Les Kriegscayès : la grande guerre des Rèlîs Namurwès par Joseph DEWEZ, Bernard LOUIS, Axel TIXHON, Namur, Société Archéologique de Namur, 2015, 448 p, 30 €.
Le centième anniversaire de la Première guerre mondiale a suscité une large moisson d’ouvrages historiques, de plus ou moins grand intérêt.
Les témoignages en langue régionale n’ont pas été complètement oubliés et on citera, par exemple, les Sov’nances di quatôze de Félicien Barry, parus chez El Bourdon, ou La guerre 1914-1918 dans la littérature dialectale, édité par la Bibliothèque publique centrale du Brabant wallon.
L’ouvrage que nous proposent Joseph Dewez, Bernard Louis et Axel Tixhon est plus ambitieux. Il rassemble et édite les écrits rédigés entre 1914 et 1919 par l’ensemble des membres du cercle des Rèlîs Namurwès sous le nom générique et un brin provocateur de Kriegscayès.
La plupart d’entre eux étaient encore inédits à ce jour.
Ces témoignages littéraires…
Auteur de Compte-rendu
Laurent Demoulin (1966) a étudié à l’université de Liège, où il a reçu les enseignements de Jacques Dubois et de Jean-Marie Klinkenberg. Il y enseigne aujourd’hui. Son premier roman, Robinson , obtint le prix Victor-Rossel 2017. Son frère, le peintre Antoine Demoulin , dit Demant, illustre le présent recueil. Il avait déjà publié d’autres dessins en frontispice d’autres recueils : Filiation , Même mort , Palimpseste insistant et l’édition revue et largement augmentée d’ Ulysse Lumumba . Les deux frères avaient aussi publié une œuvre singulière à quatre mains, Homo saltans , où le texte et l’image s’entrelacent en un pas de deux très réussi. « Rien de plus déprimant que d’imaginer le Texte comme un objet intellectuel (…). Le Texte est objet de plaisir » écrivait Roland Barthes . Ce Bookleg de Laurent Demoulin recèle, dans son apparente diversité, de nombreux plaisirs stylistiques. Le choix des textes ne retient que des pièces destinées à être lues à haute voix. Slam femme est donc la juxtaposition d’une forme et d’un thème : la narration scandée librement, de manière rythmée, avec pour personnage central Greta Thunberg, jeune autiste Asperger et militante écologique. L’autisme, thème central de son remarquable roman Robinson , est donc une fois de plus présent chez l’auteur dans ces poèmes sous forme imprimée de textes destinés d’abord à l’oralité :(…) Ta pure volonté oui-autiste et sévèreQue tu deviens persona non grataChez les gris grisonnants qui méprisent le vert,Mais pour nous Great Greta, à jamais et basta !Tu es persona Greta (…)Que ce soit dans le domaine thématique ou stylistique, Slam femme & autres textes n’est pourtant ni disparate ni réducteur. Car la thématique de l’autisme pose une série de questions ayant trait à nos rapports au monde et aux autres.Utilisant la rime et les formes de manière à la fois classique et assez libre, avec des pastiches empruntés à l’histoire de la poésie française, de la Renaissance à l’Oulipo et à la chanson contemporaine, Demoulin joue avec la langue et les images, la syntaxe et le vocabulaire, manie l’humour et le double sens, comme avant lui, celui qui, le premier, fit du slam à Liège : Jacques Bernimolin (1923-1995), auquel Demoulin consacra une belle approche critique . À propos de ce poète atypique, Izoard disait : « Jeux de mots, calembours, cut-up, détournement de sens, faux lyrisme, humour décapant, sentimentalisme à rebrousse-poil, voilà quelques-uns des procédés utilisés par ce poète à la fois tendre et doux-amer ». Malgré leurs différences, les manières d’écrire, chez Bernimolin et Demoulin, font indubitablement partie de la même parentèle. Mais derrière le ludisme des formes, on perçoit la gravité des interrogations : Bernimolin aborde des atmosphères oniriques et parfois angoissantes, Demoulin traite de problématiques sociétales qui bouleversent notre civilisation et n’ont rien d’apaisant : la violence, envers la Nature, les femmes, l’être humain comme l’interrogation de nos identités et modes de vie y sont présentes.Un autre type de violence est celui qui réside dans tout type d’incommunicabilité. Sur ce plan, l’autisme est exemplaire. À propos du roman Robinson , J.P. Lebrun écrit : « La pertinence clinique de ce véritable travail d’écriture auquel s’est tenu Laurent Demoulin tient précisément dans ce qu’il nous fait partager ce à quoi Robinson n’accède pas, à savoir ce qu’implique ce que l’auteur appelle « la quatrième dimension – celle du langage – dans laquelle il est si douloureux d’entrer – car on y rencontre le mot ‘mort’ et le mot ‘jamais’ – et dont il est impossible de sortir « . Tout dans la description particulièrement fine de cette co-vivance entre père et fils, tout vient nous rappeler que n’a pas pu prendre place entre eux ce lien via le langage articulé qui définit notre espèce. » C’est pourtant dans cette coexistence entre le Livre et une autre écriture (l’écriture de l’Autre) , pour le dire comme Barthes, que survient la possibilité d’une compréhension des fragments réciproques de nos quotidiennetés et donc un désamorçage de la violence. Cette problématique est particulièrement sensible dans un poème comme « Minimum minimorum » et la série intitulée « Poèmes que je n’écrirai qu’une seule fois ».Au-delà de l’éblouissante virtuosité verbale de Demoulin, son inventivité, ses traits ludiques, sa capacité de mise à distance et son oralité, on sera attentif à la dramaturgie de l’être humain, à ses silences, ses murs intérieurs, ses souffrances et à la violence innée qui l’habite, aux peurs qui déterminent ses rapports aux autres et au monde… …
Quelle plus belle formule pouvait-on inventer pour parler de l'amour du cœur et du corps que celle d'Amourons-nous, pour évoquer ces sentiments si difficiles à exprimer avec des termes simples, quand la passion est présente en chaque seconde et constitue entièrement deux êtres ? Geert De Kockere, déjà remarqué, notamment, par son très bel album Tête-à-tête publié chez Milan jeunesse, surprend de nouveau ses lecteurs par ses petits poèmes d'amour qui expriment le quotidien et l'extraordinaire de ce moment d’émotion unique, quels que soient l'âge et la beauté des corps. Cet auteur, d'ailleurs principalement reconnu au Pays-bas comme poète, est également créateur de textes en prose pour les enfants ne sachant pas encore lire (comptines, petit contes…). Il est à l'origine, à ce jour, d'une cinquantaine d'ouvrages. Tous ne sont pas encore traduits en français, vous pouvez retrouvez quelques titres aux éditions Circonflexe comme Sacrée Zoé !, Nanette ou encore Willy (pour les enfants à partir de 4 ans.) La jeune illustratrice Sabien Clément, néerlandaise, qui publie ici son premier album (aussi bien à l'étranger qu'en France) exprime très bien cet amour par le dessin de femmes et d'hommes aux corps démesurés, sans recherche d'esthétique particulière, des couleurs qui débordent des traits, des corps grossièrement découpés… Des lettres en décalcomanie ont également été ajoutées dans le dessin qui peut devenir dès lors texte à part entière. Pour l'adaptation en français, il a fallut modifier certains transferts qui n'avaient plus de sens mais heureusement pour la beauté de la langue, d'autres ont été gardés et ressemblent à des fioritures qui enlumineraient les dessins. Cette jeune illustratrice n'a pas pour habitude de travailler pour les enfants. Mais ce livre ce prête à tout individu, enfant comme adulte, et permet même de communiquer sur le thème parfois délicat de l'amour physique entre parents et enfants. Ce défi à relever de la part de Geert de Kockere n'était pas évident ni pour lui ni pour Sabien Clement car il s'agissait de parler de l'amour en général sans tomber dans le grotesque ou le vulgaire. Cet album est original pour plusieurs raisons : d'une part par sa conception et d'autre part pour la nouvelle place qu'il prend dans le paysage littéraire jeunesse et adulte. En effet, cet ouvrage a été réalisé en complète harmonie entre l'auteur et l'illustratrice ; ainsi certains dessins sont nés du poème et d'autres poèmes sont nés d'un détail de l'illustration . Cette technique n'est pas habituelle en France. C'est souvent l'auteur ou l'éditeur qui choisit l'illustrateur ou l'illustrateur ou l'éditeur qui choisit l'auteur. Les éditions du Rouergue, qui ont acheté les droits de cet ouvrage lors du Salon de Bologne 2002, ont une fois de plus innové dans le domaine de la littérature puisque ce livre est le premier album destiné aux adolescents et aux adultes. Bien sûr, les enfants sont largement conviés à le feuilleter mais ils ne leur est pas exclusivement réservé. Pour marquer cette originalité, le Rouergue a créé une nouvelle collection, en continuité avec un pôle déjà existant (Do à do) et l'a simplement nommée : "Do à do image" ; pour l'instant, cette maison d'édition est la seule à avoir pris le risque de publier cet ouvrage et je ne peux qu'encourager et féliciter cette démarche qui s'inscrit parfaitement dans la politique des éditions du Rouergue. Je ne pourrai conclure sans vous laisser lire une partie infime de ce bel album : " Une fois de plus J'écris ce qui me vient. Tu me demandes : qu'est-ce que tu fais ? Je couche notre amour sur le papier. " Reste à savoir si l'accueil sera à la hauteur de cette petite révolution artistique. Je l'espère sincèrement car le lecteur ne peut être que charmé par cet album rouge…