u repenses aux possibilités nombreuses
comme à autant de traces que tu n’as pas suivies.
En cette latitude, la rivière n’est pas l’endroit
le plus clément pour s’inventer une nouvelle dimension.
Tu hésites au milieu du gué, pieds de plus en plus froids
pas de paille dans les bottes, gorge enrouée
personne pour te faire signe depuis l’autre rive
quelqu’un qui viendrait à ta rencontre
en ayant accompli exactement le même chemin.
Solitude implacable au cœur de l’hiver.
Des lettres partent sans réponse.
Des signaux de fumée sont envoyés au loin.
Tu ressens l’impossibilité de finir
et l’impossibilité de recommencer ce poème
lequel se trouve gelé au bord de la rivière
tout juste capable de s’épeler lui-même
de trouver raison à son assignation.
Auteur de Entre nous les proies les plus dangereuses
Sébastien FEVRY, Entre nous les proies les plus dangereuses, Cheyne, coll. « Verte », 2023, 89 p., 19 €, ISBN : 978-2-84116-330-4Après la ligne qu’il avait adoptée dans Solitude Europe et Brefs déluges, Sébastien Fevry s’oriente vers un langage poétique nouveau en empruntant ses matériaux non aux grandes questions humanitaires, mais à l’un des plus vastes gisements imaginaires de notre temps : le cinéma. Chacun des textes d’Entre nous les proies les plus dangereuses, en effet, donne l’impression de décrire succinctement une brève séquence filmée, mais aussi sa résonance dans l’esprit et la sensibilité du spectateur.Compte tenu de l’ampleur et de la diversité incommensurables…
Il vient à deux amies l’idée de titiller leur talent d’écrivain bien connu au fil d’une balade en train. Ensemble ou séparément, peu importe. Elles s’appellent Colette Nys-Mazure et Françoise Lison-Leroy. On n’essaiera pas d’identifier l’une ou l’autre à travers ces textes alors qu’elles ont décidé de les partager de façon anonyme. Échange de sang en quelque sorte… Si l’on doutait de la mobilité du projet, les photos d’Iris Van Dorpe, troisième Hennuyère de ce « complot », l’attestent avec des photos dont les cadrages et les flous artistiques évoquent tant le regard échappé par les étranges lucarnes du train que la fuite des paysages et l’allure du convoi. Ce qui en fait des compositions presque abstraites en même temps qu’un heureux raccroc à la réalité du voyage, dans un album raffiné et bien aéré. Bien entendu, il ne s’agit pas ici de tourisme au sens traditionnel, mais d’un tourisme intérieur, d’une descente en soi. Celle que le rythme ferroviaire obsessionnel et l’environnement humain – richement aléatoire – peuvent susciter et encourager. Doubles vues à plus d’un titre… Des thèmes méditatifs sont esquissés. Comme « Habiter l’enfance » ou « Déjouer les pièges »… Sans doute est-ce la vue d’une petite fille qui en rappelle une autre : celle qui disait parler aux oiseaux ou pouvait s’enchanter du cul blanc des lapins qui détalent. Et qui suscite aussi constat et supplique : « La vie lui va. Faites qu’aucune bourrasque ne déchire cet étendard au vent ». Et ce petit garçon aperçu dans la prairie, enfoncé dans sa lecture : « Cow-boy, Petit Prince, Justicier ? »Ainsi va le livre, accrochant au passage l’un ou l’autre regard sur le trajet, sur une gare, sur les autres passagers, éveillant des fantasmes ou des souvenirs de lieux visités, de moments forts, d’émotions vécues, à Ostende avec Permeke en toile de fond, sur la Semois, dans la foule urbaine ou dans n’importe quel ailleurs. Des tranches et des scènes de vie, de la vie des autres ou de soi-même. Et c’est peut-être aussi une vie tout entière qui se condense dans ses lignes de force, dans ses aspirations, dans ses regrets aussi. Avec, toujours en discret filigrane, les pensées et les consignes que l’on s’est dictées ou les constats qui s’imposent au fil du voyage : « Rien à perdre », « Tomber sans bruit », « Traquer l’inconnu » etc. Et toujours et encore les souvenirs de l’enfance qui s’obstinent à remonter à la surface des rêveries. Et le beau souci de l’écriture… « Écrire, se taire autrement »… « Dire quoi ? Ce qui bout et fermente, chante et hurle en chacun. […] Creuser en soi-même/ Te rejoindre là où tu existes au plus juste/ Accroître la vie. »Tout les voyages ont une fin, mais peuvent aussi, une fois la porte franchie se « Poursuivre demain »… « Très loin, les convois déversent leur incroyable marchandise. Petits êtres feuillus, serrés comme en bibliothèque. Ils se détachent et filent vers les maisons./ Là quelqu’un les entrouvre ».Ce qui fait surtout le charme de cet album, de cette invitation au voyage, c’est précisément le désordre, la confiance faite à la désorganisation du mental et du ressenti happés par cette randonnée à la fois bien réelle et toujours transcendée.Avec cette question posée au dos du livre : « Où vont les images quand le convoi s’immobilise ? Elles demeurent dans les yeux des passagers, puis filent en douce vers le cahier d’écriture ». Ghislain COTTON Françoise Lison-Leroy et Colette Nys-Mazure ont pris le train, la route et le large. Scènes…
Dans Billets d’où , Laurence Vielle s’adonne, selon ce qui lui est coutumier, à une poésie…