Mouton noir : « personne gênante ou indésirable dans un groupe », définition du Robert. Ici, le « mouton noir » est une lycéenne de quinze ans, prénommée Camille. Autour d’elle, les adultes – sa mère, les enseignants, le directeur de l’école – ne voient pas ou refusent de voir le harcèlement dont la jeune fille est l’objet de la part des autres. Pour l’auteur, ces harceleurs – essentiellement des harceleuses – c’est « la bande ». Chaque jour, la bande se montre plus féroce et chaque jour Camille se replie davantage sur elle même. Jusqu’à la fin – tragique –sous entendue dès les premières pages. Surprenante est l’insertion, au sein de cette descente aux enfers, du témoignage à la première personne d’un autre « mouton noir ». Il s’agit cette fois d’Albi, truie albinos, quinzième d’une portée, parquée dans un élevage industriel et en butte à l’agressivité de ses congénères. Au lecteur d’interpréter à sa guise cette mise en parallèle. L’auteur – qui a aussi un diplôme d’économiste et un autre de sociologue – semble en tous cas en connaître un bout sur les méthodes modernes d’engraissement des porcs. Et l’on remarque d’ailleurs que cet animal emblématique de la boucherie est évoqué ici et là dans le texte. Que ce soit à travers les insultes que subit Camille. Ou que ce soit dans les scènes de courses chez un fringant boucher, ventant à sa mère les mérites du jambon, du saucisson ou du rôti de porc breton.
D’Alex Lorette, Lansman avait déjà publié Pikâ Don (Hiroshima). Un texte qui, à première vue, semble aux antipodes de Mouton noir. Mais on y trouve la même capacité à multiplier les points de vue, le même sens de la cruauté et du drame, le même regard critique sur la société et le comportement des groupes. (Maggy Rayet)