Image de l'oeuvre - Wax Paradoxe

Notre critique de Wax Paradoxe

Wax Paradoxe nous embarque dans la quête identitaire de Sophia, une jeune étudiante en design textile. Sophia est belge et d’origine congolaise par son père. Dans le cadre de ses études, elle se voit contrainte d’étudier le wax pour un travail à rendre à la fin de l’année. Sophia connait bien ce tissu, puisque son père lui en a offert plusieurs, mais elle aimerait vraiment travailler sur autre chose… et éviter de remuer des questions familiales douloureuses.

Richement documentée, ce qui la rend vivante et incarnée, cette bande dessinée s’appuie également sur un scénario construit avec soin. Comme dans tout bon récit initiatique, les personnages qui interviennent au fil du récit jouent un rôle dans la progression de Sophia. Ils et elles tendent à chaque fois un miroir à l’héroïne et l’invitent à se positionner sur ses valeurs et son identité. Ces multiples rencontres marquent des étapes dans l’évolution du questionnement de l’héroïne sur le wax mais aussi sur sa propre histoire et sur le couple de ses parents.

Les dessins de la visite que fait Sophia des usines Vilsco, nous entrainent dans un tourbillon de motifs graphiques tout aussi fascinants les uns que les autres. La couverture de l’ouvrage, qui montre le visage de Sophia entouré de plusieurs wax, est imprimée sur une toile cartonnée et crée ainsi un joyeux rappel texturé, qui célèbre la prédominance du tissu dans le récit. Les lecteurices auront plaisir à découvrir au fil de l’histoire les différents motifs du wax (dont les couleurs ont été modifiées par l’autrice pour les besoins de la bande dessinée, les designs originaux des tissus de Vilsco étant protégés par le droit de propriété intellectuelle) mais aussi quelques lieux emblématiques de Bruxelles, où se déroule l’histoire.

Wax Paradoxe aborde des thématiques complexes, et aujourd’hui, sensibles telles le colonialisme et l’héritage culturel. Le wax constitue ainsi la parfaite métaphore filée de la question de l’héritage et de l’origine : le choix de cette métaphore sert le récit et en souligne les ambivalences tout en proposant une résolution au paradoxal dilemme qui se pose aux personnes ayant une double origine, à savoir : laquelle prédomine ? Ce dilemme mal construit se base sur l’idée fausse selon laquelle chaque pays existerait séparément, sans échanges, et que les histoires des pays d’Europe et d’Afrique ne seraient pas, de facto, entrelacées depuis des centaines d’années.

Comme nous le fait découvrir la bande dessinée, le wax est à la fois international (puisque créé par des Hollandais, à partir d’une technique observée en Indonésie) et en même temps emblématique des cultures de l’Afrique centrale. D’un côté, le wax est le symbole des échanges internationaux mais aussi de la mondialisation, et ceci n’est évidemment pas exempt des logiques de dominations commerciales et symboliques puisque les usines qui produisent le wax sont aujourd’hui détenues par des groupes basés en Europe ou en Chine, qui le vendent en Afrique et en tirent profit. D’un autre côté, le wax incarne aussi avec force une identité vibrante et une fierté nationale pour beaucoup de personnes congolaises, en Belgique ou au pays. Cependant, cette prédominance du wax en Afrique centrale « écrase » aussi des tissus plus traditionnels et davantage ancrés localement, dont l’origine est antérieure au wax. Le wax est donc, comme, nous l’indique le titre, un magnifique paradoxe.

Wax Paradoxe est une double réussite : graphique et scénaristique. Il s’agit de la première bande dessinée de l’autrice Justine Sow, qui sort de l’ESA Saint Luc et dont on suivra avec beaucoup d’intérêt les projets futurs.

Marie Baurins