La graine et le bâtiment commence avec un rouge gorge qui picore des graines puis s’ouvre sur une fourmilière aux couleurs chatoyantes. S’en suit Bo, un « monsieur tout le monde » bien paisible, qui s’installe dans un cabanon, sur un lopin de terre qu’il laisse tranquille et sur lequel va pousser un étrange arbre, à la suite d’un pique-nique. Puis arrive une colonie de fourmis d’une nouvelle sorte : des noires, à quatre pattes et non six. Ce sont des ouvriers qui vont obéir aveuglement à un autocrate capricieux qui veut le plus grand des palais, la plus grande des tours, le plus majestueux des palais.
Pendant quelques pages la nature et la construction vont cohabiter, mais bien vite, le palais va manger tout l’espace physique du papier, de la vie commune et de la nature. Son dôme se personnifie en ogre vorace qui avale tout. Son ventre se mue en labyrinthe dans lequel se perdent les fourmis humanoïdes. Et puis d’un coup, une brèche est ouverte, des entrailles du monstre de pierre vers un arbre. Les ouvrières se faufilent dehors, elles sont chatoyantes, vivantes, personnifiées, individualisées. La tour démesurée s’élance jusqu’au ciel, mais n’est plus habitée que par des corbeaux. Les hommes et femmes se retrouvent ensemble autour de l’homme libre du cabanon et décident de partager ressentis, émotions, expériences et repas en vue d’un monde nouveau.
Avec La graine et le bâtiment, Almudena Pano livre un album sur la lutte des classes et ses rapports de force. Elle nous montre comment les hommes et les femmes peuvent obéir sans remettre en question les ordres qui émanent d’en-haut. Et puis d’ailleurs, qui est en-haut ? Quelqu’un de tellement déconnecté de la vie des classes moyenne et ouvrière qu’il est absent physiquement des illustrations. Tout au long de cette fable politique, l’autrice et illustratrice d’origine espagnole distille une symbolique très forte : le pain de Bo, image de partage et de générosité ; la tour de Babel, signe de l’arrogance des hommes à vouloir aller toujours plus haut mais aussi symbole du chaos entre les peuples. La tour est d’ailleurs inoccupée dans l’histoire, ce qui la vide de son sens (mais n’en a-t-elle jamais eu un puisqu’il s’agit là d’un caprice ?) et vient désacraliser l’objet de pouvoir. Et puis la déshumanisation d’un groupe social, qui n’est plus qu’une seule entité, une masse, un groupe social sans plus d’individualité, comme souvent représenté dans les médias.
Ce livre est une fable résolument politique, qui a pour morale une construction collective vers un vivre ensemble par les citoyens et pour les citoyens. Et en ces temps troubles de jeux et de tractations politiques, « La graine et le bâtiment » est une petite respiration engagée qui peut aider les parents, les familles, les enseignant·e·s à ouvrir un dialogue avec l’enfant.
Camille Walter