On ne peut pas le nier : ce que représente aujourd’hui le secteur de la bande dessinée franco-belge doit tout, historiquement, au succès phénoménal de Tintin dès le début des années 1930. Sans Hergé et Le Petit Vingtième, qui sait comment aurait pu évoluer ce secteur ? Toutefois, sans un autre phénomène, celui des imprimeurs-éditeurs, typique de la Wallonie, Tintin n’aurait peut-être jamais quitté les pages de son quotidien.
Deux imprimeurs, deux familles. Les Dupuis à Charleroi, les Casterman à Tournai. Et une même approche industrielle. Pour avoir du travail, pour faire tourner les machines, rien de mieux que de devenir son propre fournisseur. L’imprimeur devient donc éditeur. Casterman publiera les albums de Tintin. Et Dupuis, ceux qui seront issus de son magazine de bande dessinée créé à la toute fin des années 1930 : Spirou. Avant d’en arriver là, Dupuis passe par la multiplication des titres de presse. Bonne Soirée, Moustique et Spirou en sont les plus emblématiques avant guerre. Et ces titres réclament — Spirou plus encore que les autres — des dessinateurs pour en remplir une part de contenu. Après la Seconde Guerre mondiale, un troisième acteur, Raymond Leblanc, vient grossir les rangs de ces tout nouveaux éditeurs de bande dessinée. Il fonde le magazine Tintin et les Éditions du Lombard, qui publieront les albums des héros du journal à l’exception de ceux déjà sous contrat avec Casterman : Tintin, Blake et Mortimer, Alix, etc. L’émulation entre les deux grands magazines de bande dessinée qu’a si bien racontée Hugues Dayez dans son livre Le Duel Tintin-Spirou donnera naissance à une extraordinaire génération d’auteurs : Hergé, Jacobs, Jacques Martin, Raymond Macherot, Jijé, Franquin, Morris, Will, Peyo, Tillieux, etc. La liste est longue. Et ces magazines eux-mêmes entreront plus tard en concurrence avec de nouveaux venus en France : Pilote, d’abord, sous la houlette de Goscinny, qui révélera par exemple Giraud, mais aussi, ensuite, dans les années 1970, Métal Hurlant et toute la vague SF des Humanoïdes Associés où François Schuiten fera ses premières armes, puis Fluide glacial. Enfin, une réponse belge viendra de Casterman avec (À SUIVRE), le magazine créé par Jean-Paul Mougin et Didier Platteau qui permettra à la BD de passer à l’âge adulte et consacrera Comès, Schuiten et Peeters, Geluck, Boucq et tant d’autres.Mais aujourd’hui, pas loin d’un siècle après les balbutiements de cette véritable naissance de la bande dessinée franco-belge, que reste-t-il de ce paysage éditorial ? Pas grand-chose. Faisons le bilan des maisons d’éditions historiques. Casterman appartient au groupe français Madrigall. Dupuis a été racheté plus d’une centaine de millions d’euros au groupe d’Albert Frère en 2004, lui-même l’ayant racheté aux héritiers du fondateur. Depuis, la maison de Marcinelle qui publie toujours le magazine Spirou appartient au groupe franco-belge Média Participations, dont l’ancrage principal est français. Elle a été la dernière à rejoindre ce pôle qui avait déjà réussi à absorber Le Lombard et qui s’est fondé autour de la maison Dargaud. Des trois éditeurs historiques, plus aucun n’est belge. Ou à tout le moins, s’ils conservent un ancrage important en Belgique, c’est flanqués d’une belle-mère parisienne. Alors, la bande dessinée belge, mythe ou réalité ? De nombreux créateurs sont toujours actifs chez nous. Et certains, comme François Schuiten, Hermann, Yslaire, Frank Pé, et quelques autres, font partie des grands noms du neuvième art.