Tsar Bomba de Fabien Grolleau et Cyril Elophe se présente comme un récit historique et scientifique.
Une couverture travaillée utilisant une triple référence ; l’affichisme de la propagande de l’URSS, le graphisme scientifique de l’atome et la chute cinématographique de Dr Folamour ; introduit la matière du livre.
Premières pages, une voix off, empruntée au cinéma, introduit le sujet : TSAR BOMBA.
Une bombe si puissante qu’à l’instar du Big Bang, sa destruction engendre de la création. Puis on enchaîne sur la présentation d’un concept : le temps scientifique et sa relativité telle que présentée par Albert Einstein. Et ensemble ces 2 éléments entraînent la présentation du protagoniste : Andreï Dimitrievitch Sakharov, physicien russe considéré comme le père de la bombe er prix Nobel de la paix.
Tsar Bomba suit le parcours d’Andreï Sakharov ; sa jeunesse où son père lui donne le goût de la physique mais où le danger de la dénonciation est déjà présent.
La période de guerre, où la physique devient un refuge et où Andreï se démarque des autres.
Puis ses premiers travaux de physicien qui le mène au cœur de l’Installation la plus secrète de l’URSS dont il ne ressortira pas avant la mort de Staline.
Pour enfin aboutir à l’instant T, l’explosion de la bombe.
On traverse 30 ans d’Histoire de l’après-guerre à la fin des années 60. Dans ce récit historique linéaire, les auteurs assument une part d’interprétation. Celle-ci se manifeste par des séquences oniriques régulières dans l’album. Les rêves de Sakharov viennent amener une proximité avec le personnage, une humanité aux différents scientifiques croisés. Car ces angoisses nocturnes racontent aussi les paradoxes d’une telle invention dans cette histoire glaçante.
Ce parti-pris par rapport à l’Histoire se manifeste aussi dans l’ensemble des choix graphiques utilisés. D’un côté du spectre, la ligne claire est travaillée avec une gamme de couleurs noire et brique aux teintes un peu passées. Cela soutient le côté historique de la bande dessinée.
De l’autre, l’utilisation du numérique et l’insert de nombreuses références graphiques amènent un dessin contemporain, et teintent le récit de quelque chose d’ingénu.
Tsar Bomba a l’apparence d’un biopic convenu sur une partie de l’histoire. Ce qui est faux.
En abordant le récit via un physicien au cœur de l’URSS et non par un soldat ou un espion américain les auteurs amènent un autre point de vue
De plus, leur décision d’assumer une part fictive, onirique, dans le récit et de décaler le réalisme du dessin offre une œuvre graphique bien plus intéressante.
Cet album est un beau travail de recherche, d’interprétation et de restitution d’un pan de la guerre froide, de la vie d’Andreï Sakharov et des paradoxes humains.
Antoine Carcano