ainsi je nage
dans mes (dé)bris
& à nous les fleuves
comme du temps
qui pèserait sur soi
en attente de rien
poids pour rien sur soi
l’eau la descente
descente lente
descente en soi
naufrage lent
aucun rescapé attendu
escompté
impassible Rimbaud
tout au long du silence
tout au long des déchets
discourant contre la coque
Auteur de Quantième naufrage intérieur
Que peut la poésie dans sa toute-puissante impuissance ? Quels rivages lui reste-t-il et au prix de quelle dé-labeur ? Auteur de nombreux recueils poétiques — Corps né sans, Killed by Death, Cinq petites odes… —, d’essais (Le piège du sacré, L’avant-critique suivi de Sur Salah Stétié…), Tristan Sautier place les poèmes de Quantième naufrage intérieur sous l’égide de Jim Morrison et d’Henri Michaux cités en exergue. Mais c’est Rimbaud qui oriente l’aventure poétique en direction de l’ascèse du verbe.
tous fleuves désormais impassibles à jamais …
Généralement, c’est austère un recueil de poèmes. Du moins, est-ce ce que beaucoup…
Entrouvrir le recueil Agir en Antigone des Midis de la Poésie, c’est se frotter à un matériau inattendu, celui d’une inspirante poésie brute, collective, plurielle, de thèmes comme de plumes, et révélatrice de limites à déplacer. Agir en Antigone entremêle divers ateliers d’écriture poétique organisés par la prolifique asbl bruxelloise Les Midis de la Poésie – chapeautée par Mélanie Godin – qui n’a de cesse de visibiliser ce qui a été écrit et ce qui s’écrit, ricochant d’interrogation en déclenchement poétique, de finitude (conférences, conversations, lectures-spectacles) à premier éclat poétique (#Poesielab prolonge les thématiques abordées lors des diverses rencontres via de lumineux ateliers d’écriture qui se déroulent également en ligne 1 ). Ce recueil de poèmes éclectique, publié en octobre 2020 propose une « poésie collective » rassembleuse de « forces individuelles » aux antipodes d’« (…) une époque où l’appel à être solidaire ne concerne que des proches à garder à distance, pas des distants qui voudraient se rapprocher » (Aliette Griz, coordinatrice du #Poesielab). L’agencement des poèmes se fait d’ailleurs le miroir du cheminement de l’individuel au collectif : si les ateliers d’écriture sont d’abord adroitement mélangés – exhortant les lecteur.rices.s à se figurer une constellation thématique –, ils finissent par parfois se juxtaposer : les plumes, qui ont été secouées et déposées à divers endroits, se redisposent et révèlent les liens qu’elles ont tissés entre elles. L’écriture est sur le bout de la plume de celui ou celle qui tend l’oreille et c’est ce que ce recueil imprime dans l’esprit, révélant une « poésie possible » pour toutes et tous, dans les joyeuses fluctuations de l’instantané. Comment ne pas songer alors au célèbre message du tract publicitaire surréaliste indiquant que « le surréalisme est à la portée de tous les inconscients » ? D’ailleurs, deux poèmes d’ Agir en Antigone sont poreux et appellent à être complétés, tels des textes à trous, comme chez Nougé (dans L’Expérience continue ) ou Breton ( Manifeste du surréalisme ). Il y sera, entre autres, question (et ça ne peut qu’être réjouissant) de lune (quand on l’oublie et quand on la retrouve), de métiers (dont celui, souvent mis de côté, de nourrisseur de moustiques), de naissances (celles, respectivement, d’un escargot, de Dieu, d’un fleuve ou encore de la Terre), d’équité (même lorsque des frites sont en jeu), d’insertion d’étoiles rebelles (baliseuses de chemins de traverse) « dans le texte écrit depuis toujours par et pour les hommes », de l’importance pour Serge l’écureuil à apprendre à dire non, de choses « à moitié », de connivence entre le soleil et le regard, de « ce qu’il faut pour être artiste » (à savoir posséder, par exemple, un traité de l’absurde, quelques croyances ésotériques et un esprit de synthèse). Alors pourquoi Agir en Antigone ? L’étymologie d’ Antigone – « qui s’oppose à l’origine » – signe et ordonne la constellation mentale dessinée au fil des pages : si la sœur d’Étéocle et de Polynice agit au nom des lois non écrites, les ouvreur.euse.s de poésie de ce recueil parlent « des limites qu’iels aimeraient déplacer ». Et ce déplacement a parfois lieu d’un poème à l’autre : alors que l’un inscrit le poète dans la nuit (celui qui « jardine ses soirs et puis ses nuits » est « protégé de l’ennui en vertu du contemplé », gravit des montagnes, résiste, « oublie pourquoi il se demande et se demande encore »), l’autre le dépose au seuil du jour : Poète ? C’est d’abord s’émerveiller Non, d’abord émerger Et déjà s’émerveiller. S’émergéveiller Simplement, Agir en Antigone donne corps aux sensibilités de tout âge, naissantes ou déliées, et invite les lecteur.rice.s…
Marcher loin des écrans fait de nous des oiseaux
Poète voyageur « aux semelles de vent », arpenteur de la poésie du cosmos, grand errant du verbe sauvage, Timotéo Sergoï n’a jamais pactisé avec les écrivains institutionnels, cotés en bourse, avec les assis et les fondés de pouvoir du poétique. Dans son dernier recueil poétique Marcher loin des écrans fait de nous des oiseaux , il délivre un protocole d’action poétique qui prend la forme d’un texte s’étirant sur 801 kilomètres. L’exergue condense la visée du voyage géographique, esthétique et politique : « 801 km de poésie / pour un marchand de yaourt / qui a voulu changer le monde ». Rupture avec le joug des routines, opération de guérilla, plastiquage des formes d’oppression du néolibéralisme et du dire-penser qu’il impose… marchant durant deux mois et demi, de Namur à Brive-la-Gaillarde où vivent ses petits-enfants, Timotéo Sergoï a épousé le cycle circadien, longé la Meuse, dormi à la belle étoile, chez l’habitant, déposé sur huit cents kilomètres des textes qu’il a collés sur les murs, les fenêtres, sur des arrosoirs, des containers ou des panneaux routiers. Le recueil comporte les photos des bancs, des plaques d’égout, des portes, des poteaux, des pneus, des bulles de verre, d’un Christ en croix sur lesquels le poète errant a gravé ses pensées, des éphémérides de l’insurrection, de la désobéissance qui font songer à la poésie action, à la poésie-éveil de Serge Pey, à ses bâtons, avec une touche de puissance vaudou à l’écoute des mondes invisibles. L’ode à la Terre, à sa beauté est d’autant plus vibrante qu’elle s’élève sur une Terre saccagée par l’Anthropocène. La Terre est morte, mes cieux,Blessée par la lame du tracteur,Soignée à l’eau de Javel,Nourrie d’insecticides,D’alcools et de mégots, Piquée d’ondes lascives. Charleville, Reims, Troyes, Nevers, Peyrat-le-Château, Tarnac, Tulle, Aurillac… autant de stations, de traversées de villages, de bois, de prairies, autant de poèmes libertaires gravés, saupoudrés, semés, autant de rencontres avec l’ombre de Rimbaud, avec Raoul Vaneigem, avec Miss Univers, avec le langage des étoiles, des champs, du « grand bal des montagnes bleues », histoire de dénouer les lacets de la rage de se heurter à un monde pollué, à une nature saccagée, histoire de haler des mots sauvages le long des fleuves, le long d’un monde qui s’effondre. Le monde s’écroule, le monde se noie et nous tentons de sauver le peu que nous possédons. Une rame. Une bouée de caoutchouc. Une botte. C’est vain (…) J’écris sur le poteau : « Je veux quitter le sang des capitales ». Il y a aussi la présence en filigrane d’Emmanuel Faber, ex-PDG de Danone qui a été évincé, la complicité entre le langage des arbres, des oiseaux, des lézards, de l’eau et le langage du poète, le choix de la désertion loin d’un monde « carnassier », la souche d’arbre qui accueille un texte signé Timotéo après 252 kilomètres de marche. Tout le monde se lève pour la Terre,Pour l’eau, les zèbres, les mainates,Les coquelicots et les lombrics,Les neiges mortes et les phosphates.Nos vies ont goût de guérillas.Pas d’actions chez les actionnaires. Leur chaises sont en plein soleilEt le Soleil a goût se rouille Le soulèvement de la Terre passe par celui de mots qui, ôtant la rouille des corps, des consciences, des désirs, nous reconnectent avec les formes du vivant, avec l’énergie d’un langage traversé par la vie. Timotéo Sergoï expérimente un nouvel écosystème poétique, au plus loin de vocables sous contrôle, ogémisés. Véronique Bergen Plus d’information Timotéo Sergoï a marché trois mois durant, dormi dehors souvent, croisé des sourires et des colères, pris des nouvelles des voisins. Nous sommes tous voisins ici, puisque venus à pied dans ce café, cette forêt ou ce marché. Pourquoi a-t-il marché ces 801 km ? Pour porter un cadeau d’anniversaire à ses petits-enfants. « Car il s’agit avant tout d’habiter poétiquement le monde » disait Hölderlin, chaque jour, les marqueurs sont sortis pour écrire sur les murs, les plaques d’égout ou les fenêtres. Mot d’amour ou réflexion sur le monde d’aujourd’hui, sur cette insupportable pression des porte-monnaies, sur nos poches sous les yeux. La marche finit en danse pourvu…