DESCENDRE de François Badoud // Rencontre et dédicaces

Descendre a été écrit suite à ma découverte d’une réalité historique du pays où j’ai grandi. En Suisse, des centaines de milliers d’enfants et d’adultes ont été respectivement placés et internés administrativement[1] dans des conditions déplorables, sous la responsabilité de l’Eglise et de l’Etat, de la fin du XIXe siècle jusqu’en 1981. Les autorités ordonnaient sans jugements ni droit de recours, officiellement à des fins d’éducation au travail. Les mineurs – orphelins, nés hors mariage ou issus de familles pauvres – étaient placés jusqu’à leur majorité dans des institutions ou des familles, le plus souvent paysannes. Les adultes considérés comme « déviants » – fainéants, vagabonds, alcooliques, etc. – subissaient des mesures similaires via des internements dans des pénitenciers, pour une durée maximale tacitement fixée à trois ans. Dans les deux cas, le manque de surveillance de l’Etat donna lieu à de nombreux abus : horaires de travail démentiels, tâches inadaptées, conditions d’hygiène, de soins et d’alimentation affligeantes, enfermements, violences, attouchements, viols, manques d’affection, manipulations et essais médicamenteux. Les filles-mères et les handicapées étaient par exemple contraintes à des avortements et/ou stérilisations. Le « grand renfermement » (XVIIe siècle) dont parle Foucault[2] est là. Quant à l’ampleur du scandale, Pierre Avvanzino, historien spécialiste du sujet, avance qu’il s’agissait d’une culture de l’abus des plus démunis : rare étaient les établissements où la dignité était respectée. Pour les mineurs, on parle de 600 institutions, d’une centaine de milliers de jeunes par an. Des événements similaires ont été constatés en Angleterre, en Irlande, au Canada, en Allemagne, en France, en Espagne et en Belgique.

[1] L’internement administratif est une mesure de détention décidée par le pouvoir exécutif (et non judiciaire). Son but était de prévenir les crimes en internant les personnes suspectes durant un délai déterminé par l’administration.

[2] A l’âge classique, on interne les fous et invente un nouveau concept de déraison, unissant les fous aux vagabonds, oisifs et autres sortes de dépravés. Voir « Histoire de la folie à l’âge classique », Michel Foucault, 1976.