théoriciens se rencontrent et collaborent, où les frontières entre chercher et faire deviennent poreuses. L’association élargit ses activités en organisant des col- loques, invite des artistes à partager leurs pratiques et leurs questionnements, interroge les pratiques en lien avec la dramaturgie, crée des événements avec des universités comme celle de Stockholm ou encore la formation EXERCE à Montpellier. Tout en gardant le fil ténu de la relation théorie, pratique discursive et création, Sarma se déploie avec une inventi- vité infinie. En 2012, elle crée « Oral site », une plateforme consacrée à l’oralité, considérant que la création de discours, les traces et les archives ne sont pas uniquement le fait de l’écrit et qu’il serait temps d’embrasser le travail du son et du dessin dans cette réflexion. Ainsi, depuis plus de dix ans maintenant, la presse web a totalement intégré le circuit de production du spectacle vivant. Elle écrit des ar- ticles qui sont relayés par les institutions culturelles, les compagnies de danse, leur donnant, littéralement, une visibilité ; elle nourrit le travail et la réflexion des artistes et ce faisant offre une plus-value, pour utiliser le champ sémantique de l’économie. Les compteurs…