Qu’elle est fleurie et estivale cette première bande dessinée de Mathilde Ducrest !
Qu’il est riche en sensations à fleur de peau ce premier récit, qui sous la forme d’un été nous balade de questionnements en expériences propres à ce passage à la fois lumineux et inquiétant qui accompagne les jeunes personnes vers l’âge adulte.
Emily, Em’, est une jeune étudiante en littérature. Elle essaime d’ailleurs joliment au fil de ses pensées intimes, des références à ses gardien·ne·s littéraires, telle son alter égale, Emily Dickinson que la poésie accompagne tour à tour vers le désir naissant et la complexité des sentiments.
Emily, donc, est curieuse des autres, mais aussi de là où ses univers intérieurs et sa sensibilité sauront la mener.
C’est pour ça, sans doute qu’elle aime tant le quotidien partagé avec Pia, une femme âgée, fantasque, veuve, ronchon à ses heures, et dont elle a fait sa confidente à force de confections de tartes aux fruits et de Limoncelli partagés à la faveur de longues et chaudes soirées.
C’est aussi la curiosité (d’une autre sorte), qui pousse Emily à répondre à une petite annonce proposant de s’occuper de Mitsou, le jeune chiot de Sue, l’héritière de la mystérieuse et intrigante dynastie Rascines.
Passée cette envie primaire de découvrir les secrets de la puissante famille, c’est Sue et la relation que les jeunes femmes vont tisser de rencontre en rencontre qui va commencer à obséder Emily. Les émotions tantôt douces et intenses, tantôt violentes et perturbantes qui en découlent vont bouleverser et changer son point de vue sur son propre fonctionnement et la plonger dans des états d’introspection nouveaux…
Fragile est une première œuvre qui ne l’est pas tant. Certes, les élans de vie et les états d’âme des héroïnes sont chancelants, évoquant les balbutiements d’une maturité nouvelle, mais c’est avec une belle justesse, (et sans doute expérience) que Mathilde Ducrest nous décrit ces moments de vie intenses et pures. Ces évocations de fragilité sont magnifiquement contrebalancées par la mise en scène de la puissance des relations entre les femmes quelles qu’en soit la nature.
Cette grammaire délicate et impalpable des sentiments est matérialisée par une ambiance générale intrigante, voire sombre, proche du polar social. On imagine sans peine de nombreux mystères planer au-dessus de cette grande et magnifique propriété qui abrite une partie de l’histoire. Le trait clair, délicat et l’utilisation subtile de la couleur de la dessinatrice suisse ne laissent augurer que du bon pour la suite de sa carrière créative.
Sophie Baudry