Image de l'oeuvre - Jusqu'ici tout va bien

Notre critique de Jusqu'ici tout va bien

Le titre l’annonce très clairement : jusqu’ici tout va bien mais tout peut aussi bien déraper. La lecture de l’album de Nicolas Pitz s’entreprend avec en bruit de fond le tic-tac d’une bombe à retardement qu’on ne peut pas identifier. Qu’il y a-t-il de potentiellement explosif dans la situation de vie de Douglas Swieteck lorsque le récit commence ? Quelle est la menace sourde qui conduisit l’auteur à représenter cet adolescent new yorkais batte de baseball à la main et regard tourné vers l’extérieur du cadre, comme pour atteindre un lieu proche mais hors de portée, comme s’il était prêt à se défendre ? La situation familiale de Doug, déjà, n’est pas facile… Il lui faudra prendre sur lui pour échapper à la mauvaise réputation qui colle aux hommes de sa famille de voyous et pour refuser de croire au déterminisme social. Il faudra se débrouiller seul pour gagner un peu d’argent ainsi que la confiance de ceux (et celle, surtout) qu’il rencontre, pour n’avoir rien à devoir à personne. Il faudra de la ténacité pour rassembler les morceaux éparpillés d’un trésor municipal qui l’émerveille. Comme dans le roman de Gary D. Schmidt duquel la bande dessinée est adaptée, la voix de Doug guide les lecteurs de New York à Marysville dans l’Usptate. C’est là qu’atterrissent le jeune garçon et sa famille suite à la perte d’emploi du père et à sa nouvelle embauche dans une usine de papier des alentours. On découvre avec lui une ville sans intérêt et les habitants qui la peuplent, les événements qui les bousculent et dont ils ne sortiront pas indemnes, les combats qu’ils mènent, leurs vices et leurs valeurs, leurs idéaux personnels, familiaux, politiques… Doug pousse la porte d’un nouveau lieu dans lequel il pénètre sans même y songer, sans savoir ce qu’il recèle et comment son contenu peut changer le cours d’une vie… Et si le changement provenait avant tout de celui qui accepte d’écouter ce qui l’aimante, se positionnant à contrecourant peut-être de ce qui est d’usage chez lui ? Et si, justement, il n’était plus du tout chez lui et qu’à la faveur d’un déséquilibre important, Doug trouvait un autre chemin ? Jusqu’ici tout va bien est une adaptation vraiment réussie du roman d’apprentissage de Gary D. Schmidt. Nicolas Pitz réalise un récit BD au découpage et au rythme très serrés et haletants, parvenant à reconstruire une narration dont les rebondissements surprennent totalement les lecteurs. Quand la couleur s’invite dans ce récit en noir et blanc, c’est pour en dire long sur l’humeur du personnage principal ou souligner une pensée importante ponctuant un quotidien peu réjouissant. Cette alternance tend un fil supplémentaire dans la compréhension de la trajectoire de Doug qui entraine les lecteurs dans des bouleversements sociaux et historiques des années 60, ceux qui conduisirent à espérer, en couleur, que peut-être un jour tout irait mieux pour lui, pour les habitants de son pays et pour les autres.

Violaine Gréant