La fin de l’année arrive avec ses fêtes traditionnelles, mais aussi, pour tous ceux qui apprécient les langues régionales en nos régions, ce qui constitue aussi pour eux une fête depuis des années, Un auteur, une voix. On connaît le principe de cette manifestation littéraire: un interprète défend un texte d’un auteur en langue régionale devant le public rassemblé à La Roulotte théâtrale à Élouges et aussi, devant deux jurys, l’un destiné à juger l’interprétation, l’autre la qualité du texte. Les infatigables organisateurs de cette manifestation, Annie Rak et Roland Thibeau avaient proposé cette année comme thème, Les Voisins. * On l’a déjà fait remarquer, certains auteurs wallons n’aiment pas voyager, le «campanilisme réducteur», cher à Albert Maquet, les confine à leur cocon et pour eux, Élouges c’est bien loin, quasiment le pays rouchi, le bout de Wallonie, la France, presque! Cette année, il semble que…
Auteur de Un auteur, une voix... 2023
Qu’est-ce qu’un magneû d’ blanc ? Qu’est-ce qu’un « mangeur de blanc » ?
Lors du décès de Michel Galabru , en ce 4 janvier 2016, la télévision a rediffusé la version théâtrale de La femme du boulanger de Marcel Pagnol, dans laquelle l’acteur tient le rôle du protagoniste, Aimable Castanier. Aimable est un prénom tragiquement prédestiné pour celui qui devra camper un personnage de cocu, sinon content, du moins résigné... et pathétique. Et ceci n’a rien à voir avec le Bruno psychopathe, – d’une jalousie maladive, qui n’a de cesse de pousser sa femme à l’infidélité pour justifier ses propres soupçons – Le Cocu magnifique de Fernand Crommelynck, ni avec le Sganarelle, cocu imaginaire de Molière. Ces deux derniers sont des personnages de comédie, de farce, des personnages caricaturaux qui prêtent plutôt à rire (ou à faire grincer des dents). Aimable Castanier, lui, est pitoyable, parce qu’il est humain, profondément humain. M’est revenue en mémoire, à cette occasion, une expression qu’on utilisait dans ma jeunesse (et qu’on utilise peut-être encore), au pays de Herve, pour désigner ce type de personnage qu’on rencontre quelquefois dans notre entourage : un mari complaisant, un cocu qui s’ignore ou qui feint de s’ignorer, est qualifié de magneû d’ blanc, de « mangeur de blanc ». Et l’expression n’était utilisée que dans cette acception-là. Ayant consulté mes dictionnaires de référence – le Petit et le Grand Larousse, le Petit et le Grand Robert, le Littré... – sans rien y trouver, j’en avais conclu un peu vite que cette expression était dialectale. Et j’avais même imaginé que ce blanc-là dont il est question dans l’expression n’était autre que le blanc d’œuf, de l’œuf qu’on fait gober cru, entier, et d’une traite, comme on peut faire prendre à tout gobeur naïf des vessies pour des lanternes XX . Les dictionnaires dialectaux Les lexicographes en langue régionale qui répertorient cette expression sont souvent peu explicites. Je n’ai trouvé le « mangeur de blanc » qu’en ces endroits : – Jean WISIMUS, dans son Dictionnaire populaire wallon-français en dialecte verviétois (1947), se contente de citer l’expression magneû d’ blanc, sub v° blanc, p. 50a, sans la traduire. – Anne-Marie FOSSOUL-RISSELIN, Le vocabulaire de la vie familiale à Saint-Vaast (1890-1914), Mémoire de la CTD (Commission de Toponymie et de Dialectologie), n° 12, p. 115 : « Un homme se fait-il entretenir par une femme ? On dira de lui : C’è-st-in manjeùr [sic pour l’accent] dè blanc (influence française). » [JL, lire Jean Lechanteur] – Léon MAES (1898-1956), dont Le Patois mouscronnois a été édité en 1979, écrit : « Minjeû d’ blanc, entremetteur. » (p. 33). [JL] – Joseph COPPENS, dans son Dictionnaire aclot wallon-français, du parler populaire de Nivelles (1950), sub v° mindjeû, cite « In mindjeû d’ blanc (souteneur). » (p. 259a). Et dans son Dictionnaire aclot français-wallon (1962), sub v° souteneur, il traduit « mindjeû d’ blanc », expression qu’il illustre de l’exemple suivant : « in mindjeû d’ blanc qui vike su l’ dos dès couméres ». – Michel FRANCARD, dans son Dictionnaire des parlers wallons du pays de Bastogne (1994), sub v° blanc, écrit : « C’è-st-ou mindjeû d’ blanc, litt. ‘c’est un mangeur de blanc’, c’est un proxénète. » (p. 173a). – P. MAHIEU, dans son Lexique picard, « meots a moute el’ bahut a meots, choix de textes », (1994) écrit : « minjeu d’ blanc : litt. mangeur de blanc, homme entretenu par une femme. » (p.158b) – Dans le BTD (Bulletin de toponymie et de dialectologie) XXVIII (1953), Élisée Legros fait un compte rendu très sévère – et sans appel – du Lexique liégeois (Dinant, Bourdeaux-Capelle, 1952) de Dominique Beaufort, dont voici un extrait : « Les temps ont bien changé depuis que Haust devait se défendre pour avoir admis trop de mots français ! De-ci de-là seulement, un mot à relever, du langage plus ou moins vulgaire d’aujourd’hui souvent : caca « jeune fat », mèyus´ « ivrogne », çoula n’ vout nin dîre tchèrète (que l’auteur n’est pas le premier à enregistrer)... Notons encore magneû d’ blanc [= franç. popul. bouffeur de blanc] « souteneur », omis volontairement par Haust, et aler so l’ bate à gauche « aller chez les femmes [sic] y demeurant [y, c’est so l’ bate, traduit « quai de Maestricht (à Liège) » : n’est-ce pas plutôt d’abord « quai de la Batte » ?... XX ] (p. 160). Dans son Dictionnaire populaire liégeois (2004), Simon Stasse recopie la même définition, sub v° blanc « magneû d’ blanc, souteneur » (p. 53) et sub v° magneû « Magneû d’ blanc, marlou, souteneur ; syn. mêsse dogueû. → makeû, maquero. » (p. 250a) De Mouscron à Verviers, de Nivelles à Bastogne... toute la partie francophone de notre pays connaît l’expression. On est passé de « mari complaisant » à « souteneur » ou à « proxénète ». Ou l’inverse. Rien ne permet vraiment d’assurer le sens dans lequel s’est faite cette évolution sémantique. Dans ce cas, le blanc d’œuf pourrait devenir un beau morceau, du blanc de poulet, par exemple. Dictionnaire de belgicismes De tous les dictionnaires de belgicismes, seul le dictionnaire des Belgicismes (Duculot, 1994), de W. Bal et alii, sub v° mangeur, cite « Un mangeur de blanc. Un souteneur. » (p. 87). Toutefois, le FEW (Französisches Etymologisches Wörterbuch), 6/1, 174b, désormais consultable sur Internet, écrit ceci sub v° manducare : « nfr. mangeur de blanc ‘homme qui se laisse entretenir par des femmes’ BL 1808, argot ‘souteneur’ (Michel 1856-SandryC 1953), ‘argot belge’ Lc, ‘bluffeur’ Lc. XX » Notons l’expression « argot belge ». Quelques enquêtes orales Il y a quelques années, faisant une petite enquête orale auprès de quelques amis et connaissances, j’ai reçu les modestes informations que voici : – Un ami borain m’écrivait ceci : « Je ne peux pas répondre pour toute la Picardie, mais le borain connaît minjeû d’ blanc dans le sens général de ‘profiteur’, celui qui vit aux dépens d’autrui, des femmes, de sa femme, sans qu’il y ait forcément connotation sexuelle ». – Dans le Condroz-Famenne, sans faire référence à un ‘pauvre type’ dont la femme (épouse, concubine) userait vénalement de « son cul » (comme m’a dit rabelaisiennement un Wallon du coin), on emploie aussi cette expression pour désigner tout profiteur. – Un témoin de Chênée (périphérie liégeoise) donne de magneû d’ blanc, dans un premier temps, la traduction « souteneur, maquereau », puis, dans un second temps, il traduit « un homme qui vit aux crochets de sa femme ». – Un ami verviétois, médecin, m’a fait le récit suivant : « Pendant ma 2e candidature, j’ai travaillé occasionnellement comme garçon de café en Outre-Meuse, l’établissement étant assez proche de la Batte et de son quartier chaud, maintenant un désert après le départ des prostituées. On était peu après mai 68. Un soir, le patron de l’époque, X***, m’a fait venir dans la cuisine pour bien me préciser, une fois pour toutes, que dans son établissement, il n’était pas question d’accepter des « mangeurs de blanc ». J’étais censé comprendre ; je n’ai pas osé lui demander d’explication et avouer à la fois ma naïveté et mes ignorances lexicales. Un autre garçon, comme moi, étudiant et travaillant en extra, m’a dit qu’il s’agissait des souteneurs, des proxénètes. Je n’ai jamais entendu cette expression que là, dans la bouche de X***, dans ce café... Dans l’acception de cocu plus ou moins consentant et pitoyable, je n’ai jamais entendu employer cette expression. » – Un ami herstalien (de la périphérie liégeoise), m’écrivait en 2004 : « Je pense que cette expression ne s’emploierait pas à propos des importateurs de filles de l’Est ou d’Afrique particulièrement actifs en ce moment. À mon humble avis, le mangeur de blanc est, si je puis risquer cette…
Baptiste Frankinet nouveau membre titulaire de la SLLW
(Réponse du Récipiendaire : Eloge de Jean Brumioul) Monsieur le Président, chères consœurs, chers confrères, Comme vous le soulignez, voici cinq ans maintenant que j’ai la chance de gérer la Bibliothèque des dialectes de Wallonie et donc de côtoyer quotidiennement les archives et la bibliothèque de la Société de langue et de littérature wallonnes qui y sont conservées. J’ai pleinement conscience de l’influence positive que la Société a eue sur l’essor et l’épanouissement des langues régionales de Wallonie, depuis sa création et jusqu’à aujourd’hui. J’ai également pleinement conscience de la valeur des membres de l’assemblée à qui je m’adresse aujourd’hui. C’est pour moi un grand honneur que vous me faites en m’accueillant au sein de cette société ! J’espère pouvoir m’en montrer digne et apporter ma propre pierre à l’édifice. Cet honneur est double, puisque vous m’offrez le siège que Jean BRUMIOUL occupait avant son décès en 2014. Pour l’avoir rencontré régulièrement durant les dernières années de sa vie, je n’ai pas peur de dire qu’il s’agit là d’un bel exemple à suivre. Il me revient d’évoquer aujourd’hui sa personnalité. Je m’acquitterai de cette tâche avec d’autant plus de plaisir que c’était quelqu’un que j’appréciais beaucoup et dont le riche parcours n’avait pas entamé la modestie, qualité importante à mes yeux. Permettez-moi avant tout d’évoquer notre dernière rencontre. En avril 2014, dans le cadre de mes fonctions au Musée de la Vie wallonne, nous organisions, avec l’aide de la Fédération Wallonie-Bruxelles, une formation autour des langues et littératures régionales, à destination des bibliothécaires. Nous avions demandé à M. Brumioul de venir partager avec nous son expérience d’auteur wallon. Avec beaucoup d’humilité, et presque pour céder à nos insistances, il avait accepté. Je me souviens précisément de son récit, de ses souvenirs, de ses évocations de la vie d’autrefois où la langue wallonne était un ciment entre Liégeois. Il se souvenait avec émotion des jours où il circulait rue Hors-Château et où les radios diffusaient sur les antennes les pièces de théâtre et opérettes produites à haut volume sur les scènes liégeoises ou en studio. Il nous disait avoir appris le wallon, non pas en famille, mais en allant voir les représentations au Théâtre wallon du Trianon, chaque semaine. Ces quelques éléments nous permettent déjà de dégager les grandes lignes qui ont guidé la vie de Jean Brumioul : la radio, la ville de Liège, le théâtre et le wallon, bien entendu. Le professionnalisme au service de la radio et de la télévision Jean BRUMIOUL est né à Bressoux, en périphérie liégeoise, en 1925. En décembre 1944, la guerre n’est pas encore totalement terminée, et il entre, à 19 ans à peine, à la Radio diffusion nationale belge comme speaker. Il devient rapidement journaliste, l’année suivante. C’est là qu’il rencontre Camille Caganus. Caganus est programmateur, puis directeur de la station radio liégeoise de la RNB, mais il est également romaniste, comédien et passionné de théâtre. C’est lui qui, le premier, propose la mise en ondes de pièces de théâtre en français et en wallon, qu’il écrit parfois, et dans lesquelles il n’hésite pas à assumer un rôle. Camille Caganus, décédé en 1958, sera en quelque sorte un premier mentor pour Jean Brumioul et influencera sa manière de travailler, lorsqu’il lui succédera à la tête de la station liégeoise et à la production des émissions wallonnes. Pour les besoins des mises en ondes, Jean Brumioul emploie très tôt sa plume et écrit des dialogues, dans tous les genres, de l’évocation historique aux adaptations romanesques, en passant par le policier ou le fantastique. Ses écrits sont tantôt en français, tantôt en wallon. On retiendra surtout Li creû d’amoûr (1951), Li vwèle, Moncheû prétimps (1961) ou encore So lès vôyes di Moûse (1972). Ce dernier texte, diffusé à l’occasion des vingt-cinq ans des accords du Bénélux en 1972, sera son seul recueil de poèmes publié (en 1983). En 1961, Jean Brumioul devient secrétaire de rédaction, puis rédacteur en chef dès 1965. Il crée l’information régionale en radio, puis transpose le principe à la télévision dès 1968 avec Antenne-Soir, une émission qui sera diffusée jusqu’en 1982, avant de devenir Ce soir, puis Région-Soir. Durant toute sa carrière, jusqu’au milieu des années 1980, Jean Brumioul ne manque pas de saisir chaque occasion pour mettre en valeur la Wallonie et la langue wallonne. On se souviendra, par exemple, d’émissions télévisées consacrées à Jean Rathmès ou à François Masset, à la fin des années 1970, ainsi qu’un large reportage pour les cent ans de Tåtî l’ pèriquî ou pour les cent-vingt ans de la SLLW en 1976. La passion du théâtre... et de l’histoire de Liège On l’a dit, c’est au théâtre que Jean Brumioul avait appris le wallon, au fil des spectacles. Il nous avait confié que ses parents, bien qu’ils aient pris la bonne habitude de l’emmener volontiers au Théâtre communal wallon du Trianon, lui parlaient en français. S’il écrit régulièrement des pièces de théâtre mises en ondes entre 1945 et 1963, sa vie de père de famille et surtout sa vie professionnelle, devenue plus prenante après sa promotion, ne lui laissent pas vraiment l’occasion de se consacrer pleinement au théâtre. Il faut attendre 1980 pour que Jean Brumioul puisse en faire une priorité. C’est à la demande de Raymond Rossius, directeur de l’Opéra royal de Wallonie, qu’il écrit une grande fresque lyrique et dramatique intitulée Liège libertés, réalisée à l’occasion des festivités du Millénaire de la Principauté de Liège. À partir de cette période, il écrit régulièrement. Il imagine de nombreuses comédies à succès à la demande de José Brouwers, directeur du Théâtre Arlequin. La liste de ces pièces écrites pour le Théâtre Arlequin est longue : Ils sont fous ces Liégeois (1980), Viens chez moi, j’habite en Wallonie (1982), Sonate à Majorque (1984), Jacques le Fataliste (adapté de Diderot en 1984), Malheureux Liégeois (1985, puis en 1991), 89 par l’œil de bœuf (1989), Monsieur Franck viendra ce soir (1990), Maupassant, le cœur en écharpe (1992), Les pieds dans l’urne (1994 et 1995), puis les célèbres Café Liégeois (6 versions entre 1997 et 2010) et Gare aux Liégeois (en 2012 et 2013). Les dernières pièces s’orientent vers la satire et la critique de la société, avec un ton juste et plein d’humour, qui a plu. La plupart de ces pièces lui ont également permis d’intégrer des répliques savoureuses en wallon, mais surtout de faire étalage, même en français, de l’esprit frondeur des Liégeois qui lui était si cher. Cette passion pour l’écriture dramatique s’appuie souvent sur une autre passion : l’histoire de la Principauté de Liège. Cette passion pour l’histoire est peut-être née lors de reportages historiques de grande envergure que la radio lui confia : le V-Day en 1945, les Joyeuses entrées du Roi Baudouin en 1951, l’inauguration du monument à la résistance à Liège, les mariages de Joséphine-Charlotte et Jean de Luxembourg, d’Albert et Paola, de Baudouin et Fabiola, les baptêmes princiers, les voyages officiels, les décès des papes Pie XII et Jean XXIII, les funérailles de la Reine Elisabeth de Belgique... Mais sa grande passion reste l’histoire de la Principauté de Liège, son pays. Brumioul se décrivait lui-même comme un indécrottable principautaire. Certains y voient un défaut, un repli sur soi... Quand on est Liégeois, on comprend bien ce sentiment... Pour ma part, je le partage. Ça ne signifie nullement qu’on n’est pas ouverts sur le monde, mais plutôt qu’on est fiers de nos racines, de notre terroir : Di nosse passé, qwand c’est qu’on lét l’istwére, on s’ rècrèstèye vormint a chaque foyou !, disait Théophile Bovy dans le Chant des Wallons.…
On peut dire , sans trop se tromper, que le théâtre wallon connaît ses débuts au…