Image de l'oeuvre - Une ferme à Paris

Notre critique de Une ferme à Paris

Un Moulin-Rouge, une tour Effel, un Arc de Triomphe, une Notre-Dame, un Panthéon, un Louvre, des pyramides de verre, une roue de la Concorde, une Seine et des véhicules partout partout partout… Pas de doute, c’est Paris ! Des voitures, des camionnettes, des motos, des utilitaires, des mobylettes, tout un tas de moteurs qui recrachent leur fumée noire et embouteillent les rues sans vergogne. Mais un « beau » matin – en fait « un lundi tout gris » –, des enfants se sont mobilisés autour du cri de Suzette : « Ça suffit vos pouêt pouêt cacahuète ! » Car, quand on est petits, ce qu’on veut, c’est autre chose que de la grisaille, des pots d’échappement, des bouchons interminables et des geignements de klaxons. Ainsi, devant l’éclosion d’un œuf de cane, Louis a proposé : « Pourquoi pas une ferme à Paris ? »

Des bambins énoncent leurs envies, et leur implication concrète se traduit en dessins : si Nour aime les yaourts, du lait et des vaches seront nécessaires ; quand Tao désire du coulis, sa confection impliquera des fruits et des arbres ; comme Bilal aime ses céréales avec du miel, des ruches et des abeilles se révéleront essentielles ; Audrey salive plutôt devant les fromages frais, c’est pourquoi il faudra penser aux chèvres, ainsi qu’à leur nourriture et à leur traite ; les soupes, c’est le péché mignon de Léon, en avant toute pour la plantation de patates, de poireaux et de potirons, et pour la préparation des terrains et des serres ; vu que Norbert, prévoyant… ou frileux, pense à l’hiver et aux pull-overs, des moutons paîtront dans l’espace créé et leur laine sera à tricoter ; Bernard envisage les concerts vespéraux au rythme de coassements, une mare sera l’endroit rêvé pour accueillir des batraciens… Petit à petit, avec beaucoup d’idées et d’énergies mises en commun, grâce à un tissu solidaire, les lignes bougent, sans limites : « On avait pris soin des animaux. On avait pris soin de nous et de la Vie. Paris était devenu un village. Alors, quelqu’un a dit : Et pourquoi pas une forêt ? »

Anne Crahay a écrit et dessiné un magnifique album plein de créativité. Ses illustrations, tracées par des crayons joyeux et colorés, dont certains composants sont collés, composent des tableaux très amusants : ses cartes ramassées de la capitale française ne s’encombrent pas de perspective, les animaux (des pucerons aux vers de terre en passant par les chats et les poussins) ont tous leur (bon) mot à dire, la nature lumineusement pigmentée contraste avec la ville terne (qui prend malgré tout des teintes plus vivantes au fil des pages), les personnages souriants occupent les pages en incarnant des actions pratiques. Quant au texte, conçu comme une ritournelle où les éléments s’ajoutent et se répètent à plus grande joie des amateurs de contes et de chansons, il envisage de façon posée et positive un changement de dynamique. Ici, l’occupation de l’espace urbain par un projet à taille humaine, Une ferme en ville, en clin d’œil appuyé à celle de la Villette où il est loisible de « rencontrer ânes, chèvres, moutons, poules et lapins » et « participer à des ateliers pour comprendre leurs modes de vie et en prendre soin ». Une vision enthousiasmante d’un autre possible à portée de main volontaire !

Samia Hammami