LA CATHEDRALE DE BRUME

À PROPOS DES AUTEURS
Paul Willems

Auteur de LA CATHEDRALE DE BRUME

Né le 4 avril 1912, Paul Willems passe son enfance dans la propriété familiale de Missembourg, à Edegem, près d'Anvers, où les automnes et les hivers merveilleusement solitaires, les journées et les mythes, la nature et les légendes mis en mots par sa mère, la romancière Marie Gevers, l'éveillent à la magie d'un lieu isolé et d'une langue qui n'est pas celle des alentours. La vie lui fait parcourir, autour du domaine enchanté, des cercles de plus en plus larges; toujours, cependant, il revient à Missembourg et à l'Escaut qui coule vers le grand large, le fascine et l'appelle. Après ses études secondaires à Anvers et un périple de deux mois dans l'Atlantique, il entreprend le droit à l'Université libre de Bruxelles et lit Joyce, Hamsun et Lawrence. Il se spécialise en droit maritime, puis il voyage en France où il rend visite à Giono, et séjourne en Bavière où il découvre le romantisme allemand qui, par le biais de la peinture — il est fasciné par l'œuvre de Caspar David Friedrich — et de l'écriture — il lit avec passion Novalis, Kleist et Brentano s'attache au mystère des choses. Revenu en Belgique après cet apprentissage majeur, il devient avocat stagiaire au barreau d'Anvers, puis il entre, pendant les années de guerre, au service du ravitaillement, et épouse Elza De Groodt. Le roman qu'il a commencé à son retour d'Allemagne est publié en 1941 : Tout est réel ici. Dans ce texte frémissant d'images, de subtiles analogies font peu à peu disparaître la frontière entre le prosaïque et le merveilleux, le quotidien et le rêve. Une même dimension féerique marque L'Herbe qui tremble (1942), une sorte de journal intime mêlé de récits, et La Chronique du cygne (1949). On la retrouve également dans le premier théâtre de Paul Willems. Devenu secrétaire général du Palais des Beaux-Arts, il rencontre Claude Étienne qui lui commande une pièce pour le Rideau de Bruxelles, Le Bon Vin de Monsieur Nuche, accompagné d'une musique d'André Souris. Il donne ensuite, de 1951 à 1962, Peau d'ours, Off et la lune, La Plage aux anguilles et Il pleut dans ma maison (sa pièce la plus célèbre, créée d'abord en langue allemande à Vienne et à Cologne, jouée à Bruxelles avant de l'être à Moscou, à Omaha et à Belfast…), autant de moments où la fantaisie le dispute à la poésie. Une inquiétude, cependant, s'y fait jour: il n'est pas de magie ou d'enchantement qui ne laisse apparaître, çà et là, une brisure ou un arrachement. «Il y a certes dans mes pièces des moments de ravissement, dit l'auteur, mais cela ne change rien à mon pessimisme fondamental.» Une noirceur s'installe, qui avait marqué de façon assez foudroyante Blessures, un roman d'une grande densité tragique mûri pendant la guerre et publié en 1945. Le rêve, petit à petit, semble ne plus être qu'un refuge en face de la vie mutilante. Désormais, et pendant plus de vingt-cinq ans, le théâtre de Paul Willems, qui ne méconnaît ni l'âpreté, ni la cruauté ni les dérives langagières, donne à voir les vertiges intérieurs et la débâcle des sentiments, dans un monde plein d'ombres menaçantes, où le temps se fige, où la mémoire est lacunaire et les mots ambigus. Warna ou le Poids de la neige, La Ville à voile (qui obtient le prix Marzotto de même que le Prix triennal du gouvernement belge), Les Miroirs d'Ostende, Nuit avec ombres et couleurs, Elle disait dormir pour mourir et La Vita breve sont des œuvres dramatiques qui mêlent, avec une éclatante maîtrise le sourire et la douleur, la platitude du réel et le rêve d'un ailleurs, l'inventivité verbale et les jeux de miroirs troublants. Elle sont publiées en plusieurs langues (notamment en anglais et en allemand) par les soins de traducteurs fidèles. Elles balisent durant ces années la vie d'un homme qui agit, se déplace et joue un rôle prépondérant dans la vie culturelle. Devenu directeur général du Palais des Beaux-Arts, il sillonne le monde à la recherche de réalisations artistiques qu'il invite le public belge à découvrir. Parmi ces voyages, ceux qui le mènent en Autriche, en Hongrie, en Tchécoslovaquie, en Russie et en Chine le marquent profondément; il découvre, dans ces deux derniers pays en particulier, des formes de poésie, de musique, de danse et de chant dont l'étrangeté et l'intensité l'éblouissent durablement, comme en porte témoignage toute une partie de son œuvre. En 1969, retrouvant une idée qu'il avait déjà eu l'occasion de mettre en œuvre lors de l'Exposition universelle de 1958, il crée avec Franz de Voghel le festival Europalia qui, tous les deux ans, définit un pays par la diversité de ses pratiques artistiques. Un tel miroitement culturel ne l'empêche à aucun moment de retourner au texte, où se joue l'essentiel. Élu à l'Académie le 13 décembre 1975 à la succession de sa mère, il reçoit cinq ans plus tard le Prix quinquennal de littérature pour l'ensemble de son œuvre puis se retire progressivement à Missembourg. Convaincu que l'écriture est un voyage, il convoque ses souvenirs et ses notes et revient, avec La Cathédrale de brume (1984), Le Pays noyé (1990) et Le Vase de Delft (1995) à la forme narrative de ses débuts. Dans ces récits de longueur variable — qui, tous, d'une manière ou d'une autre, appartiennent à ce que l'auteur appelle la mémoire profonde et éclairent l'ensemble de son œuvre —, il tente, en une démarche proche du cheminement initiatique, de cerner d'invisibles blessures et des bonheurs ineffables, de percevoir le dédoublement du monde, d'entrevoir l'envers des choses, de saisir un instant leur autre dimension. Sur tout cela, il s'interroge en autobiographe et en sourcier de l'imaginaire qui passe imperceptiblement de la vie à la littérature, du souvenir à sa transposition poétique dans Un arrière-pays. Rêveries sur la création littéraire (1989). Ce qui se donne à lire, dans ce commentaire qu'il adresse à ses jeunes lecteurs, au cours d'une série de conférences données à Louvain-la-Neuve, est une véritable poétique de la mémoire. Paul Willems est mort le 28 novembre 1997.
Max Elskamp

Illustrateur de LA CATHEDRALE DE BRUME

BIOGRAPHIE

D'une double ascendance, à la fois wallonne et flamande, Max Elskamp est né rue Saint-Paul le 5 mai 1862 dans une riche famille anversoise. À l'Athénée royal de la ville, qu'il fréquente tardivement, il fait la connaissance d'Henri van de Velde. C'est le prélude à une amitié qui durera jusqu'à la mort du poète et qui influencera certaines de ses conceptions esthétiques. Après bien des angoisses, il finit par réussir des études de droit entamées à Bruxelles en 1880. Un bref séjour à Paris le ramène à Anvers à la fin de 1884.

Son premier recueil, encore parnassien, L'Éventail japonais (1886), connaît une édition confidentielle, de même que Le Stylite, un récit élégiaque en prose, non dépourvu d'influences mallarméennes (1891). Avec Henri van de Velde, il entreprend une action en faveur des beaux-arts qui aboutit à la création de deux associations, L'Art indépendant (1886) et L'Association pour l'art (1892), tournées vers la peinture moderne. On est loin, dans ces années de jeunesse, de l'image traditionnelle d'un Elskamp vivant en reclus dans son hôtel du boulevard Léopold.

À la même époque, il traverse une crise psychologique grave dont il sort transformé. Acquis désormais à une conception mystique de l'art et à la recherche d'un langage propre, il rompt avec son milieu bourgeois. La mutation est évidente dans Dominical (1892), qui entraîne les foudres de La Jeune Belgique, peu sensible aux recherches novatrices d'Elskamp. Ce recueil inaugure une première période de la carrière littéraire du poète où, de 1892 à 1898, s'enchaînent Salutations, dont d'angéliques (1893), En symbole vers l'apostolat (1895) et Six Chansons de pauvre homme pour célébrer la semaine de Flandre (1895), illustré de bois gravés de l'auteur. Le Mercure de France rassemble, en 1898, les œuvres précédentes sous le titre La Louange de la vie et assure, pour la première fois, une large diffusion de la poésie elskampienne. Accueilli favorablement par la critique, ce premier cycle scelle sa réputation d'imagier d'une Flandre heureuse, dont il décrit, en réaliste, les petites gens et la piété naïve. L'image dominante de la ville, un thème central de son œuvre devient la métaphore obsédante à laquelle il s'identifie et, selon Christian Berg, la syntaxe virtuelle de l'œuvre à faire, puisqu'elle opère, elle aussi, par raccourcis.

On a attribué à ses origines flamandes l'usage si personnel qu'il a réussi à faire du français. D'après Robert Guiette, Elskamp aurait ainsi sublimé ses sentiments contradictoires face à une culture dont il ne parlait pas la langue. Mais, sous l'apparente simplicité des accents populaires et les influences du folklore, se cache une stylisation savante, une démarche esthétique, qui inscrit Elskamp dans la mouvance symboliste et qui l'apparente aux tenants de l'écriture artiste. Byzantinisation, la tentative d'Elskamp de s'approprier totalement la langue va dans le sens d'un obscurcissement systématique du texte où les images finissent par confluer en une image totale qui transfigure le quotidien, pour amener la poésie à la lisière de la légende et de l'imaginaire. L'accumulation des procédés, empruntés systématiquement à la chanson populaire, génère un effet incantatoire et témoigne d'une exploitation systématique de toutes les possibilités expressives du langage. L'emploi de l'anacoluthe, l'utilisation des constructions en de, les recherches sur le rythme brouillent systématiquement les rapports sémantiques entre les mots, assurant à ses textes un grand pouvoir de suggestivité poétique. Tout cela fait de l'auteur, au-delà du Symbolisme, l'un des représentants de la modernité.

Durant un long silence d'une vingtaine d'années, Elskamp se consacre à des activités de folkloriste, s'intéressant aux traditions et aux objets de l'art populaire : il lèguera ses collections, en 1907, à la ville d'Anvers. Cette même période est marquée par la confirmation de sa foi bouddhique et par les débuts de son amitié avec Jean de Boschère, avec qui il entretiendra une longue correspondance. Après l'épreuve de l'exil hollandais, pendant la guerre, les recueils se succèdent à nouveau : ce sont, en 1921, Sous les tentes de l'exode, en 1922, Chansons désabusées et La Chanson de la rue Saint-Paul. Suivent : Les Sept Notre-Dame des plus beaux métiers, Les Délectations moroses, Chansons d'amures et Maya. En 1924, paraissent encore Remembrances et Aegri somnia.

Si l'on divise ainsi traditionnellement l'œuvre d'Elskamp en deux parties, c'est plutôt par raison de convenance chronologique que pour remettre en question l'unité profonde qui commande aux poèmes de l'auteur, alimentés par ses propres expériences et plus encore par la quête permanente de la connaissance qui les oriente.

Outre leur caractère biographique, les derniers ouvrages du poète sont nourris par un certain nombre de thèmes récurrents. Au motif de la ville, toujours présent, répondent les rêveries de l'exotisme, entretenues par l'évocation des noms géographiques, et la présence de grandes figures mythiques et légendaires.

Les livres d'Elskamp ont un charme particulier grâce aux illustrations de l'auteur sur bois, vignettes ou culs-de-lampe. Sous des dehors naïfs, ces gravures sont proches d'un style qui conjugue simplicité et raffinement. Elles ajoutent à un langage emblématique une image tourmentée, d'un envoûtement constant, qui confine souvent à la méditation.

Elskamp meurt le 10 décembre 1931. Il avait été élu à l'Académie royale de langue et de littérature françaises le 18 janvier 1921. Trois œuvres – Huit Chansons reverdies, Les Fleurs vertes, Les Joies blondes – seront encore publiées à titre posthume. Effigies, resté à l'état d'épreuve, ne verra le jour qu'en 1989.


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