Sur l’Île Maurice où Amélie Videlo a passé une partie de son enfance s’épanouissent de flamboyants bougainvilliers et allamandas, des frangipaniers et gingembres rougeoyants, de paresseux nénuphars géants, des hibiscus lumineux, mais aussi de robustes et luxuriantes plantes vertes qui se chatouillent les unes les autres de leurs feuilles aux multiples formes et textures. La faune n’y est pas en reste : coléoptères, papillons, libellules, lucioles, araignées vivent une existence rêvée dans ce paradis, toutes pattes alertes et ailes déployées. Ces souvenirs, certainement vivaces en l’illustratrice, nourrissent son imaginaire et peuplent le jardin secret de l’héroïne du présent album.
Noami habite en effet « au fond d’une forêt, parmi les arbres bien touffus et les fougères », dans une minuscule maison, une théière reversée, entourée d’un parterre fleuri qu’elle entretient avec soin. C’est un havre de sérénité patiemment créé, où « tout n’est qu’ordre et beauté, luxe, calme et volupté »… Jusqu’au jour où elle croise le chemin d’un drôle de gnome, dont le corps ressemble à celui d’un scarabée, tandis que le nez se confond avec le spadice et la barbe avec la spathe d’un anthurium. Et c’est justement cette dernière qu’il a coincée dans la fente d’une souche ! Contrarié, il invective Naomi et l’enjoint à l’aider immédiatement. Elle obtempère en le libérant d’un coup de ciseaux.
Bien mal en a pris à la douce jeune femme… Le gnome, plein d’astuce, la culpabilise aussitôt : « Ah ! Qu’as-tu fait ?! Je suis défiguré ! Ma barbe, ma belle barbe… Jamais je n’oserai me montrer à mes frères dans cet état. Qu’est-ce que je vais devenir ? Où est-ce que je vais vivre maintenant ? » Et voici Noami embarquée dans un « sauvetage » exténuant. Le gnome, en parasite accompli, exige et peste à longueur de temps. Ni les cannes à sucre qui adoucissent le thé gunpowder, ni les longanes et les pistas-cacahuètes qui réjouissent les papilles, ni les napolitaines et les gâteaux patates qui réconfortent les estomacs, ni les attentions continuelles qui soignent les âmes ne trouvent grâce à ses yeux. Au contraire, il traite Naomi d’incapable et la fait douter d’elle. À bout, elle part demander conseil au Grand Hibou, dont la sagesse n’a d’égale que la troublante présence (l’illustration que Videlo en propose est extraordinaire de magie et de pénétration).
Dans ce conte, dont les racines plongent dans Blanche-Neige et Rose-Rouge des Frères Grimm et La Petite Poucette d’Andersen, Myriam Dahman évoque avec justesse une situation d’abus d’un côté, et de limites floues de l’autre. Le gnome représente toute personne ou situation toxique brouillant les contours de ce qui est acceptable ou non, bénéfique ou non, aligné ou non avec notre intériorité, notre équilibre, nos valeurs propres. Naomi, quant à elle, incarne la confiance naïve, la bonté naturelle et l’empathie vibrante, tout comme le discernement, la profondeur et le dépassement et la transformation. Dahman a imaginé une héroïne sensible, généreuse, déterminée et créative qui pourrait devenir le modèle de nombreux enfants ! Naomi et le gnome des forêts, un album enchanteur par ses couleurs, nécessaire par ses mots.
Samia Hammami