Quelques pas de Zwanze classique

À PROPOS DES AUTEURS
Joske Maelbeek

Auteur de Quelques pas de Zwanze classique

Joske Maelbeek est né à Bruxelles en 1958. Farouche défenseur de Bruxelles et de son folklore, il est sur tous les fronts (même les plus dégarnis) pour que survive le parler bruxellois, que ce soit en publiant des recueils de foebelkes, en adaptant des Spirou ou des aventures de Poje de Louis-Michel Carpentier. Il manie le français et le parler bruxellois français (le beulemans) avec une rigueur et une créativité sans borne. Les jeux de mots et les calembours déboulent lors de toute conversation, la rendant surréaliste dans le sens premier du terme. Mais c'est surtout un homme de cœur, une qualité que je souligne avec gratitude ! Jean-Jacques De Gheyndt
Louis-Michel Carpentier

Illustrateur de Quelques pas de Zwanze classique

Né le 24 mars 1944 à Uccle, Louis-Michel Carpentier suit durant quatre ans les cours de l'Académie des Beaux-Arts de Bruxelles avant d'être engagé comme dessinateur aux studios Belvision où il travaillera sur les longs-métrages d'Astérix, Tintin et Lucky Luke. La récession atteignant cette firme, il tente sa chance à partir de 1975 chez Casterman en adaptant en BD les romans de la comtesse de Ségur : une série de onze volumes à succès, qui s'arrêtera en 1984.Parallèlement, il se tourne vers Raoul Cauvin pour créer en 1980 sa propre série, "Les Toyottes", dont cinq volumes sortiront de 1980 à 1982 chez Casterman, avant une ultime réapparition au Lombard en 1989. Carpentier et Cauvin collaborent à quelques ouvrages publiés par Artiscope et cherchent un thème qui ne risque pas de se démoder : les conversations de bistrot et la singulière faune qui hante ces tavernes. Les éditions des Archers publient les deux premiers tomes de leur "Année de la bière" en 1986 et 1987, avec traduction en une demi-douzaine de dialectes pour les assoiffés de province. En 1989, ils poursuivent les aventures de leur tavernier préféré aux éditions Dupuis, sous le titre "Du côté de chez Poje" . Depuis, ils visitent ce sympathique bistrot tous les ans et en ramènent un nouveau volume où se glissent parfois des caricatures de leurs collègues et amis préférés (Malik, Kox, Walthéry, Jidéhem, etc.). Une version simultanée en bruxellois a le plus grand succès dans la capitale belge. Cette aventure incite néanmoins Louis-Michel Carpentier à lancer discrètement ses propres éditions Top-Game où il réalise de temps à autre des albums inclassables mais d'un humour néanmoins savoureux : la série du "Jour le plus con" ou les collectifs rassemblant tous ses copains dans l'illustration des "Chansons cochonnes" destinées à un public de connaisseurs avertis. L'entreprise familiale tourne rond et produit également d'ingénieux articles dérivés, tels que des jeux électroniques. Le fils de l'artiste, Laurent, s'est spécialisé dans la mise en couleurs, tant pour son père que pour un certain nombre de ses collègues. Bon vivant, ne cherchant jamais à se prendre au sérieux, Carpentier a trouvé son créneau : tant que les hommes auront soif de bière et de convivialité, Poje ne manquera pas de clients ! Texte © Dupuis

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Bokèts po l’ dêrène chîje : Poèmes pour l’ultime veillée

Peu de temps avant son décès, le grand écrivain wallonophone Émile Gilliard avait transmis à son éditeur les épreuves corrigées de Bokèts po l’ dêrène chîje . La première édition de cette œuvre — une édition artisanale en 50 exemplaires, aujourd’hui introuvable — lui avait valu le prix triennal de Poésie en langue régionale de la Fédération Wallonie-Bruxelles 2005 et était vue comme un incontournable de sa bibliographie. Sa réédition dans une collection de plus large diffusion et avec des adaptations françaises est donc une initiative bienvenue.  Si cette réédition fait œuvre de justice en permettant à la poésie d’Émile Gilliard d’atteindre des lecteurs qu’elle n’a jamais pu toucher auparavant, soulignons qu’elle fait aussi œuvre utile. En effet, elle fournit aux amateurs une réalisation exemplaire, témoin de la richesse du wallon sous la plume d’un auteur qui le possède pleinement, mais aussi des voies audacieuses empruntées par la poésie d’expression régionale depuis le milieu du 20e siècle.Émile Gilliard est en effet un héritier de la « génération 48 », qui a renouvelé cette poésie par la recherche de formes nouvelles et l’exploration de thèmes actuels. Ces jeunes poètes et leurs continuateurs visaient l’universalité, à travers des œuvres qui ne reniaient en rien leur attachement à leur région ni leurs origines souvent modestes.Dans Bokèts po l’ dêrène chîje , Émile Gilliard applique fidèlement ces principes, suivant une route d’abord tracée par Jean Guillaume, son maitre en poésie. Écrites dans les années qui ont suivi son départ à la retraite, les trois séries qui composent ce recueil explorent le regret lié au temps perdu, l’amertume d’avoir dû travailler pour d’autres, la fatigue physique et mentale… Au fil des poèmes, le lecteur découvre une langue particulièrement souple, riche d’adjectifs aptes à traduire, par exemple, les nuances de ce dernier sentiment : nauji [ « lassé » ], scrandi [ « fatigué » ], nanti [ « exténué » ], odé [ « lassé » ], skèté mwârt [ « éreinté » ]…Par endroits, le poète renoue avec la colère qui s’exprimait à plein dans certaines œuvres précédentes ( Vias d’mârs´ en 1961 , Come dès gayes su on baston en 1979) : ’L âront scroté nos tëresèt nos cinses èt nos bwès,à p’tits côps, à p’tits brûts,[…] come dès fougnantsk’on wèt todis trop taurdcand leû jèsse a stî fêteèt k’ tot-à-fêt a stî cauvelé. Dès-ans èt dès razansk’on a cauzu ovré d’zos mêsse,[…] dissus nos prôpès tëres. [Ils auront dérobé nos terres, / fermes et forêts, / peu à peu, sans fracas, / (…) comme des taupes / qu’on détecte toujours trop tard, / quand elles ont accompli leurs méfaits / et qu’elles ont tout creusé. // Une éternité / qu’on a quasi œuvré / sous tutelle, / (…) sur nos propres terres.] Ailleurs, il reprend les questionnements d’ordre métaphysique qui traversaient À ipe , cette autre œuvre importante, rééditée dans la collection micRomania en 2021. Èt si nosse bole âréve bukéconte one sitwale ? […] Èt nos-ôtes bèrôderèt r’nachî à non-syinceaprès l’ dêrène ruwale ? [Et si notre globe / avait cogné une étoile ? (…) // Nous aurions erré, / cherché inutilement / une ultime issue ?] Ces deux veines majeures de l’œuvre gilliardienne — le questionnement sur l’homme et son environnement, la défiance envers l’exploiteur, en communion avec tous les exploités — trouvent un point de rencontre dans les pages les plus fortes du recueil. C’est alors la métaphore de la maison qui exprime la détresse du « je » (non, du « dji » ) face aux communs massacrés au bénéfice de quelques-uns. ’L ont rauyî djustotes lès pîres dissotéyesèt lès tchèssî au lon,à gros moncias.Èt c’èst cauzucome s’il ârén´ ieû v’luchwarchî è vike,chwarchî è m’ pia.Come si l’ maujoneâréve ieû stîon niër, on burton d’ mès-oûchas. [Ils ont arraché / toutes les pierres descellées / et les entasser au loin, / et c’est quasi comme / s’ils avaient voulu / m’écorcher vif, / charcuter ma peau, / comme si la maison eût été un nerf, / un moignon de mes os.] De manière plus explicite, Émile Gilliard fait le lien avec le désastre écologique dans le poème d’épilogue, écrit spécialement en vue de cette deuxième édition. Vêrè ként’fîye on djoûki l’eûwe ni gotinerè pus wêre foû dès sourdants.On s’ capougnerè po sayî d’ ramouyî sès lèpes.Vêrè ki l’ têre toûnerè à trîs et tot flani,ki nos maujones si staureront su nos djoûs,èt nosse lingadje ni pus rén volu dîre. [Peut-être viendra-t-il un jour / où l’eau filtrera à peine de la source. / On s’empoignera pour se rafraîchir les lèvres. / Une terre stérile fera flétrir les plantes. / Notre maison s’écrasera sur nos jours, / et notre langue n’aura plus de sens.] Au possible effondrement des équilibres naturels fait écho ici celui d’une langue. Bokèts po l’ dêrène chîje est aussi traversé des préoccupations d’un homme qui a donné tous ses loisirs à la langue wallonne et laisse parfois libre cours à son pessimisme : « po ç’ k’il è d’meûre : / on batch di cindes èt dès spiyûres, / sacants scrabîyes / k’on îrè cheûre èt staurer sul pî-sinte » [ « pour ce qu’il en reste : / un bac de cendres, des déchets, / des escarbilles / à secouer et à répandre sur le sentier » ]Et c’est en cela que cette réédition prend une valeur supplémentaire : en redonnant à lire des poèmes qui ne taisent pas son sentiment de lassitude et d’isolement, elle nous rappelle que leur auteur a toujours su le dépasser. Émile Gilliard, en effet, n’a jamais cessé d’écrire dans sa langue première et a consacré ses dernières années à d’importants travaux philologiques. Ce livre prend donc, en creux, la valeur d’une ode à sa résilience et à son formidable engagement. Julien Noël Les traductions offertes ici sont les adaptations littéraires de l’auteur. Plus d’information Ce tryptique a été publié artisanalement, en wallon, à compte d'auteur, en tirage restreint, en 2004. Le dernier volet Crèchinces a également fait l'objet d'un numéro des Cahiers wallons . La présente édition est assortie d'une adaptation en langue française. L'ordre des textes comporte des modifications et un poème d'épilogue résume l'esprit du recueil. L'actuelle situation du monde donne à ces poèmes un reflet d'authenticité. Y pointent heureusement des germes d'espérance et de lumière. Le dilemme reste présent : d'un côté, l'appât du gain, du plaisir, du soi-disant progrès, le manque d'amour d'autrui, de l'autre, le respect de l'humanité, de la nature, du climat. L'humanisme triomphera-t-il d'un matérialisme borné dans lequel notre civilisation peine…