Édito: Se trouver mutuellement ou pas
Hendrik Tratsaert
Dossier: Entre voisins. La Wallonie et le monde néerlandophone
Une histoire de TGV et de tube de dentifrice. La Belgique,
de l’État national à l’État fédéral d’aujourd’hui
François Brabant
Wallons et Flamands se cherchent: «Un relais pour l’avenir»
Promenade aux côtés de jeunes pèlerins cyclistes
Antoine Alexandre
Créer des ponts. L’accord culturel entre les Communautés
française et flamande de Belgique
Anne François
Pays-Bas et Wallonie, des liens en développement.
Anciens copains de classe en quête de retrouvailles
Les Pays-Bas et la Wallonie se reniflent
Ricus van der Kwast
La littérature, porte vers d’autres régions linguistiques
L’Euregio Meuse-Rhin
Tomas Vanheste
La révolution en 1927? L’enseignement du néerlandais en Wallonie
à la croisée des chemins
Philippe Hiligsmann
Comment dépasser les stéréotypes? La Flandre et la Wallonie
vues à travers les yeux d’un nouveau Belge
Ahilan Ratnamohan
Différents ou profondément identiques? La création d’une identité propre
tant en Flandre qu’en Wallonie
Vincent Scheltiens
Pays-Bas et Wallonie, des liens en développement.
L’attrait durable des Ardennes.
La Wallonie sous la plume des écrivains néerlandais
Stefan Van den Bossche
Poème, Bert Voeten, traduit du néerlandais par Daniel Cunin
Rêvepluie de Sch, Jan G. Elburg, traduit du néerlandais par Daniel Cunin
L’air stimulant des bois, Tessa de Loo, traduit du néerlandais par Hélène Papot
Gros-Cailloux, Richard Hemker, traduit du néerlandais par Françoise Antoine
L’angle mort de la littérature belge? Les politiques contemporaines de traduction
Clara Folie, Ewoud Goethals,Timothy Sirjacobs
L’importance d’une littérature attractive.
Une nouvelle «vague» littéraire flamande en Wallonie?
Elke Brems & Stéphanie Vanasten
Une ville où le beau est toujours bizarre. Grâce à la culture,
Charleroi entre dans une nouvelle ère
Pascal Verbeken
Les actualités des Plats Pays
La vulnérable universalité d’un symbole. Anne Frank,
des années 1940 à nos jours
Marnix Beyen
Je pars en voyage d’affaires et j’emporte … Le positionnement de la Belgique,
de la Flandre et des Pays-Bas à l’étranger
Lieven Desmet
Sarcastique et dérangeant. De Renart à «Reynaert»
Aurélie Barre
Tant de méfaits, Willem, traduit du moyen néerlandais par René Pérennec
Comptes rendus
«La Femme sauvage»
(Jeroen Olyslaegers)
Laurent De Maertelaer
«La Route des Indes»
(Simone van der Vlugt)
Pierre Gelin-Monastier
«Le Fils du coiffeur»
(Gerbrand Bakker)
Dorien Kouijzer
«L’Honorable Collectionneur»
(Lize Spit)
Kerenn Elkaïm
L’ «Algemeen Beschaafd Nederlands», symbole d’une riche culture
«Enfants de l’ ABN»
Miet Ooms
L’important pour nous, aujourd’hui, c’est la proximité
L’Eurométropole Lille-Kortrijk-Tournai
a plus de quinze ans d’existence: interview de Loïc Delhuvenne
Karel Cambien
Un contrepoids à la déshumanisation de la société?
La noblesse dans les Plats Pays
Jan Van den Berghe
Le parti de l’étranger. L’Image du «réfugié» dans la littérature néerlandophone d’aujourd’hui
[Traduit du néerlandais par Christian Marcipont.] Le sort du réfugié est devenu un thème de la littérature contemporaine, y compris des lettres de langue néerlandaise. quels sont les auteurs qui, dans les plats pays, ont eu le courage d’aborder le thème du réfugié, montrant chacun à leur manière que la littérature peut apporter une plus-value parce qu’elle sait observer ce sujet sensible sous une multitude d’angles différents? * De nos jours , il est un thème – avec le climat et le terrorisme – qui domine et détermine l’actualité: celui de la migration. C’est surtout depuis les années 1990, qui voient le déclenchement de la guerre civile en ex-Yougoslavie, que la question des « réfugiés » en Europe est devenue un sujet aux nombreuses implications éthiques, politiques et sociales, et que les brasiers en Syrie et au Moyen-Orient ont rendu plus prégnant encore. Il est devenu l’enjeu de campagnes électorales virulentes et est aujourd’hui instrumentalisé comme jamais auparavant par les politiques, et cela sur le dos de groupes de population qui ne se doutent pourtant de rien. C’est aussi une question qui attise la rhétorique belliqueuse des populistes européens. Que cette problématique ne soit pas sans influencer la culture et la littérature contemporaines, c’est là une quasi-évidence. La question s’est toutefois déjà posée à maintes reprises: le réfugié est-il devenu le cache-misère idéal pour l’artiste qui cherche à s’avancer armé de son engagement? Et, mutatis mutandis, cela vaut-il également pour le monde des lettres? S’agit-il d’un passage obligé, d’une thématique « prémâchée »? Toujours est-il qu’à l’heure actuelle les romans et récits dont les protagonistes sont des réfugiés s’accumulent. Nombre d’écrivains traitent dans leurs livres des motivations des migrants et plus particulièrement des réfugiés, des demandeurs d’asile et des sans-papiers. Ils racontent les obstacles à surmonter dans la quête d’une vie meilleure. Chose on ne peut plus logique si l’on considère que ce n’est pas d’hier que les écrivains observent les soubresauts du monde. Le sujet est au cœur de l’actualité et, de surcroît, ces dernières années les catastrophes se sont succédé sans relâche. Cependant, les écrivains ont parfaitement compris qu’il ne leur était pas permis de se jeter tête baissée dans la littérature pamphlétaire. Mieux vaut se tenir à quelque distance des versatilités de l’opinion. On ne peut sortir de son chapeau un « récit de réfugiés », sauf à espérer marquer un point par le biais du journalisme ou de l’essai. Il y a peu, par exemple, Valeria Luiselli a braqué les projecteurs sur les enfants mexicains qui traversent la frontière entre le Mexique et les États-Unis dans son livre de non-fiction Raconte-moi la fin, récit des expériences qu’elle a vécues comme interprète. Mais, récemment aussi, la même Valeria Luiselli leur a consacré un roman, Archives des enfants perdus, où elle raconte les vicissitudes d’une famille à la dérive, dans le contexte de la crise des réfugiés à la frontière du Mexique et des États-Unis. Or, les choses se présentent différemment dans un roman, qui est régi par d’autres règles: « Les récits qui trouvent leur origine dans la réalité nécessitent une plus longue période d’incubation s’ils veulent se transformer en fiction, beaucoup d’eau doit couler sous le pont avant que l’on atteigne la juste mesure », déclarait à ce propos l’auteur néerlandais Tommy Wieringa dans une interview accordée au quotidien flamand De Standaard. Si l’on considère la situation d’un point de vue international, on constate que les ouvrages dont les réfugiés occupent la première place suffiraient à remplir une bibliothèque entière. Dans le genre, Le Grand Quoi de Dave Eggers représente incontestablement un jalon: l’auteur, à travers un roman, raconte l’histoire de Valentino Achak Deng, un enfant réfugié soudanais qui émigre aux États-Unis sous les auspices du Lost Boys of Sudan Program. Citons ensuite le très populaire Khaled Hosseini. Ce dernier a acquis une réputation planétaire grâce à son livre consacré aux atrocités vécues en Afghanistan sous le régime des talibans. En définitive, le protagoniste des Cerfs-volants de Kaboul, après un passage par le Pakistan, finira par débarquer aux États-Unis. Dans le roman qui lui fait suite, Mille soleils splendides, Hosseini évoque également les camps de réfugiés en Afghanistan. « Voilà plusieurs siècles que la littérature prend fait et cause pour l’étranger, l’« autre », le réfugié », observait Margot Dijkgraaf dans le quotidien néerlandais NRC, renvoyant explicitement à l’œuvre du Français Philippe Claudel, qui n’a jamais fait mystère de son indignation quant au sort réservé aux réfugiés. Amer, humain, allégorique, factuel, pamphlétaire ou moralisateur: les angles d’attaque ne manquent pas dès lors que des auteurs se penchent sur le sujet. À quoi il faut ajouter que la question ne divise pas seulement la société, mais les écrivains eux-mêmes. Tommy Wieringa, par exemple, s’est depuis peu rangé à l’idée qu’« une frontière extérieure européenne sûre est nécessaire », ce qui est un point de vue d’adoption récente. Pour ne rien dire ici de Thierry Baudet, chef de file du parti de droite populiste Forum voor Democratie, qui ne répugne pas à se présenter comme écrivain. Parmi les représentants de la littérature d’expression néerlandaise, Kader Abdolah, originaire d’Iran, fut l’un des premiers à coucher par écrit son vécu de réfugié, entre autres dans De adelaars (Les Aigles) et Le Voyage des bouteilles vides XX . Depuis lors, les textes en prose consacrés à l’immigration sont quasiment devenus un genre en soi. Pourtant, des années-lumière séparent Hôtel Problemski XX, Dimitri Verhulst s’immerge dans un centre pour demandeurs d’asile, et l’effrayant L’oiseau est malade XX d’Arnon Grunberg. Souvent, le réfugié offre matière à opter pour des thèmes plus vastes. C’est ce qu’a réussi à faire, par exemple, Joke van Leeuwen avec Hier (Ici), une parabole sur les frontières et sur les contours de la liberté. « Les frontières maintiennent une pensée de type nous / eux, ce qui ne ressortit pas exclusivement au passé. Au contraire, j’ai l’impression que ce type de pensée binaire s’est renforcé ces dernières années », déclare-t-elle à ce sujet. Jeroen Theunissen, de son côté, a introduit subrepticement le thème des réfugiés dans son roman Onschuld (Innoncence) XX , où l’on voit le photographe de guerre Manuel Horst se faire enlever et torturer par des djihadistes dans le guêpier syrien avant, la chance aidant, de parvenir à s’échapper. Il est très peu disert à propos de sa nouvelle liberté, assure qu’il n’a nul besoin d’un soutien posttraumatique et tombe amoureux de Nada, une réfugiée syrienne. Il rentre avec elle en Belgique, où il leur faut batailler pour se construire une nouvelle existence avec le jeune fils de Nada, Basil. Mentionnons également Rosita Steenbeek, auteure de Wie is mijn naaste? (Qui est mon prochain?), un ouvrage engagé non fictionnel s’apparentant au reportage et consacré à l’accueil des réfugiés à Lampedusa, en Sicile et au Liban. Présenter un miroir au lecteur Venons-en à trois œuvres néerlandaises en prose qui traitent du thème des réfugiés d’une manière beaucoup plus directe et qui, pour se baser sur un récit nettement personnel, n’en parviennent pas moins à donner à cette problématique une portée universelle. Elvis Peeters (° 1957) – qui écrit ses romans en collaboration avec son épouse Nicole Van Bael – est un de ces auteurs flamands qui abordent régulièrement ce thème avec maestria, quoique sans menacer quiconque d’un doigt moralisateur. Plus d’une fois on trouve chez lui un penchant…
La création durable et circulaire va beaucoup plus loin que le recyclage et la réduction des dégâts environnementaux. Nous devons opérer une transition vers une économie circulaire. Avec une manière de produire et de consommer qui n’épuise pas les ressources rares de la terre, basée sur l’énergie renouvelable et mettant en œuvre des cycles fermés, sans déchets. Les designers jouent un rôle important en la matière. Par l’invention de nouveaux produits et services, et le choix des matériaux. Et en faisant en sorte que les produits durent plus longtemps, soient plus facilement réparables et recyclables. La nouvelle génération se consacre corps et âme à cette mission. Les Pays-Bas se situent à l’avant-garde, mais le courant est également perceptible en Belgique et en France. * Emma van der Leest (° 1991) fait produire des matières présentant des similitudes avec les textiles et le cuir par des bactéries, et en trouve d’autres dans le port de Rotterdam pour colorer ces substances de manière naturelle. En collaboration avec un biologiste et avec des chercheurs d’un centre médical universitaire, elle étudie la possibilité de faire produire un revêtement imperméable naturel par certaines moisissures. Au cours de sa formation de conceptrice de produits à la Willem de Kooning-academie de Rotterdam, Van der Leest s’est spécialisée en biodesign: l’utilisation de micro-organismes comme source d’inspiration, comme élément constructif ou comme base d’un produit complet. Elle travaille aujourd’hui en free-lance, enseigne à la Design Academy Eindhoven et effectue des recherches dans le cadre du Biobased Art & Design lectoraat, une coopération entre la Willem de Kooning-academie, TU Delft (université de technologie) et l’Avans Hogeschool de Breda. Elle a également fondé le BlueCity Lab à Rotterdam, un lieu de travail où scientifiques, designers, artistes, étudiants et entrepreneurs peuvent à leur gré expérimenter de nouveaux matériaux et produits conçus à partir de micro-organismes. Jalila Essaïdi (° 1980), artiste formée à l’université de Leyde, avec une spécialisation en bio-art, a fait parler d’elle dans le monde entier avec une peau capable d’amortir, voire même d’arrêter des balles. Une combinaison de tissu humain et de soie d’araignée, produite par des micro-organismes génétiquement modifiés. Plus tard, elle a capté à nouveau l’attention des médias avec un textile fabriqué à partir de bouse de vache. Il y a un an et demi, elle a ouvert à Eindhoven le BioArt Lab, où l’on s’emploie à résoudre des problèmes sociétaux en combinant nature et technologie. Pratique et pragmatique Van Leest et Essaïdi sont exemplaires des développements dans le domaine du design durable et circulaire aux Pays-Bas. Les concepteurs de la nouvelle génération font s’estomper complètement les frontières entre science, technologie, design et art. Ils collaborent de préférence avec des gens de toutes provenances, dans des réseaux ouverts, de manière à réunir autant de connaissances et de compétences que possible. Et ils ont une mission : contribuer à un monde meilleur, si possible avec un effet concret. Ils veulent offrir des solutions aux défis auxquels nous sommes confrontés, que ce soit dans le domaine de l’écologie, de l’économie ou de la vie en société. Ils ne puisent pas leur inspiration dans de grands idéaux ou des perspectives politiques, mais sont pratiques et pragmatiques. Pleins d’ardeur, les créateurs de la nouvelle génération s’attaquent aux problèmes et, tout en expérimentant, ils se lancent avec enthousiasme à la recherche d’un produit, d’un procédé ou d’un matériau innovants. Dans cette quête, la nature offre de l’inspiration en abondance, nulle part ailleurs on ne trouve plus beaux exemples de bouclage de cycles écologiques. Les vieux métiers et les techniques et méthodes traditionnelles de travail suscitent un regain considérable d’intérêt, car la nature y est souvent habilement utilisée. Cette tendance est internationale et observable en de nombreux endroits. «On ne conçoit plus sans penser à la durabilité. Ce ne sont plus des matières diverses mais des idées et des solutions (durables) qui ont pris le dessus», a écrit Tracy Metz, journaliste et auteur américano-néerlandaise en avril 2018 en introduction à un article sur le Salone del Mobile de Milan, le plus important événement au monde - par la taille et l’influence - dans le domaine du design. Avec un clin d’œil Les Pays-Bas peuvent certainement revendiquer une place de premier plan dans ce domaine. Ce fut Piet Hein Eek qui, diplômé de la Design Academy Eindhoven, lança en 1990 une armoire en morceaux de planches de bois de récupération. Un manifeste pour l’artisanat et la conscience environnementale comme contrepoids au design bien trop léché, à ses yeux sans âme, qui donnait le ton à cette époque. Des contemporains comme Richard Hutten, Hella Jongerius et Marcel Wanders l’accompagnèrent dans cette voie, et ainsi se développa lentement le mouvement qu’on appela Dutch Design et qu’on qualifia de minimaliste, expérimental, innovateur, peu conventionnel et doté du sens de l’humour. En suivant l’enseignement de design industriel, davantage tourné vers l’entreprise, de l’Université de technologie de la TU Delft, l’étudiante Conny Bakker fut, au début des années 1990, étroitement impliquée dans la mise en place du réseau d’écodesign O2, devenu mondial depuis. Par la suite, elle soutint une thèse sur les informations environnementales pour les concepteurs. «Au début du processus de conception, les créateurs tâtonnent trop. Il leur manque l’outillage pour s’attaquer correctement au sujet. Il faut disposer d’un point d’appui pour développer une combinaison produit/marché pour le long terme. Imaginez : avec toutes ces discussions sur l’émission de dioxyde de carbone, on peut parier que la législation se fera attendre cinq ou dix ans. Si dès maintenant on anticipe là-dessus, on peut prendre un formidable avantage concurrentiel», a-t-elle déclaré en 1995 (!) dans une interview relative à sa soutenance de thèse. En 2017, Conny Bakker a été nommée professeur ordinaire de méthodologie de conception pour la durabilité et l’économie circulaire à la TU Delft. Matelas recyclable Après une première vague d’intérêt pour l’environnement et le développement durable dans les années 1990, incluant assurément le secteur manufacturier, une deuxième vague se dessine maintenant. De même que les lycéens descendent en nombre croissant dans la rue et en des lieux multiples pour faire entendre leur voix sur les problèmes climatiques, de jeunes concepteurs imaginatifs de plus en plus nombreux se manifestent avec des idées et des concepts parfois radicaux, qui peuvent contribuer à l’économie durable et circulaire. Tracy Metz l’a constaté à Milan, mais cette tendance est visible aussi lors de la Dutch Design Week à Eindhoven, qui accueille chaque année 350 000 visiteurs. Un échantillon de l’édition d’octobre 2019. Ontwerpbureau Niaga (again lu à l’envers) a développé, en collaboration avec DSM, un tapis composé d’une seule matière - du polyester - et par conséquent complètement recyclable. Et avec Auping, un premier matelas recyclable. Pour l’entreprise de traitement des déchets Renewi, qui transforme déjà près des deux tiers des ordures collectées en nouvelles matières premières, les étudiants de la Design Academy Eindhoven se penchent sur les résidus qui, à l’heure actuelle, vont directement à l’incinérateur. Pourquoi ne fait-on pas de baskets à partir de vieux pneus, lança l’un de ces pionniers. Et même des cendres des incinérateurs, on peut encore tirer des minéraux et des matériaux utiles, d’autres l’ont montré. Le musée d’art…