Christian Lagrange est sans doute un homme discret : à son propos, peu d’informations circulent sur la toile. C’est tout juste si on y apprend qu’il a étudié à l’Académie des Beaux-Arts de Bruxelles et qu’il est auteur, illustrateur, sculpteur et dessinateur de presse. En jeunesse, on connaissait déjà de lui La chenille et Murmure, tous deux centrés sur des sujets tristement d’actualité, comme les guerres fratricides et les murs qui isolent. Or, on le sait par expérience, s’emparer de ces thèmes forts n’est pas sans risque. On tombe si vite dans un discours fabriqué, moralisateur ou édifiant. Mais rien de tel chez Christian Lagrange. On le constate une fois encore dans ce magnifique De la terre à la pluie. Cette fois, c’est le sort des migrants, ces milliers de femmes et d’hommes chassés de leur pays par la guerre, les persécutions, la pauvreté ou les violences climatiques, qui interpelle le créateur. Ses personnages – trois femmes d’âges différents – marchent vers la mer car « le désert avance ». Au dessus d’elles, un oiseau semble les guider et peut-être même les protège. Car la sécheresse n’est pas la seule ennemie. Moulés en terre glaise et photographiés ensuite, les personnages s’inscrivent dans un décor gris et noir réalisé en diverses techniques, où l’ordinateur a sa place. Le texte se fait discret. Une phrase courte, ici et là, en bas de page. La dernière « Chaque homme dans sa nuit s’en va vers sa lumière » est extraite – nous apprend la quatrième de couverture – d’un poème de Victor Hugo. Mais, à la réflexion, on se dit qu’on aurait pu se passer des mots. Tant le récit et l’émotion sont dans les images, les décors évocateurs, dans les jeux entre ombre et lumière, dans l’utilisation des nuances de gris, dans cet ocre couleur terre s’effaçant sous le noir avant de réapparaître – éclatant – à la dernière page. De la terre à la pluie est un livre qui fait confiance à la vie. (Maggy Rayet)