Un aussi long voyage

RÉSUMÉ

« Il pensa au sable brûlant d’Égypte, à ces coffres funéraires qu’il avait laissés à Marseille sous la garde d’un ami à moitié malhonnête, mais enfin, il fallait se fier aux hommes de temps à autre et celui-ci avait peut-être assez d’honneur dans la filouterie ; et puis, n’avaient-ils pas partagé tout dans le désert… De ces coffres peints Liam de Wick et cet ami espéraient, sinon la fortune, quelque aisance. Liam avait en outre dans ses poches des bijoux d’or, aussi étranges que beaux et, dans un sac de cuir à la selle de son cheval, un fort rouleau de papyrus qui, si l’on avait voulu le dérouler, aurait demandé le parquet d’une galerie dans toute sa longueur. Certes, pas une Parisienne ne songerait à se parer de ces bijoux étranges, alors qu’ils plairaient à coup sûr à quelque savant riche, qui sait, plus intéressé encore par le rouleau que Liam n’était jamais parvenu à dérouler tout à fait et qui, de toute façon, était promis ; mais il envisageait aussi de produire aux yeux des amateurs de petites effigies de faïence fort étranges, une statuette de bois fruitier de neuf pouces représentant un homme nu, le sexe circoncis, en position de marche, raide, la tête haute, coiffé au bol de cheveux noirs, saisissant de vérité : le serviteur d’un dieu sans doute, remonté du fond des âges. Cette statuette se trouvait dans cette même sacoche avec le rouleau et des châles brodés, de petites boîtes à onguent, bien curieuses, parfois sexuées elles aussi, avec précision. Liam de Wick comptait sur la lubricité des hommes. Il avait appris cela au Caire, entre autres choses, mais il était demeuré le jeune homme au beau visage, aussi pauvre que libre, riche d’avenir seulement, qui chevauchait, il y avait quatre ans à peine, sur la falaise de ce pays de Wick qui l’avait vu naître noble et sans fortune, un garçon de seize ans assez aventureux pour franchir des montagnes, traverser des mers, des déserts et faire amitié, au jour anniversaire de ses vingt ans, autour d’un feu bohémien sans crainte aucune. C’est qu’en quatre années il en avait tant vu qu’il craignait moins celui qui n’a rien que celui qui a déjà beaucoup et en veut davantage encore. »

À PROPOS DE L'AUTEUR
Yves-William Delzenne

Auteur de Un aussi long voyage

Une biographie classique d'Yves-William Delzenne, avec dates et événements précis, s'avère proprement irréalisable. L'auteur a cependant à plusieurs reprises affirmé que la vie était pour lui plus prégnante que l'oeuvre - ce qui est contraire, remarquons-le, à la conception émise par la plupart des écrivains. Mais la vie dont, suivant le mot d'Oscar Wilde et la recommandation d'un maître Zen de la dynastie Tang, Delzenne s'attache à faire une oeuvre d'art, cette vie ne se laisse pas prendre au découpage des heures et des jours. Sur ce point, l'auteur est rusé et secret. Cependant, le Dictionnaire des Belges (Éd. Paul Legrain, Bruxelles) nous apprend qu'il est (serait) né en 1948. L'auteur propose comme possible point de repère à notre sagacité le fait qu'il a pu applaudir la grande cantatrice Clara Clerber dans La Dame aux camélias. La mère de l'écrivain est française, mais elle est polonaise par son père. Le recueil de poèmes intitulé Le Polonais trouve peut-être là une source d'explication, tant il est vrai que l'attention de l'auteur à sa filiation, qu'il définit comme "artiste", n'est pas indifférente. Quant au père d'Yves-William Delzenne, il était d'origine française, d'une famille remontant au quatorzième siècle. A seize ans, Delzenne effectue sa première apparition au théâtre, et il y joue jusqu'à l'âge de dix-huit ans. Il rencontre ensuite son épouse, la pianiste Bernadette Notelet, avec laquelle il donne différents récitals, mêlant poésie et art de l'interprétation pianistique, de 1971 à 1979. Ce sont les années les plus heureuses. En 1980, la dramatique Les Désirables est créée au théâtre de l'Esprit Frappeur, dans le cadre d'Europalia Belgique. Tout au long de ces années, la légende d'Yves-William Delzenne n'a pas cessé de se forger, pour aboutir au présent. Dandy naturel : par ces deux termes en apparence opposés - quoi de plus artificiel que le dandysme?, souffle l'opinion générale - Delzenne définit l'élaboration de sa propre existence (dans une entrevue accordée au journal Le Soir). Comment je saisis cette élaboration : à chaque instant, l'attitude de cet homme se plie aux impératifs du dandysme. Depuis sa façon de nouer son écharpe dans un tramway bruxellois, jusqu'à la lettre aux arabesques excentriques qu'il envoie un soir de novembre de l'hôtel Danieli à Venise, Delzenne ne s'arrête pas de construire cet artefact unique : un personnage fin, délicat, sobre et sophistiqué à la fois, reconnaissable immédiatement, à la mèche blond cendré savamment en bataille comme au grain affecté de la voix. Tel Bela Lugosi, se prenant au jeu, devint le comte Nosferatu, ainsi Delzenne ne cesse-t-il plus d'acter le dandy, sa vie est devenue ce texte-là, nouveau naturel. Importance du dandy : s'il s'attire des inimitiés - et Delzenne sait entretenir différentes hostilités - c'est qu'il dénonce le naturel (le mythe de la spontanéité, de la franchise, de la grossièreté) comme artefact, en offrant une autre vie, un autre naturel, à nos regards étonnés.

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