« J’entendais me donner et je le fis. »
Charles Plisnier, Faux passeports
Charles Plisnier, dans Faux passeports , le roman qui lui a valu en 1937 le premier Prix Goncourt attribué de manière remarquable à un écrivain non Français, faisait le point sur la griserie d’une mystique de l’action politique et le désenchantement qui peut s’ensuivre.
«Peut-être n’étais-je pas un vrai communiste ? Peut-être suis-je seulement à la poursuite de l’homme ?» écrit le narrateur des Souvenirs d’un agitateur sur lesquels s’ouvre le volume.
* La question de l’engagement peut en effet se poser en termes de politikè (la politique, c’est-à- dire l’institution et l’idéologie) ou de politeia (le politique, c’est-à-dire l’engagement citoyen, le souci du vivre-ensemble dans une perspective large, humaniste), l’un ne recoupant pas nécessairement l’autre. Cette dichotomie s’affirme avec force lorsque l’actualité témoigne de l’effondrement de certains…
Enseigner et apprendre le français au bout du monde: le Chili. (dans Sillons francophones)
Le Chili, une terre de migrants hispanophones mais aussi germanophones, italophones, francophones et croates. Un pays de presque 17 millions d’habitants concentrés majoritairement dans les trois plus grandes villes du pays, coincées entre la cordillère andine et l’Océan Pacifique: Santiago, Valparaíso et Concepción. Un pays avec un système éducatif à la base très centralisé mais, depuis les années 1970 (époque de la dictature de Pinochet), de plus en plus tombé aux mains du secteur privé. Un système éducatif devenu inégalitaire qui ne valorise que peu ou prou l’apprentissage des langues étrangères. Qu’en est-il alors de la langue française dans ce pays désormais démocratique, économiquement stable mais marqué par des inégalités sociales croissantes, et qui oblige les nouvelles générations à se tourner vers l’anglais, seule langue enseignée à l’école primaire et secondaire? Au premier abord, on serait tenté de croire que seule la génération de plus de 60 ans, et celle des anciens exilés de la dictature en France ou en Belgique, maîtrisent le français tout en gardant un penchant pour la culture francophone. Or, mon expérience de lectrice universitaire, envoyée à Concepción par Wallonie-Bruxelles International pour travailler comme professeur de français au sein de la faculté d’Humanités et d’Arts de l’UdeC , me permet d’affirmer que le français se porte mieux que ce qu’on ne pense. Sans prétendre que la réalité de cette ville, de seulement 214 000 habitants, est représentative de l’ensemble du pays, elle témoigne toutefois d’une vérité qu’il serait injuste de négliger et qui est porteuse d’espoir pour le futur de la langue française au Chili. * Pour mieux apprécier mon témoignage, permettez-moi d’abord de contextualiser ma situation et mon parcours. Italienne d’origine, interprète de par ma formation universitaire (aboutissement inéluctable d’une prédisposition depuis toute petite pour les langues), on pourrait penser que j’étais prédestinée à l’enseignement du français. Et pourtant, si seulement il y a quatre ans on m’avait dit que je me serais retrouvée à enseigner cette langue dans une faculté de traduction et d’interprétation au bout du monde, j’aurais été la première à croire qu’on se moquait de moi. Or, la vie s’amuse toujours à rebattre les cartes et ce que l’on pense impossible peut bel et bien devenir possible: dans mon cas, cela s’est traduit par l’obtention d’un diplôme DAEFLE à l’Alliance française à Bruxelles et la chance d’être recrutée par WBI pour représenter la Wallonie et la culture belge francophone à l’étranger, plus particulièrement au Chili. Cela fait désormais un an et demi que j’ai intégré le département de français de l’UdeC et que je dispense des cours de langue, d’histoire et de civilisation, et de littérature francophone. Mon public? Des étudiants chiliens passionnés par les langues et tentés par le métier de la traduction et de l’interprétation. Des étudiants qui arrivent en première année sans aucune notion de français et qui terminent leur parcours en atteignant un bon niveau C1. Des étudiants qui voient dans la possibilité d’apprendre des langues l’occasion non seulement de s’ouvrir au monde, mais surtout de le « penser » autrement et de façonner la réalité autour d’eux à l’aide de nouveaux outils. Nous le savons : l’enseignement d’une langue va de pair avec la transmission d’une nouvelle culture. Puisque la finalité d’apprendre une nouvelle langue est celle de pouvoir communiquer de manière active avec un natif d’une autre nationalité en allant, si nécessaire, au-delà de ses propres préjugés et de ses propres croyances, pour que cette communication soit féconde, il ne suffit pas de maîtriser le lexique, les structures morphosyntaxiques ou les expressions idiomatiques de la langue de l’autre. Il faut aussi avoir appris à interpréter les codes culturels attachés à cette imposante charpente linguistique, et c’est à l’enseignant que revient la responsabilité de donner aussi à ses cours une dimension culturelle. Cela est toujours possible, même quand on est confronté à des groupes d’apprenants dont on ignore le milieu social d’origine, le parcours scolaire suivi, les réelles attentes qui les animent et qu’on est dans l’obligation de devoir suivre un programme académique préétabli et bien dense. Cette situation, est exactement celle dans laquelle je me suis trouvée plongée en arrivant à l’UdeC. Quant à la motivation, les étudiants chiliens n’en sont pas dépourvus, par contre, si l’on prend en compte leur préparation et leur formation, la différence entre des jeunes du même âge, tous récemment sortis du secondaire, ne pourrait être plus criante. Ceux issus d’une école privée — mieux encore si c’est une école internationale —, ont la chance d’être équipés des outils nécessaires pour affronter des études universitaires. Ceux issus d’une école publique, par contre, ne savent même pas écrire correctement dans leur propre langue maternelle et ces étudiants vivent l’apprentissage d’une langue comme le français, avec une grammaire et une orthographe on ne peut plus exigeantes : un vrai défi. Quand le contexte est tel, donner une dimension interculturelle à son cours peut contribuer à effacer cette hétérogénéité et à surmonter plus facilement les différences de niveau. Pourquoi ? Parce qu’on peut comprendre des notions culturelles déjà avec un niveau de langue relativement faible. La culture est quelque chose qu’on peut saisir de manière instinctive grâce aux comparaisons établies avec nos expériences de vies personnelles, nos savoir-faire et nos acquis, et personne n’arrive à l’âge adulte privé de son bagage d’expériences. Pour un apprenant chilien, découvrir par exemple que la Belgique est un pays ayant une double identité linguistique (francophone et néerlandophone), avec une structure fédérale complexe qui est le fruit d’un long travail de compromis et de négociations, c’est incontestablement marquant et parlant. Le Chili est peut-être vu comme un pays uniforme, mais cela reviendrait à oublier les revendications identitaires et linguistiques des communautés aborigènes du sud du pays, les Mapuches. Quand, l’année passée, j’ai abordé, dans le cadre de mon cours d’histoire et civilisation, la question linguistique belge, tous les étudiants se sont sentis interpellés par la thématique et avaient quelque chose à dire sur le sujet. Ceux qui généralement ne prenaient jamais la parole, parce que gênés par leur niveau plus faible, ont réussi, ce jour-là, à laisser de côté leurs craintes et à participer à la discussion, parce qu’ils ont pu faire appel à leurs connaissances ou expériences personnelles. * Au début de cette année académique 2017-2018, qui dans l’hémisphère austral commence fin février, j’ai eu l’opportunité de réaliser avec mes étudiants de troisième et quatrième années un projet culturel un peu plus ambitieux. Dans le cadre de la semaine de la Francophonie, nous avons mis sur pied une exposition photo intitulée "La francophonie en filigrane à Concepción" . La consigne donnée aux étudiants a été la suivante: retrouver dans la ville de Concepción, ou dans ses alentours proches, une trace de présence francophone en tenant compte de tous les domaines de la vie courante (publicité, nourriture, architecture, mode, fournisseur de services, musique…). Une fois qu’ils avaient « détecté » cette « trace », ils devaient la prendre en photo et réaliser une affiche dans laquelle on allait retrouver non seulement l’image en question, mais aussi un texte explicatif…