Que nous enseignent les arbres ? Qu’ont-ils à nous dire que nous avons perdu, oublié, mésestimé ?
Dans une langue simple, concise et mélodieuse, la méditation de l’auteur croise celle de la photographe, habituée à semer ses pas dans les jardins, les forêts, les grands espaces. Une même sève nourrit l’image et le texte, celle qui, venant du plus profond, transcende toute chose.
L’arbre est dans l’arbre à plein temps
Essence et existence
Il s’enracine dans l’émotion de la terre
Et confie au ciel notre avenir
Autrice de Un arbre nous habite
Quand le poète évoque la nature, cela donne souvent lieu à des images, des saisies de mouvements, des récits, des visions. Mais quand il l’invoque, le poète en appelle alors à une mémoire plus ancienne qui tente de renouer avec cet état dont l’homme est aussi fait, une magie qui, au cours de l’histoire de la poésie, se nourrit d’une archaïque fusion jusqu’à la religiosité nouvelle des naturalistes survivalistes.
C’est peu dire que l’arbre a été mille fois convoqué dans l’histoire de la poésie et Béatrice Libert, dans son dernier livre en date, Un arbre nous habite, ajoute bellement sa pierre à l’édifice de la célébration.
L’œuvre de Béatrice Libert se pose régulièrement dans des recueils incisifs,…
Marcher loin des écrans fait de nous des oiseaux
Poète voyageur « aux semelles de vent », arpenteur de la poésie du cosmos, grand errant du verbe sauvage, Timotéo Sergoï n’a jamais pactisé avec les écrivains institutionnels, cotés en bourse, avec les assis et les fondés de pouvoir du poétique. Dans son dernier recueil poétique Marcher loin des écrans fait de nous des oiseaux , il délivre un protocole d’action poétique qui prend la forme d’un texte s’étirant sur 801 kilomètres. L’exergue condense la visée du voyage géographique, esthétique et politique : « 801 km de poésie / pour un marchand de yaourt / qui a voulu changer le monde ». Rupture avec le joug des routines, opération de guérilla, plastiquage des formes d’oppression du néolibéralisme et du dire-penser qu’il impose… marchant durant deux mois et demi, de Namur à Brive-la-Gaillarde où vivent ses petits-enfants, Timotéo Sergoï a épousé le cycle circadien, longé la Meuse, dormi à la belle étoile, chez l’habitant, déposé sur huit cents kilomètres des textes qu’il a collés sur les murs, les fenêtres, sur des arrosoirs, des containers ou des panneaux routiers. Le recueil comporte les photos des bancs, des plaques d’égout, des portes, des poteaux, des pneus, des bulles de verre, d’un Christ en croix sur lesquels le poète errant a gravé ses pensées, des éphémérides de l’insurrection, de la désobéissance qui font songer à la poésie action, à la poésie-éveil de Serge Pey, à ses bâtons, avec une touche de puissance vaudou à l’écoute des mondes invisibles. L’ode à la Terre, à sa beauté est d’autant plus vibrante qu’elle s’élève sur une Terre saccagée par l’Anthropocène. La Terre est morte, mes cieux,Blessée par la lame du tracteur,Soignée à l’eau de Javel,Nourrie d’insecticides,D’alcools et de mégots, Piquée d’ondes lascives. Charleville, Reims, Troyes, Nevers, Peyrat-le-Château, Tarnac, Tulle, Aurillac… autant de stations, de traversées de villages, de bois, de prairies, autant de poèmes libertaires gravés, saupoudrés, semés, autant de rencontres avec l’ombre de Rimbaud, avec Raoul Vaneigem, avec Miss Univers, avec le langage des étoiles, des champs, du « grand bal des montagnes bleues », histoire de dénouer les lacets de la rage de se heurter à un monde pollué, à une nature saccagée, histoire de haler des mots sauvages le long des fleuves, le long d’un monde qui s’effondre. Le monde s’écroule, le monde se noie et nous tentons de sauver le peu que nous possédons. Une rame. Une bouée de caoutchouc. Une botte. C’est vain (…) J’écris sur le poteau : « Je veux quitter le sang des capitales ». Il y a aussi la présence en filigrane d’Emmanuel Faber, ex-PDG de Danone qui a été évincé, la complicité entre le langage des arbres, des oiseaux, des lézards, de l’eau et le langage du poète, le choix de la désertion loin d’un monde « carnassier », la souche d’arbre qui accueille un texte signé Timotéo après 252 kilomètres de marche. Tout le monde se lève pour la Terre,Pour l’eau, les zèbres, les mainates,Les coquelicots et les lombrics,Les neiges mortes et les phosphates.Nos vies ont goût de guérillas.Pas d’actions chez les actionnaires. Leur chaises sont en plein soleilEt le Soleil a goût se rouille Le soulèvement de la Terre passe par celui de mots qui, ôtant la rouille des corps, des consciences, des désirs, nous reconnectent avec les formes du vivant, avec l’énergie d’un langage traversé par la vie. Timotéo Sergoï expérimente un nouvel écosystème poétique, au plus loin de vocables sous contrôle, ogémisés. Véronique Bergen Plus d’information Timotéo Sergoï a marché trois mois durant, dormi dehors souvent, croisé des sourires et des colères, pris des nouvelles des voisins. Nous sommes tous voisins ici, puisque venus à pied dans ce café, cette forêt ou ce marché. Pourquoi a-t-il marché ces 801 km ? Pour porter un cadeau d’anniversaire à ses petits-enfants. « Car il s’agit avant tout d’habiter poétiquement le monde » disait Hölderlin, chaque jour, les marqueurs sont sortis pour écrire sur les murs, les plaques d’égout ou les fenêtres. Mot d’amour ou réflexion sur le monde d’aujourd’hui, sur cette insupportable pression des porte-monnaies, sur nos poches sous les yeux. La marche finit en danse pourvu…