Le calme semble immuable dans le grand-duché d’Éponne. Sis au cœur de l’Europe, il est un de ces lieux où les accords financiers négociés dans le secret des immeubles cossus décident de la marche du monde. Tout y est à sa place, et il est donc particulièrement compliqué pour un étranger récemment arrivé de s’en faire une, dans cette ville proprette plantée au bord d’un lac.
Accueillir chez lui un migrant, et rendre compte de cette expérience dans son prochain opus, le journaliste vedette Jean-Marc Féron en voit bien l’intérêt : il ne lui reste qu’à choisir le candidat idéal pour que le livre se vende.
Dans un autre quartier de la ville, quelques amis se retrouvent pour une nouvelle séance d’écriture collective : le titre seul du pamphlet en cours – Remonter le courant, critique de la déraison capitaliste – sonne comme un pavé dans la mare endormie qu’est le micro-État.
Jérôme, l’un des six co-auteurs, ne tient pas à s’éterniser : dès la fin de la réunion, il court rejoindre Sylvie dans un hôtel proche de la gare. L’un et l’autre attendent impatiemment leurs rendez-vous clandestins, même si leurs univers ont peu en commun. Difficile en effet pour la jeune cadre de l’industrie du luxe d’expliquer à l’intellectuel précaire combien sa vie de famille pèse sur son avancement.
Semira, son employée de maison, qui lui est d’une aide précieuse, en sera bien mal récompensée…
Car, dans ce décor de carton-pâte où tout n’est que façade, les personnages que campe Diane Meur vont petit à petit apparaître dans leur vérité : pendant que, sous la plume de la joyeuse bande d’anticapitalistes, le pamphlet remonte vaillamment le courant de la domination, chacun démêle comme il le peut les contradictions de sa propre existence. Et si le retournement opéré par l’adorable Hossein dans la vie de Féron se révélera bouleversant, celui d’une Sylvie se sentant prise au piège de son fragile équilibre n’en sera pas moins spectaculaire.
Nouant savamment les fils de ses différentes intrigues, Diane Meur excelle à semer le trouble et à suggérer l’ambivalence : sous le ciel des hommes, l’humanité n’est-elle pas capable du pire et du meilleur ?
Chemin faisant, la romancière se double d’une belle essayiste : car c’est bien elle, et elle seule, l’autrice du réjouissant libelle qui, en dénonçant l’irrationalité perverse d’un système à bout de souffle, éclaire non seulement les agissements des personnages… mais aussi le cheminement du lecteur.
Sous le ciel des hommes est un grand roman de Diane Meur : son regard malicieusement critique et son extrême finesse psychologique accompagnent nos questionnements les plus contemporains. Car, au fil de la lecture, il apparaît que ce grand-duché imaginaire et un peu caricatural n’est pas plus irréel que le modèle de société aberrant et destructeur dans lequel nous stagnons aujourd’hui.
Éditeur : Le livre de poche
Date : 2022 (réédition)
Format : Livre
Auteur de Sous le ciel des hommes
De livre en livre, Diane Meur innove et surprend. C’est encore le cas avec ce roman, Sous le ciel des hommes, à la fois grave et malicieux. Le premier protagoniste en est un lieu, le grand-duché d’Éponne, centre financier et d’affaires. L’atmosphère y est pesante, mentalement étriquée. Pourtant sous « les eaux étales de l’ennui » de cet État aux fêtes dynastiques désuètes vivent des femmes et des hommes que Diane Meur décrit dans leur quotidien, parfois joyeux, souvent difficile.Il y a Jean-Marc Féron, un auteur reconnu qui s’est lancé dans un projet de livre original mais qu’il peine à maîtriser. En contrepoint, un groupe de contestataires s’attache à la rédaction d’un pamphlet collectif,…
Sous ce nom de plume, Pierre-Marie Dumont-Saint Martin, musicien confirmé, revisite la guerre de 14-18 avec une fiction romanesque certes, mais largement guidée par l’Histoire – une de ses passions – et par des souvenirs et des témoignages rapportés au sein de sa propre famille. Récit d’aventures et d’initiation, porté par les jeunes épaules de Gérard Vandervelde, musicien lui aussi, et déjà flûtiste de talent, engagé à dix-sept ans par l’orchestre symphonique de Liège (sa ville natale tout comme celle de l’auteur). On est en 1914. La guerre va se charger de maculer la partition et Gérard la découvre de la façon la plus horrible qui soit en assistant, lors d’une rencontre fortuite avec les premiers envahisseurs, à la torture et à l’exécution de Marcel Kerff, gloire du cyclisme belge, avec lequel il cheminait joyeusement à moto. Plus tard, lors des massacres de Namur et Dinant, c’est Richard, son meilleur ami, qui est abattu avant que ne disparaisse aussi Elise, la sœur de Richard, dont il était épris. C’est sur ce préalable calamiteux que s’amorcent l’errance solitaire et les tribulations du jeune civil à travers ce conflit mondial qu’il vit sous le signe de l’audace mais aussi de l’amitié. À commencer par celle quasi fusionnelle qui le lie à Donner, un superbe étalon de race, transfuge des lignes allemandes où il était maltraité, et qui restera tout au long de la guerre son fidèle complice. Au point de jouer avec lui au football et de faire de son cavalier un as de la voltige. Ce que Gérard deviendra aussi en plein ciel grâce aux enseignements et à l’amitié tendrement amoureuse de la célèbre et très réelle Hélène Dutrieu, première aviatrice belge, championne de cyclisme, couverte de récompenses internationales dans les deux disciplines et, durant ce temps de guerre, directrice des ambulances, notamment au Val de Grâce. Et voilà comment Gérard Vandervelde deviendra un des plus redoutables pilotes de combat, multipliant les victoires sur les adversaires allemands (dont le meilleur qui, après l’affrontement, deviendra son ami et jouera un rôle important dans son avenir). Le seul regret de cette terreur du ciel reste de n’avoir pu descendre Manfred von Richthofen, le fameux « baron rouge », vu qu’à cette époque le travail avait déjà été fait par un collègue…Et c’est bien un des paradoxes de ce récit que de voir ce jeune homme déjà aussi talentueux en musique qu’en cyclisme ou en équitation, vivre des événements souvent atroces et périlleux tout en courant de réussite en réussite sur le plan personnel. À l’exception, majeure il est vrai, de ses premières amours contrariées à plusieurs reprises par le sort. Même si la fin s’éclaire d’une possible lumière à l’enseigne musicale d’un nocturne de Field.Cela dit, la pluralité de P.M. Dumont-Saint Martin n’est pas en reste dans ce livre où romantisme, réalisme et Histoire, portés par une écriture efficace, s’accompagnent d’une technicité parfois proche de la minutie. Qu’il s’agisse des stratégies mises en place de part et d’autre, des faits de guerre proprement dits, de musique et d’instruments folkloriques, de sport équestre, de praxis sexuelle ou d’aviation (avec, entre autres, des pages quasi didactiques sur l’apprentissage du pilotage ou de l’art de l’esquive lors des affrontements aériens).D’autre part, dans une annexe au récit, l’auteur prend position sur le rôle qu’aurait joué l’intransigeance des Alliés (Traité de Versailles) dans les origines de la Seconde Guerre. Selon lui, et contrairement au propos de nombreux historiens, il ne s’agirait en rien d’un désir de vengeance, mais de la logique d’une orientation politique déjà bien installée dès le XIXe siècle : ce pangermanisme encore et toujours relayé par les bellicistes des hauts commandements.Quant aux irruptions de personnages réels dans le roman, – politesse de l’auteur – elles sont avalisées in fine par des notices détaillées sur « ce qu’ils sont devenus ».…
On irait du plus petit au plus grand, du particulier au général, on commencerait par un morceau…
La jeune Charlotte Janin débarque d’un bus sur la Plaza Mayor d’une petite ville mexicaine: « Oasis formée de cubes miniatures et colorés, qui grimpaient sur les collines entourant le centre-ville », Dolores « portait bien son nom : ‘Douleurs’, petite ville asséchée suppliant dans la souffrance la pluie boudeuse ». La pénurie d’eau est totale : « 121 jours de sècheresse. La municipalité ordonne des mesures de rationnement », lit-on dans le journal.Charlotte vient enseigner à l’Institut français avec l’intention de s’éloigner d’une famille ardennaise d’un catholicisme rigide. Alexandre Cracosky, le directeur de l’Institut, est cultivé, ambitieux et exalté : quadragénaire passionné de sciences politiques, il professe des idées critiques sur l’ordre financier mondial et projette de devenir ambassadeur. Charlotte lui plaît. Il lui fait découvrir des curiosités locales, morbides, atroces même : un musée de momies, un combat clandestin entre deux chiens féroces. Il l’emmène sur la Colline des Loups visiter la maison de sa mystérieuse amie Gabriela.La belle Charlotte cède aux avances d’Alexandre qui écrit néanmoins des lettres enflammées à Gabriela. Mais la sècheresse vide la ville de ses touristes et bientôt de ses habitants. L’atmosphère se fait inquiétante. L’étrange prêtresse Madaé attire la foule en promettant de guérir tous les maux.Les élèves et les enseignants désertent peu à peu les cours. Alexandre part pour Paris, soi-disant pour solliciter du renfort et des budgets, mais en réalité pour se venger d’un complot dont il s’estime victime et dont il accuse notamment Charlotte. Sombrant dans une folie meurtrière, il est interné en France. Seule, sans ressources, sans eau, la jeune femme est sauvée in extremis de la folie et la mort, après un envol d’oiseaux inespéré qui précède de peu les premières gouttes.Dans Raconte-moi les pluies , Dolores est un corps social qui meurt de soif. La nature cruelle fait s’y déliter les destins humains, sans souci de leurs amours, de leurs souffrances et de leurs vies. La romancière belge d’origine mexicaine Maria de los Angeles Prieto Marin s’inspire avec subtilité du réalisme magique sud-américain pour conter une fable aux accents d’apocalypse silencieuse où la ville et ses habitants manquent de s’abimer dans la sècheresse de la terre. René Begon Partagez : Tweet E-mail Imprimer Articles similaires « La pluie est plurielle, dit-il. Il y en a d'infimes, si timides, qu'on se demande s'il pleut. Non, impossible, le soleil brille. Il y a des pluies sales, qui laissent des traces sur le pare-brise. Il y a aussi des pluies fatiguées, mais plus loin, un arc-en-ciel s'est formé, des lignes de couleur diffuses qui leur donnent la permission de s'arrêter et de prendre du repos. Il y a aussi les pluies de mars, les giboulées, brèves et sauvages. Cette pluie devient parfois de la grêle, comme si l'hiver s'accrochait à la terre, pour y rester. Les gouttes sont acérées et nous font mal. Les tempêtes en hiver tiennent dans la durée. Les oiseaux et les hommes se cachent, le vent frappe aux fenêtres, fait tomber les dernières feuilles jaunes et voler les tuiles des maisons. Des imprudents marchent dans la rue, les vêtements dégoulinent d'une pluie féroce. C'est un rideau de fer qui se referme, qui te coupe du monde tout autour. Une punition pour avoir vécu l'été et avoir oublié la saison froide. Je me souviens de cette pluie. Elle échappe aux parapluies, car les vents les retournent et mouillent les vêtements » C'est ainsi qu'Alexandre me raconte la pluie. Elle me manque. Ici, dans cette petite ville mexicaine, il y a une pénurie d'eau sans précédents. Des oiseaux meurent un peu partout et il n'y a pas une goutte d'eau aux robinets depuis des mois. Peu à peu, tout le monde s'en va : mes collègues de l'Institut français, mes amis et voisins. Les commerces ferment. Je me sens de plus en plus seule car même Alexandre, l'homme de qui je suis tombée amoureuse, s'éloigne de moi. Qui est Gabriela, cette femme qu'il admire tant ? Je dois le découvrir.…