Image de l'oeuvre - Henrietta Lacks

Notre critique de Henrietta Lacks

« Sur le mur de ma chambre […], les photos d’Alexandre Grothendieck, Hedy Lamarr, Rosalind Elsie Franklin et Katherine Johnson. Aucun intrus dans mon petit Panthéon : il et elles ont en commun d’avoir été spoliés de leurs découvertes scientifiques à un moment ou à un autre. Depuis mardi, HeLa est venue les rejoindre. Et pourtant, rien ne l’y prédisposait… HeLa, c’est HENRIETTA LACKS. » Et les lettres capitales de frapper la nécessité de découvrir cette soldate inconnue de la médecine, cette femme noire qui a tant apporté – et totalement à son insu – à la recherche scientifique, cette figure injustement oubliée de l’histoire qui fascine et consterne la narratrice de la docufiction entre nos mains.

Tout commence un jour, en fouillant dans la collection paternelle des Rolling Stone (tous sous plastique !), quand Rosalia tombe sur un numéro de 1976 et que son œil est attiré par un article de Michael Rogers, intitulé « The double-edged helix – A biomedical detective story » (« La double hélice, une investigation médicale », en français sans les jeux de mots). Férue de mathématiques et de sciences dures, l’adolescente est intriguée et se plonge dans l’incroyable histoire de Henrietta Lacks. Celle-ci naît sous le nom de Loretta Pleasant en 1920 en Virginie et, très tôt orpheline, est envoyée chez son grand-père, qui « vit dans les anciens quartiers des esclaves sur la plantation des propriétaires blancs, les Lacks ». Elle grandit dans une société où la ségrégation raciale enferme les Afro-Américains dans des ghettos, où tout est régi par des lois inégalitaires. À l’aube de la trentaine, la mère de famille nombreuse est soignée pour un fulgurant cancer du col de l’utérus, dont elle ne réchappera pas, dans un des rares hôpitaux pour personnes de couleur, le Johns Hopkins Hospital de Baltimore. Là, le gynécologue se permet de prélever des tissus de Henrietta, sans le consentement de la patiente plongée dans la douleur et l’ignorance, et de les transmettre au docteur George Gey, le directeur du laboratoire de recherche situé à côté du complexe de soins. Débute alors l’odyssée des cellules, aussi dynamiques que résistantes, de HeLa, à la base d’une des plus anciennes lignées cellulaires encore utilisées à ce jour.

Henrietta Lacks relève le défi de la vulgarisation intelligente et accessible. Au cours de la narration, plusieurs points de synthèse et de réflexion sont proposés sur des concepts scientifiques (la culture des tissus, l’apoptose, la génétique), philosophiques (l’éthique, la déontologie, les limites de la science), politiques (le régime ségrégationniste, les droits civiques, la justice sociale, la santé des femmes), d’une manière claire et structurée, sans pour autant se présenter sous forme d’exposés didactiques lourds. Le lecteur n’étouffe donc jamais sous les données, qui sont amenées fragmentairement et ventilées, et progresse avec facilité et enthousiasme dans sa découverte. L’album, coécrit par Clémentine B. et Martina Aranda, rend hommage à une « héroïne malgré elle », Henrietta Lacks, une inconnue qui a permis des avancées considérables dans la recherche et le domaine de la biotech (notamment sur la tuberculose, le virus Ebola, le VIH, la polio, le papillomavirus, etc.). Les illustrations d’Aranda, en traits rouge et bleu, renforcent l’aspect documentaire du travail en reproduisant des photographies et en schématisant des notions, et emportent par leur aspect joyeux et curieux à d’autres moments. Ce roman graphique passionnant, à mettre en toutes les mains, suscitera peut-être des vocations… !

Samia Hammami