Dji vôreu tchantér Tchèss'lèt…

RÉSUMÉ

Émile Lempereur (1909-2009) était viscéralement attaché à Châtelet, sa ville natale. On pourrait croire qu’il s’agissait là d’une forme de chauvinisme, ce « campanilisme réducteur » dont se gaussent si souvent les mondialistes sans attaches. Ce n’était certainement pas le cas d’Émile Lempereur ; oui, il aimait ce « quelque part où il était né » — cette petite ville qui connut une vie culturelle extrêmement vivante —, mais il s’intéressait aussi passionnément à ce qui se faisait partout ailleurs en Wallonie. Il montrait ainsi que l’attachement à ses racines pouvait aller de pair avec l’ouverture d’esprit la plus évidente.

Dans les nombreux manuscrits qu’il a laissés après son décès, sa veuve, Jeanne Fostier a mis la main sur un « trésor caché », un niyô fait de proses et de poèmes où sa ville natale joue un rôle majeur. Ce sont ces textes qui font l’objet de la présente édition.

Le volume est illustré de reproductions de tableaux de plasticiens qui firent partie du Cercle d’art et de Littérature du Canton de Châtelet ; cercle fondé par Charles Desgrange en 1932 et dont Émile Lempereur assura le secrétariat puis la présidence.

Ces oeuvres témoignent de la richesse de ce que les historiens d’art appellent l’« École de Châtelet », qui connut son heure de gloire dans les années trente du siècle précédent. Remettre en lumière cette période faste sera considéré par certains comme une forme de passéisme ringard, c’est certes leur droit, mais c’est pourtant un devoir que de rappeler ce qui fut hic et nunc pour s’en nourrir et, peut-être, s’en inspirer.

À PROPOS DE L'AUTEUR
Emile Lempereur

Auteur de Dji vôreu tchantér Tchèss'lèt…

Émile Lempereur est né à Châtelet en 1909 et a mené une longue et fructueuse carrière d'enseignant dans sa ville natale. Il fait partie de cette génération de maîtres d'école qui se sont aperçus que le wallon constituait une valeur patrimoniale qu'il convenait de protéger et de promouvoir ; il consacra d'ailleurs toute son énergie à la défense de cette langue régionale et de la culture dont elle est le vecteur privilégié. En 1935, il publie un recueil poétique, Spites d'âmes, qui fit de lui la figure de proue d'une brillante génération d'écrivains wallons carolorégiens. Il a également publié un grand nombre de travaux en matière d'histoire de la littérature wallonne, d'histoire locale, de lexicographie et d'onomastique. Il a adapté en carolorégien bon nombre de pièces liégeoises, il a participé à des cabarèts walons, il a collaboré à de très nombreuses publications d'ordre culturel et a tenu à bout de bras, de longues années durant, èl bourdon, le mensuel de l'Association littéraire wallonne de Charleroi dont il fut président d'honneur. Il fut membre titulaire de la Société de Langue et de Littérature wallonnes et membre du Conseil des Langues régionales endogènes de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Homme d'une insatiable curiosité intellectuelle, d'un enthousiasme jamais émoussé et d'une très grande ouverture d'esprit, il a guidé les premiers pas de tous ceux qui, aujourd'hui, militent dans la région de Charleroi pour la culture wallonne dans ce qu'elle a de plus authentique.

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Bokèts po l’ dêrène chîje : Poèmes pour l’ultime veillée

Peu de temps avant son décès, le grand écrivain wallonophone Émile Gilliard avait transmis à son éditeur les épreuves corrigées de Bokèts po l’ dêrène chîje . La première édition de cette œuvre — une édition artisanale en 50 exemplaires, aujourd’hui introuvable — lui avait valu le prix triennal de Poésie en langue régionale de la Fédération Wallonie-Bruxelles 2005 et était vue comme un incontournable de sa bibliographie. Sa réédition dans une collection de plus large diffusion et avec des adaptations françaises est donc une initiative bienvenue.  Si cette réédition fait œuvre de justice en permettant à la poésie d’Émile Gilliard d’atteindre des lecteurs qu’elle n’a jamais pu toucher auparavant, soulignons qu’elle fait aussi œuvre utile. En effet, elle fournit aux amateurs une réalisation exemplaire, témoin de la richesse du wallon sous la plume d’un auteur qui le possède pleinement, mais aussi des voies audacieuses empruntées par la poésie d’expression régionale depuis le milieu du 20e siècle.Émile Gilliard est en effet un héritier de la « génération 48 », qui a renouvelé cette poésie par la recherche de formes nouvelles et l’exploration de thèmes actuels. Ces jeunes poètes et leurs continuateurs visaient l’universalité, à travers des œuvres qui ne reniaient en rien leur attachement à leur région ni leurs origines souvent modestes.Dans Bokèts po l’ dêrène chîje , Émile Gilliard applique fidèlement ces principes, suivant une route d’abord tracée par Jean Guillaume, son maitre en poésie. 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[Ils auront dérobé nos terres, / fermes et forêts, / peu à peu, sans fracas, / (…) comme des taupes / qu’on détecte toujours trop tard, / quand elles ont accompli leurs méfaits / et qu’elles ont tout creusé. // Une éternité / qu’on a quasi œuvré / sous tutelle, / (…) sur nos propres terres.] Ailleurs, il reprend les questionnements d’ordre métaphysique qui traversaient À ipe , cette autre œuvre importante, rééditée dans la collection micRomania en 2021. Èt si nosse bole âréve bukéconte one sitwale ? […] Èt nos-ôtes bèrôderèt r’nachî à non-syinceaprès l’ dêrène ruwale ? [Et si notre globe / avait cogné une étoile ? (…) // Nous aurions erré, / cherché inutilement / une ultime issue ?] Ces deux veines majeures de l’œuvre gilliardienne — le questionnement sur l’homme et son environnement, la défiance envers l’exploiteur, en communion avec tous les exploités — trouvent un point de rencontre dans les pages les plus fortes du recueil. C’est alors la métaphore de la maison qui exprime la détresse du « je » (non, du « dji » ) face aux communs massacrés au bénéfice de quelques-uns. ’L ont rauyî djustotes lès pîres dissotéyesèt lès tchèssî au lon,à gros moncias.Èt c’èst cauzucome s’il ârén´ ieû v’luchwarchî è vike,chwarchî è m’ pia.Come si l’ maujoneâréve ieû stîon niër, on burton d’ mès-oûchas. [Ils ont arraché / toutes les pierres descellées / et les entasser au loin, / et c’est quasi comme / s’ils avaient voulu / m’écorcher vif, / charcuter ma peau, / comme si la maison eût été un nerf, / un moignon de mes os.] De manière plus explicite, Émile Gilliard fait le lien avec le désastre écologique dans le poème d’épilogue, écrit spécialement en vue de cette deuxième édition. Vêrè ként’fîye on djoûki l’eûwe ni gotinerè pus wêre foû dès sourdants.On s’ capougnerè po sayî d’ ramouyî sès lèpes.Vêrè ki l’ têre toûnerè à trîs et tot flani,ki nos maujones si staureront su nos djoûs,èt nosse lingadje ni pus rén volu dîre. [Peut-être viendra-t-il un jour / où l’eau filtrera à peine de la source. / On s’empoignera pour se rafraîchir les lèvres. / Une terre stérile fera flétrir les plantes. / Notre maison s’écrasera sur nos jours, / et notre langue n’aura plus de sens.] Au possible effondrement des équilibres naturels fait écho ici celui d’une langue. Bokèts po l’ dêrène chîje est aussi traversé des préoccupations d’un homme qui a donné tous ses loisirs à la langue wallonne et laisse parfois libre cours à son pessimisme : « po ç’ k’il è d’meûre : / on batch di cindes èt dès spiyûres, / sacants scrabîyes / k’on îrè cheûre èt staurer sul pî-sinte » [ « pour ce qu’il en reste : / un bac de cendres, des déchets, / des escarbilles / à secouer et à répandre sur le sentier » ]Et c’est en cela que cette réédition prend une valeur supplémentaire : en redonnant à lire des poèmes qui ne taisent pas son sentiment de lassitude et d’isolement, elle nous rappelle que leur auteur a toujours su le dépasser. Émile Gilliard, en effet, n’a jamais cessé d’écrire dans sa langue première et a consacré ses dernières années à d’importants travaux philologiques. Ce livre prend donc, en creux, la valeur d’une ode à sa résilience et à son formidable engagement. Julien Noël Les traductions offertes ici sont les adaptations littéraires de l’auteur. Plus d’information Ce tryptique a été publié artisanalement, en wallon, à compte d'auteur, en tirage restreint, en 2004. Le dernier volet Crèchinces a également fait l'objet d'un numéro des Cahiers wallons . La présente édition est assortie d'une adaptation en langue française. L'ordre des textes comporte des modifications et un poème d'épilogue résume l'esprit du recueil. L'actuelle situation du monde donne à ces poèmes un reflet d'authenticité. Y pointent heureusement des germes d'espérance et de lumière. 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