Avec Le Maître de California Hill, LF Bollée et Georges Van Linthout racontent la rencontre explosive entre deux hommes aussi géniaux que dévorés par leur orgueil : le magnat Leland Stanford et le photographe Eadweard Muybridge. Ensemble, ils poseront les fondations du cinéma, presque malgré eux.
À l’origine de ce récit, une question qui divise les milieux hippiques de l’Amérique des années 1860 : un cheval au galop garde-t-il, à un moment, les quatre sabots en l’air ? Ce débat technique devient un pari d’ego entre deux titans de l’époque : le politicien et industriel Leland Stanford, figure impitoyable de la côte Ouest, et son rival Thomas Clark Durant, autre baron du rail à la tête du chantier côté Est de la ligne transcontinentale.
Pour trancher la question, Stanford engage un homme aussi brillant qu’instable : Eadweard Muybridge, photographe visionnaire. Ensemble, ils s’embarquent dans une quête quasi obsessionnelle visant à décomposer le mouvement, à capter l’instant que l’œil ne peut percevoir. Ce défi technique donnera naissance à la chronophotographie… et posera les premières pierres du cinéma.
Entre Stanford – magnat brutal, passionné de chevaux au point de sacrifier sa propre famille, prêt à faire briser la main d’un architecte que Durant lui a débauché – et Muybridge – artiste solitaire et rétif à toute autorité –, les rapports sont tendus. Les deux hommes se méprisent, mais se reconnaissent dans leur fascination commune pour la technique et le progrès.
Dans ce thriller historique, LF Bollée orchestre avec brio une tension psychologique et idéologique. Connu pour ses récits documentés (La Bombe, Terra Australis, Malik Oussekine), il confirme son talent pour mêler narration dramatique et rigueur historique. La BD devient ici le théâtre d’un affrontement feutré mais capital, où le progrès se heurte à la vanité des puissants.
Au dessin, Georges Van Linthout excelle dans le clair-obscur. Son noir et blanc sobre et tendu souligne les visages marqués, les ambiances poussiéreuses, les tensions larvées. Certaines planches – notamment la fameuse scène du tir au pistolet – rendent visuellement hommage à la décomposition du mouvement, mimant les planches de Muybridge dans un geste méta-narratif audacieux.
Et si le cinéma était né d’un pari entre deux magnats du rail ? C’est le fil rouge de ce récit tendu, dans lequel Stanford et Muybridge, entre rivalités et obsessions, vont révolutionner notre manière de voir le monde.
À noter : Leland Stanford et son épouse fonderont, en mémoire de leur fils unique, l’université Stanford en Californie. Parmi ses tout premiers étudiants figure Herbert Hoover, futur président des États-Unis.
Christian Missia Dio