La fin de l’année arrive avec ses fêtes traditionnelles, mais aussi, pour tous ceux qui apprécient les langues régionales en nos régions, ce qui constitue aussi pour eux une fête depuis des années, Un auteur, une voix. On connaît le principe de cette manifestation littéraire: un interprète défend un texte d’un auteur en langue régionale devant le public rassemblé à La Roulotte théâtrale à Élouges et aussi, devant deux jurys, l’un destiné à juger l’interprétation, l’autre la qualité du texte. Les infatigables organisateurs de cette manifestation, Annie Rak et Roland Thibeau avaient proposé cette année comme thème, Les Voisins. * On l’a déjà fait remarquer, certains auteurs wallons n’aiment pas voyager, le «campanilisme réducteur», cher à Albert Maquet, les confine à leur cocon et pour eux, Élouges c’est bien loin, quasiment le pays rouchi, le bout de Wallonie, la France, presque! Cette année, il semble que…
Auteur de Un auteur, une voix... 2023
Baptiste Frankinet nouveau membre titulaire de la SLLW
(Réponse du Récipiendaire : Eloge de Jean Brumioul) Monsieur le Président, chères consœurs, chers confrères, Comme vous le soulignez, voici cinq ans maintenant que j’ai la chance de gérer la Bibliothèque des dialectes de Wallonie et donc de côtoyer quotidiennement les archives et la bibliothèque de la Société de langue et de littérature wallonnes qui y sont conservées. J’ai pleinement conscience de l’influence positive que la Société a eue sur l’essor et l’épanouissement des langues régionales de Wallonie, depuis sa création et jusqu’à aujourd’hui. J’ai également pleinement conscience de la valeur des membres de l’assemblée à qui je m’adresse aujourd’hui. C’est pour moi un grand honneur que vous me faites en m’accueillant au sein de cette société ! J’espère pouvoir m’en montrer digne et apporter ma propre pierre à l’édifice. Cet honneur est double, puisque vous m’offrez le siège que Jean BRUMIOUL occupait avant son décès en 2014. Pour l’avoir rencontré régulièrement durant les dernières années de sa vie, je n’ai pas peur de dire qu’il s’agit là d’un bel exemple à suivre. Il me revient d’évoquer aujourd’hui sa personnalité. Je m’acquitterai de cette tâche avec d’autant plus de plaisir que c’était quelqu’un que j’appréciais beaucoup et dont le riche parcours n’avait pas entamé la modestie, qualité importante à mes yeux. Permettez-moi avant tout d’évoquer notre dernière rencontre. En avril 2014, dans le cadre de mes fonctions au Musée de la Vie wallonne, nous organisions, avec l’aide de la Fédération Wallonie-Bruxelles, une formation autour des langues et littératures régionales, à destination des bibliothécaires. Nous avions demandé à M. Brumioul de venir partager avec nous son expérience d’auteur wallon. Avec beaucoup d’humilité, et presque pour céder à nos insistances, il avait accepté. Je me souviens précisément de son récit, de ses souvenirs, de ses évocations de la vie d’autrefois où la langue wallonne était un ciment entre Liégeois. Il se souvenait avec émotion des jours où il circulait rue Hors-Château et où les radios diffusaient sur les antennes les pièces de théâtre et opérettes produites à haut volume sur les scènes liégeoises ou en studio. Il nous disait avoir appris le wallon, non pas en famille, mais en allant voir les représentations au Théâtre wallon du Trianon, chaque semaine. Ces quelques éléments nous permettent déjà de dégager les grandes lignes qui ont guidé la vie de Jean Brumioul : la radio, la ville de Liège, le théâtre et le wallon, bien entendu. Le professionnalisme au service de la radio et de la télévision Jean BRUMIOUL est né à Bressoux, en périphérie liégeoise, en 1925. En décembre 1944, la guerre n’est pas encore totalement terminée, et il entre, à 19 ans à peine, à la Radio diffusion nationale belge comme speaker. Il devient rapidement journaliste, l’année suivante. C’est là qu’il rencontre Camille Caganus. Caganus est programmateur, puis directeur de la station radio liégeoise de la RNB, mais il est également romaniste, comédien et passionné de théâtre. C’est lui qui, le premier, propose la mise en ondes de pièces de théâtre en français et en wallon, qu’il écrit parfois, et dans lesquelles il n’hésite pas à assumer un rôle. Camille Caganus, décédé en 1958, sera en quelque sorte un premier mentor pour Jean Brumioul et influencera sa manière de travailler, lorsqu’il lui succédera à la tête de la station liégeoise et à la production des émissions wallonnes. Pour les besoins des mises en ondes, Jean Brumioul emploie très tôt sa plume et écrit des dialogues, dans tous les genres, de l’évocation historique aux adaptations romanesques, en passant par le policier ou le fantastique. Ses écrits sont tantôt en français, tantôt en wallon. On retiendra surtout Li creû d’amoûr (1951), Li vwèle, Moncheû prétimps (1961) ou encore So lès vôyes di Moûse (1972). Ce dernier texte, diffusé à l’occasion des vingt-cinq ans des accords du Bénélux en 1972, sera son seul recueil de poèmes publié (en 1983). En 1961, Jean Brumioul devient secrétaire de rédaction, puis rédacteur en chef dès 1965. Il crée l’information régionale en radio, puis transpose le principe à la télévision dès 1968 avec Antenne-Soir, une émission qui sera diffusée jusqu’en 1982, avant de devenir Ce soir, puis Région-Soir. Durant toute sa carrière, jusqu’au milieu des années 1980, Jean Brumioul ne manque pas de saisir chaque occasion pour mettre en valeur la Wallonie et la langue wallonne. On se souviendra, par exemple, d’émissions télévisées consacrées à Jean Rathmès ou à François Masset, à la fin des années 1970, ainsi qu’un large reportage pour les cent ans de Tåtî l’ pèriquî ou pour les cent-vingt ans de la SLLW en 1976. La passion du théâtre... et de l’histoire de Liège On l’a dit, c’est au théâtre que Jean Brumioul avait appris le wallon, au fil des spectacles. Il nous avait confié que ses parents, bien qu’ils aient pris la bonne habitude de l’emmener volontiers au Théâtre communal wallon du Trianon, lui parlaient en français. S’il écrit régulièrement des pièces de théâtre mises en ondes entre 1945 et 1963, sa vie de père de famille et surtout sa vie professionnelle, devenue plus prenante après sa promotion, ne lui laissent pas vraiment l’occasion de se consacrer pleinement au théâtre. Il faut attendre 1980 pour que Jean Brumioul puisse en faire une priorité. C’est à la demande de Raymond Rossius, directeur de l’Opéra royal de Wallonie, qu’il écrit une grande fresque lyrique et dramatique intitulée Liège libertés, réalisée à l’occasion des festivités du Millénaire de la Principauté de Liège. À partir de cette période, il écrit régulièrement. Il imagine de nombreuses comédies à succès à la demande de José Brouwers, directeur du Théâtre Arlequin. La liste de ces pièces écrites pour le Théâtre Arlequin est longue : Ils sont fous ces Liégeois (1980), Viens chez moi, j’habite en Wallonie (1982), Sonate à Majorque (1984), Jacques le Fataliste (adapté de Diderot en 1984), Malheureux Liégeois (1985, puis en 1991), 89 par l’œil de bœuf (1989), Monsieur Franck viendra ce soir (1990), Maupassant, le cœur en écharpe (1992), Les pieds dans l’urne (1994 et 1995), puis les célèbres Café Liégeois (6 versions entre 1997 et 2010) et Gare aux Liégeois (en 2012 et 2013). Les dernières pièces s’orientent vers la satire et la critique de la société, avec un ton juste et plein d’humour, qui a plu. La plupart de ces pièces lui ont également permis d’intégrer des répliques savoureuses en wallon, mais surtout de faire étalage, même en français, de l’esprit frondeur des Liégeois qui lui était si cher. Cette passion pour l’écriture dramatique s’appuie souvent sur une autre passion : l’histoire de la Principauté de Liège. Cette passion pour l’histoire est peut-être née lors de reportages historiques de grande envergure que la radio lui confia : le V-Day en 1945, les Joyeuses entrées du Roi Baudouin en 1951, l’inauguration du monument à la résistance à Liège, les mariages de Joséphine-Charlotte et Jean de Luxembourg, d’Albert et Paola, de Baudouin et Fabiola, les baptêmes princiers, les voyages officiels, les décès des papes Pie XII et Jean XXIII, les funérailles de la Reine Elisabeth de Belgique... Mais sa grande passion reste l’histoire de la Principauté de Liège, son pays. Brumioul se décrivait lui-même comme un indécrottable principautaire. Certains y voient un défaut, un repli sur soi... Quand on est Liégeois, on comprend bien ce sentiment... Pour ma part, je le partage. Ça ne signifie nullement qu’on n’est pas ouverts sur le monde, mais plutôt qu’on est fiers de nos racines, de notre terroir : Di nosse passé, qwand c’est qu’on lét l’istwére, on s’ rècrèstèye vormint a chaque foyou !, disait Théophile Bovy dans le Chant des Wallons.…
Enseigner une littérature «invisible» à l’Université. Le cas de la littérature en langue picarde
En avril 2023, la Société organisait une journée de mise à l’honneur de nos membres correspondants. À cette occasion, quatre d’entre eux ont eu l’occasion de prendre la parole sur des sujets de leur choix, soit en lien avec les langues régionales de Belgique romane, soit à propos de sujets d’études proches de nos considérations. Les intervenants ont accepté de faire part de leurs présentations par écrit et nous nous proposons de les publier dans Wallonnes, au fil des numéros. Voici la deuxième contribution: celle d’Olivier Engelaere, introduite par Baptiste Frankinet. * Présentation Il est presqu’impossible, à l’heure actuelle, d’évoquer la langue et la littérature picardes, sans arriver rapidement à mentionner le nom d’Olivier Engelaere . Historien et documentaliste de formation, Olivier a été chargé dès 1999 de développer des projets de défense, de soutien, d’illustration de la langue picarde au sein de l’Office Culturel Régional de Picardie. Et, dès cette première mission, force est de constater qu’il s’est pris d’une passion incommensurable pour le picard, sous tous ses aspects. Sa passion n’a d’égal que l’investissement et l’énergie immenses qu’il a pu déployer au cours des vingt-cinq dernières années pour mener à bien les missions qui lui ont été confiées à la fin du 20e siècle. En 2009, le département Langue et Culture de Picardie qu’il avait savamment organisé au sein de l’office culturel régional de Picardie, se concrétise en une Agence régionale de la langue picarde. Cette agence, directement missionnée par la Région Hauts-de-France, est placée sous sa responsabilité et développe des opérations de promotion qui prennent les formes les plus diverses: organisation de prix, animations scolaires, développement d’ateliers d’écriture en bibliothèque ou en milieu carcéral, défense militante de la langue, soutien dans l’apprentissage, organisation d’une commission de terminologie picarde, aide à la publication, et j’en passe. Parallèlement, il fonde la maison d’édition Engelaere, une maison d’édition associative spécialisée dans les questions culturelles régionales et notamment dans l’édition en langue régionale. Cet outil vient, incontestablement, en aide aux auteurs et aux écrivains picards, et cherche à leur assurer une diffusion et une promotion convenables face au marché concurrentiel du livre en français ou en langue étrangère. Depuis 2015, Olivier Engelaere assure un cours de langue et culture picardes à l’Université de Picardie-Jules Verne à Amiens. Depuis 2020, il organise également un cours similaire à l’Université Polytechnique des Hauts-de-France à Valenciennes. En 2021, il accepte de devenir membre correspondant de notre SLLW, a fortiori parce que le picard est un de nos objets d’études. La langue picarde, qu’il défend et qu’il promeut depuis des années, déborde sur une grande partie du Hainaut. Depuis 2022, il a entrepris une thèse qui étudie la littérature de langue picarde au 19e siècle, sous la direction de Marie-Françoise Melmoux-Montaubin. C’est donc avec grand plaisir que nous accueillons Olivier Engelaere au sein de notre Société, en qualité de membre correspondant, en espérant qu’il pourra s’appuyer sur les études faites par cette même Société pour toute la région picarde, mais qu’il pourra également nous aider à mieux connaître le picard tel qu’il est parlé outre-Quiévrain. © Baptiste Frankinet, revue Wallonnes 4-2023, SLLW, Liège, Belgique * Enseigner une littérature «invisible» à l’université Le cas de la littérature en langue picarde par Olivier Engelaere Je tiens en premier lieu à vous remercier pour l’honneur qui m’est fait de me proposer de devenir membre correspondant de la Société de langue et de littérature wallonne dont l’objet, la défense et la promotion des langues régionale, a été, pi i est toudis, un des moteurs de mon existence. Lorsque Monsieur Frankinet m’a demandé de choisir un thème pour cette intervention, tout de suite le rapport entre nos langues régionales et le monde universitaire m’est venu à l’esprit. Comme vous le savez certainement, un évènement très important, qui a bouleversé notre paysage, dans le nord de la France, a eu lieu le mardi 14 décembre 2021. Il s’agit de la publication d’une circulaire du ministère de l’Éducation nationale qui ajoute le picard, ainsi que le flamand occidental et le franco-provençal, à la liste des langues régionales qui peuvent être enseignées à tous les niveaux de la scolarité. Je passerai sur l’aventure qu’a été l’élaboration de ce texte et les méandres politiques qui ont permis que le picard ne soit pas oublié. Le picard jouit donc aujourd’hui du même statut dans l’enseignement que le basque, le breton ou l’occitan. Ce qui ne veut pas dire bien entendu qu’il en est au même point qu’eux… bien loin de là, et c’est un euphémisme que de le dire. Cette irruption presque brutale du picard dans l’éducation nationale a engendré de suite la question de la formation des maîtres qui seront en charge de son enseignement. Immédiatement, les regards se portent vers l’Université dont une des missions est de former les futurs enseignants. Le picard et l’Université, c’est une histoire ancienne. Le professeur Jean-Michel Eloy, de l’Université de Picardie Jules Verne, a consacré un article, non publié à ma connaissance, sur ce sujet. À l’Université de Lille, une chaire de «langue et littérature picarde et wallonne» existe depuis 1892. L’enseignante actuellement en poste est Esther Baiwir, dialectologue liégeoise que vous connaissez très probablement. Cette chaire a d’abord été occupée par des médiévistes et aujourd’hui la présence du picard à l’Université de Lille dépend du Centre d’études médiévales et dialectale. Ni les mots langue picarde ni les mots littérature picarde n’apparaissent dans la présentation des composantes de ce centre sur le site internet de l’Université. Les étudiants lillois de lettres peuvent donc suivre une option «langue, littérature et culture régionale». Le nom de la région concernée n’étant pas précisée, on imagine qu’il s’agit de langue et de littérature picardes, et non flamande puisque le flamand occidental est également une langue régionale des Hauts-de-France. À Amiens, le picard est présent à l’Université depuis sa création en 1971. C’est à la demande de son premier président, Dominique Taddéi, qu’est créé le Centre d’Etudes Picardes alors sous la responsabilité de Jacqueline Picoche, professeure de linguistique. Ici aussi, l’étude du picard est proposée aux étudiantes et étudiants sous la forme d’une option dont la forme a beaucoup varié selon les époques. Ce sont essentiellement des linguistes qui ont été en charge de cette option et je me dois de citer le nom de l’infatigable René Debrie. Cette option a eu une ampleur parfois assez considérable en termes d’horaires et a recouru à de nombreux vacataires. Depuis le départ de Jean-Michel Éloy, qui avait succédé à Jacqueline Picoche, plus aucun enseignant titulaire n’est responsable directement de cet enseignement, qui se poursuit et est donc aujourd’hui entre les mains de chargés de cours, dont je fais partie. Enfin, le picard est enseigné depuis l’année 2019-2020 à l’Université Polytechnique du Hainaut à Valenciennes dans le cadre d’un module d’ouverture de 18h par semestre. La demande de l’Université était de proposer un cours d’apprentissage de la langue. Là également, l’enseignement n’est pas assuré par un titulaire mais par un vacataire, ch’est toudis mi. Il n’y a donc, aujourd’hui, qu’à l’Université de Lille, qu’une enseignante titulaire se charge elle-même les cours de l’option «picard» entre guillemets. La présence du picard à l’Université,…
La fin de quelque chose ( Editorial )
In the old days Hortons Bay was a lumbering town. No one who lived in it was out of sound of the big saws in the…