Fabriquer des mondes habitables

À PROPOS DE L'AUTRICE
Vinciane Despret

Autrice de Fabriquer des mondes habitables

Née à Anderlecht, Vinciane Despret a grandi et vécu à Liège. Elle y habite toujours, dans l’un des endroits les plus typiques de la ville, en son cœur historique. D’abord étudiante en philosophie –«ce qui m’a mené droit au chômage», sourit-elle – elle a vite repris des études de psychologie. Elle croise rapidement l’éthologie, l’étude du comportement des animaux, et se passionne pour les humains qui travaillent avec eux. Hasard étonnant de son parcours : c’est lorsqu’elle est munie de son diplôme de psychologue que la faculté de… philosophie de l’ULg l’embauche. Sa seule vraie question, à ce moment, sera de savoir comment elle pourra concilier les deux disciplines, ses deux motifs d’enthousiasme.
Elle va logiquement emprunter la voie de la philosophie des sciences et mettre ses pas dans ceux de deux grands penseurs qu’elle cite – et fréquente – souvent, aujourd’hui encore : Isabelle Stengers et Bruno Latour. Elle veut désormais suivre les scientifiques dans leur pratique, comprendre « comment ils rendent leurs objets intéressants », raconter leur œuvre de «traduction», d’invention. Elle entend comprendre et expliquer comment ils bâtissent une théorie, quelles influences ils subissent, comment l’animal qu’ils observent devient acteur de cette création de savoir. Son premier essai d’anthropologie de l’éthologie sera consacré à un oiseau, le babbler, observé par un éthologue israélien. Sa thèse de doctorat ( "Savoir des passions, passion des savoirs", en 1997) se situe dans le droit de fil de sa démarche : elle tente de comprendre comment les théories des émotions peuvent être analysées de la même manière.
La suite de son parcours oscillera entre la psychologie humaine et l’éthologie. Elle voudra, en fait, associer les deux disciplines et s’intéresser à ce qu’elle nomme «les conséquences politiques de nos choix théoriques». Elle étudiera donc aussi bien le «comment vivre» avec l’animal que les questions, proprement politiques à ses yeux, posées par les pratiques psychothérapeutiques avec l’homme.
Le premier domaine a été illustré, avant la parution de Bêtes et hommes (Gallimard), par son livre Quand le loup habitera avec l’agneau (Le Seuil/Les empêcheurs de penser en rond), dont le point de départ était l’étude des modifications dans notre conception de la nature et des hommes en fonction des mutations politiques, religieuses, sociales du monde : Charles Darwin a retrouvé dans le monde animal la compétition et la concurrence – sans oublier les rapports de domination entre les sexes, autre sujet-clé pour la scientifique – qui caractérisaient la société industrielle du 19e siècle. Kropotkine, naturaliste et anarchiste russe, y trouvait, quant à lui, les preuves de l’existence d’une solidarité et plus seulement d’une lutte pour l’existence…
Auteur prolixe d’articles, de conférences et de contributions diverses – sans oublier ses divers enseignements – Vinciane Despret a assuré très récemment le commissariat de la grande exposition Bêtes et hommes, à la Grande halle de La Villette, à Paris. Elle s’est également vu décerner deux prix : le prix des humanités scientifiques octroyé par sciences Po, à Paris, en septembre 2008 et le prix du Fonds international Wernaers pour la recherche et la diffusion des connaissances. Esprit perpétuellement en éveil, très intéressée à l’occasion par la stratégie du «contre-pied», Vinciane Despret entend aborder désormais une question d’apparence saugrenue, paradoxale – peut-être même un tabou. «Comment les gens définissent-ils les relations possibles avec des êtres caractérisés par de tout autres modes de présence et d’existence que sont les personnes décédées ? Et comment explorent-ils avec perplexité les registres possibles pour penser l’action, l’influence, l’absence et la présence des morts ?» se demande-t-elle. Revenant par ce biais à l’anthropologie des humains, elle espère, souligne-t-elle, «étudier les modalités d’entrée en relation avec les morts, bien plus diverses que ce que la doxa traditionnelle des psy veut bien le laisser entendre».
Biographie tirée du site de l'auteur.
NOS EXPERTS EN PARLENT...
Le Carnet et les Instants

Septième titre de la très belle collection « Orbe », Fabriquer des mondes habitables descend à pas de loup et de colombe dans la forge de l’écriture de la philosophe et éthologue Vinciane Despret, de la mise en récit et en pensée de questions à l’interface de la philosophie et de l’éthologie. Adoptant le principe heuristique de la collection — celui d’un piochage dans un massif de mots choisis par Frédérique Dolphijn —, le dialogue emprunte des chemins qui ressaisissent l’articulation entre espace du livre, traduction/accueil des animaux et des morts, proposition de mondes. Le questionnement du comportement des animaux, des oiseaux passe par l’invention d’un rapport à ces derniers qui se place…


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L'oie et son frère

Les travers des hommes vus par deux oies ! Ce recueil rassemble 45 histoires courtes, des histoires animalières et philosophiques pour jeunes adolescents.  Les récits ont pour cadre une ferme appartenant à une paysanne, où l’oie et son frère mènent une vie tranquille en compagnie de moutons, de dindons et d’un chien. Contrairement aux autres animaux qui prennent plutôt la vie comme elle vientLire la suite Comme Laurel et Hardy ou Sancho et Don Quichotte, Oie et son frère perpétuent la tradition du duo de choc et de charme. Ils raisonnent sur tout – la vie, la mort, les autres, le langage – et cela résonne en nous très joyeusement. Le chapitre inaugural de ce roman constitué de courtes saynètes commence par un dilemme. Quand on est une oie faut-il partir ou non à Vila do Bispo, au Portugal ? Pour quoi faire ? Ou plutôt rester à la ferme ? L’alternative illustrée par la perspective d’un « oignon dans le derrière » mérite d’y réfléchir. Le mouton, « petit tonneau poilu » « au goût de menthe » pourrait-il aider à trouver la réponse ? Car partir c’est être fidèle à sa famille, celle des oies migratrices ; rester, c’est être fidèle à ses amis, le dindon, le mouton, le chien. Finalement, ils vont partir, mais pas trop loin, dans le froid et l’inconfort. « Mourir c’est être couché à la dure », proclame l’un des chapitres mais à deux, on fait société et on se tient chaud ! Solidarité est un des mots-clés de ces histoires accompagnées de jeux sur la langue. L’oie blanche, la sœur, l’innocente, est angoissée, elle regarde le ciel, et se pose des questions sur « fini, plein, entier » ; elle s’interroge sur la forme des vols d’oies ; elle « claudique d’une pensée à l’autre » et on la voit se dandiner jusqu’à la souffrance. Il arrive aussi que son cœur « bamboume » par amour pour la fermière. Est-ce raisonnable ? Elle peut encore parler d’une voix « raboteuse » qui fait mal. Toute question d’identité lui est douloureuse, comme « pourquoi on mange de l’herbe ? ». L’auteur joue avec les expressions, registres de langage : « Si le clignement de ses yeux émettait un son, ça l’arrangerait. Sa sœur comprendrait tout de suite que sa question l’enquiquine. » Le silence lui-même engendre une comédie du langage : entre les deux oiseaux, aucune parole, et cela dure, dure, dure ! Les animaux s’inquiètent, le silence est insupportable, la tension enfle et s’achève en éclat de rire. Le lecteur doit décrypter des mystères. Par exemple, le rat est mort, tous se sentent un peu coupables. Ils anticipent la peine de la fermière. C’est elle qui lui a tendrement donné des bonbons roses en disant « viens mon petit rat, viens ! ». Doubles sens, sous-entendus, non-dits font tout le sel de la conversation entre animaux. Ils se rient des humains représentés par la fermière à petit chignon, croquée par Gerda Dendooven. Cette philosophie existentielle est désopilante et l’humour froid, volontaire ou non, des deux volatiles nous renvoie aux échanges de Vlad et Estragon dans En attendant Godot. Les adultes liront toutes les saynètes de Bart Moeyaert comme des préliminaires à d’autres lectures savantes. 45 historiettes et autant de raisons de réfléchir, rire, sourire, s’interroger, tour à tour ou tout ensemble grâce au pouvoir de l’écriture, un rire ou « un soupir de rien qui change le monde » (p.156). De supers moments de lecture pour…

Aplanir une orange n’est pas (seulement) un jeu d’enfant

«Une carte du monde qui ne comprendrait pas Utopie n'est même pas digne d'un regard, car elle laisse de côté le seul pays dans lequel l'Humanité finit toujours par débarquer.» Oscar Wilde, L'Âme de l'Homme sous le Socialisme   Qu’il soit de rôle ou de plateau, un jeu se déploie dans un espace, sur un territoire spécifique possédant ses propres règles auxquelles les joueur·ses adhérent de leur plein gré. Un jeu est un univers en soi, doté de frontières et limité dans l'espace et le temps. Il en va de même des cartes dont la création s’accompagne de la mise en place de codes, d'ajouts et d'oublis, qui offrent à la vision une réalité altérée. Souvent, à l'observation d'une carte, on croit voir le monde qu'elle représente quand on n’en aperçoit qu’une simple représentation. On oublie que la carte est à la fois l'outil qui façonne et le miroir qui déforme. 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La carte permet l'exploration de jungles lointaines une tasse de thé à la main, la traversée d'immensités arides pieds nus dans le canapé, ou l'escalade des hauts sommets sous la couette. Et l'on se prend à rêver à cet ailleurs que l'on ne peut pas voir, dont on nous a conté les histoires, cherchant à retrouver les anciens habitants de ces contrées de papiers. * « Nous n'avons pu décrire la terre que parce que nous y avons projeté le ciel » XX  Les cartes occidentales ne sont pourtant pas nées pour servir de théâtre aux bêtes merveilleuses. L'apparition des cartes dites portulans coïncident avec l'augmentation du commerce maritime en mer Méditerranée des républiques marchandes, comme Gênes ou Venise. Ces cartes sont construites par triangulation, c'est-à-dire qu'un lieu est lié à un autre par une distance et une direction et elles sont recouvertes de lignes de vent, réseau organique de lignes rouges, noires, vertes. Si la mer Méditerranée avait toujours été sillonnée par les marins phéniciens, grecs ou carthaginois, leur science du pilotage se transmettait oralement, et leurs navires quittaient rarement de vue les côtes. Les intérêts économiques grandissants des marchands vénitiens, génois et espagnols imposent plus de contrôle et de sécurité. C’est pourquoi ils poussent au développement de cartes de cet espace maritime et de son interface terrestre. Deux découvertes vont faire évoluer la cartographie. La première est la traduction en latin de textes de Claude Ptolémée en 1406, synthèses du savoir géographique antique, oublié jusqu'alors. Ce texte, non exempt d'erreurs, transmet aux géographes européens la théorie du point, c’est-à-dire que la position d'un lieu est déterminée grâce à deux caractéristiques: une latitude et une longitude. 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Les «découvertes» de nouveaux espaces, les navigations hors de vue des côtes, et les appétits grandissants des puissances européennes vont pousser les cartographes à trouver de nouvelles solutions pour représenter le monde plus précisément. Malgré leurs efforts pour rendre les cartes plus mathématiques, ils se heurteront à un problème insoluble: faire d'une sphère une surface plane ou comment mettre à plat une peau d'orange, sans la déchirer? Projeter une surface ronde sur une surface plane suppose de faire des concessions et des choix, donc des déformations. Une carte peut choisir de conserver les distances entre les points, elle est alors dite équidistante ; elle peut conserver la proportion des espaces les uns par rapport aux autres, on dit alors qu'elle est équivalente ; ou bien, elle peut conserver les angles et les formes, elle est alors conforme. Or, elle ne peut strictement pas être les trois en même temps. 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