Image de l'oeuvre - Love machine

Notre critique de Love machine

Love Machine de Jeanne Kiviger est un récit acidulé et piquant sur la quête amoureuse. Dans une société proche de la nôtre, trouver l’âme sœur devient un véritable parcours du combattant ou plutôt une quête balisée en six étapes, proposée par une mystérieuse entreprise. Le résultat est garanti à 100 %, à condition de jouer le jeu : tout dévoiler de soi et se plier aux règles, pour que les algorithmes (ou la magie ?) fassent le reste.

Lola peine à s’engager dans une relation. Elle accepte alors de se lancer dans ce programme exclusif de Love Machine, convaincue qu’elle n’a plus rien à perdre. Mais très vite, les étapes s’enchaînent comme un piège. La coach Muriel qui la suit la prévient : il faut tout respecter à la lettre, sans quoi la promesse d’un amour parfait s’évanouira. Amour garanti ? Vous vous en doutez, il y a un revers inquiétant. L’appli s’installe partout dans sa vie, au point de devenir une prison douce. Peu à peu, Lola se retrouve enfermée dans un Truman Show sentimental, dont elle ne peut s’échapper.

Ce récit décortique les dérives contemporaines de la quête amoureuse : pression sociale, solitude dans un monde saturé de couples heureux, illusions et désillusions des applis de rencontre, attentes irréalistes et déshumanisation des relations. Sous un filtre rose bonbon qui donne des allures de comédie romantique, l’histoire glisse doucement vers le cauchemar de cette mécanique implacable.

Graphiquement Jeanne Kiviger déploie un style faussement naïf, tout en rondeurs et en aplats colorés, dominés par le rose. Ce choix visuel est une trouvaille : il reprend les codes du feel good et de la romance sucrée, pour mieux en montrer l’envers. Chaque planche semble baigner dans un univers enfantin, mais ce vernis sucré met en relief la noirceur du propos. Ce décalage accentue l’absurdité des situations et souligne le malaise latent. Le dessin est bien vivant et ponctué de petits détails ironiques dans les décors comme dans les expressions, le tout dans un découpage très rythmé.

Avec Love Machine, Jeanne Kiviger s’attaque à un sujet vertigineux. À l’heure où les applis uniformisent les désirs (tout le monde aime les voyages, l’humour et les dîners entre ami.es), comment ne pas devenir soi-même un article dans un catalogue de critères ? Lola, comme tant d’autres, rêve seulement d’être « comme tout le monde » : en couple. La pression s’intensifie au fil du programme. Ce n’est plus seulement elle qui cherche l’amour : c’est la société tout entière qui exige qu’elle le trouve, coûte que coûte.

Faut-il être en couple pour être heureux ? Peu importe avec qui, du moment que le vide se comble. La Love Machine fonctionne comme une parabole : elle rappelle les logiques des grandes plateformes, ces GAFAM de la vie sentimentale qui transforment l’amour en produit standardisé et la rencontre en marchandise. Drôle, piquant et faussement candide, Love Machine se lit avec légèreté mais laisse un goût amer quant à la marchandisation de l’amour.

Romane Armand