Poètes aujourd’hui : Un panorama de la poésie francophone de Belgique

RÉSUMÉ

Dans ce présent panorama de la poésie francophone de Belgique, et nous le soulignons encore, exclusivement attachés que nous avons été aux auteurs vivants, il nous est apparu nécessaire de mettre l’accent sur tel ou tel autre poète discret mais que nous estimions dans la  » secrète évidence « , sur tels habitués des espaces irréguliers ou encore, sur ces jeunes écrivains qui feront notre poésie de demain. Une place de choix devait aussi être donnée à ceux qui, bien au-delà de nos frontières, font aujourd’hui la renommée de notre littérature, mettant ainsi en évidence les multiples et possibles demeures de la poésie. Oui, tout cela c’est du belge et c’est beau !

À PROPOS DES AUTRICES
Liliane Wouters

Autrice de Poètes aujourd’hui : Un panorama de la poésie francophone de Belgique

Liliane Wouters naît à Ixelles, le 5 février 1930. Furnes est le berceau de sa famille maternelle, la seule qu'elle connaisse. Après l'école primaire et un quatrième degré à Ixelles, à partir de l'automne 1944, elle est interne dans une section francophone à l'école normale de Gijzegem, près d'Alost. Toute jeune, elle s'essaie déjà à l'écriture. Elle sera institutrice dans sa commune natale, de 1949 à 1980. Elle voyage beaucoup à travers l'Europe, l'Afrique, le Canada et le Proche-Orient. Elle vit actuellement à Ixelles. Elle envoie ses premiers vers à Roger Bodart qui la conseille et la guide. Il préface d'ailleurs son premier recueil La Marche forcée (1954) qui connaît le succès et est abondamment couronné : prix des Scriptores Catholici (1955), prix Émile Polak, décerné par l'Académie (1956), prix Renée Vivien (1955), prix Nuit de la poésie à Paris en 1956 (ce dernier par un jury comprenant Aragon et Cocteau). C'est un livre foisonnant, aux strophes ardentes, nourries à la fois d'échos du Moyen Âge et d'une certaine modernité. Ses cadences soutenues par la rime disent à la fois un réalisme magique et une mystique éclairée qui doivent beaucoup à la puissance et au baroque nordiques. Des accents d'épopée y sous-tendent une certaine angoisse devant la vie, l'amour et la mort. De six en six ans paraissent alors Le Bois sec (1960) et Le Gel (1966). Le premier remporte le Prix triennal de littérature, le second, le prix Louise Labé. La respiration s'y fait plus rapide, la langue plus incisive et maîtrisée, le débit plus heurté. La précarité de l'existence s'y mêle à un certain mépris du monde. L'émotion est partout contenue, souvent camouflée sous un humour grinçant. Parfois, une crispation de la langue souligne le sentiment de solitude, la crainte de la mort, l'inanité de l'existence, malgré la présence de «longs textes qui aussi sont des hymnes à la vie». Cette poésie de la voracité et du combat, on la retrouve encore dans L'Aloès (1983) qui reprend l'essentiel des recueils précédents et beaucoup d'inédits. De la sorte, on peut suivre l'évolution de la thématique de Liliane Wouters et ce que l'on a appelé sa «rudesse guerroyeuse» empreinte de lyrisme. Attestation aussi d'une constante recherche de soi à travers les labyrinthes de l'existence, l'inlassable plongée vers le bonheur et la vérité, l'inexorable déchirement (notamment à l'instant de la mort). Tout cela cependant nimbé d'une insatiable soif d'espérance évoquée par l'aloès («Une fois tous les cent ans/ l'aloès fleurit. Mon temps/ connaît la même fortune»). En 1990, paraît Journal du scribe. Ce scribe est un peu le symbole de l'écrivain, l'archétype de l'être qui dérange par le message qu'il délivre. L'écrivain s'interroge. À quoi sert l'écriture? Donne-t-elle pouvoir de démiurge? N'est-elle que le «principe» qui crée les êtres, venus d'ailleurs, allant ailleurs? De plus, le scribe synthétise toutes les croyances et est essentiellement préoccupé par les mystères (qui sommes-nous? d'où venons-nous? où allons-nous?). Cette poésie (le plaisir de la langue, le lyrisme) et ses interrogations (métaphysiques, voire sociales), on les retrouve omniprésentes – avec souvent une pointe de fantaisie – au cœur de tout le théâtre de Liliane Wouters. D'abord dans Oscarine ou les Tournesols (1964), une pièce empreinte d'une originalité douce-amère, puis dans La Porte (1967), une tragi-comédie du trépas, dans Vies et morts de Mademoiselle Shakespeare (1971) où Williame, une femme, se prend, par mythomanie ou quête d'identité, pour le grand écrivain anglais, fait le tour de l'amour et d'elle-même dans un univers où s'animent des statues, où sévit le pouvoir, où la passion et la féerie déploient leurs fastes. Après une adaptation de La Célestine (1981) de Fernando de Rojas et deux pièces en un acte, voici La Salle des profs (1983, prix André Praga, décerné par l'Académie en 1984), œuvre souvent jouée et qualifiée de «théâtre-vérité». C'est une radiographie de l'enseignement comportant douze moments et qui évoque avec ironie et tendresse les problèmes des instituteurs, passionnés au début de leur carrière, mais se retrouvant confrontés à la médiocrité, à la banalité de chaque jour. D'autres pièces encore : L'Équateur (1984) – un bateau franchit la ligne qui symbolise la mort et ses cinq occupants se révoltent ou se confessent dans un huis clos assez cruel; Charlotte ou la Nuit mexicaine (1993) – évocation de la démence de la fille de Léopold Ier, veuve de Maximilien de Habsbourg, empereur du Mexique fusillé par les révolutionnaires en 1867; Le jour du narval (1991), une œuvre baroque qui se passe dans une cité nordique, fait allusion à la Bible (David et Bethsabée) et met en scène des gens écrasés par les puissants et le destin. À côté de la poésie et du théâtre – mais ces deux disciplines, chez Liliane Wouters, ne forment qu'un tout – se développent deux autres activités, celles de traductrice et d'anthologiste. Ainsi a-t-elle beaucoup traduit (poèmes et pièces de théâtre) du néerlandais en français, réussissant la gageure de conserver aux textes leurs cris, leurs cadences, leurs musiques. Son choix s'est souvent porté sur des textes du Moyen Âge : Les belles heures de Flandre (1961), qui a remporté le prix Auguste Michot décerné par l'Académie, Guido Gezelle (1965), Bréviaire des Pays-Bas (1973), Reynart le Goupil (1974). Ces travaux lui ont valu le prix Sabam 1965 et le Prix triennal de traduction de la Communauté flamande de Belgique. Parmi ses anthologies : Panorama de la poésie française de Belgique (1976), Ça rime et ça rame (1985), spécialement destinée aux jeunes et, réalisée avec Alain Bosquet, La poésie francophone de Belgique, quatre tomes reprenant des textes de poètes nés entre 1804 et 1962. Tous les chemins conduisent à la mer, un ensemble des poèmes de Liliane Wouters, avec une préface de Jean Tordeur, a été publié aux Éditions des Éperonniers. Intitulé Changer d'écorce, un second ensemble, thématique, est paru en 2001 aux Éditions La Renaissance du Livre, avec une préface de Françoise Mallet-Joris et une postface d'Yves Namur cependant qu'en 2000 était publié chez PHI Le Billet de Pascal, un recueil inédit. 2000 est d'ailleurs à noter d'une pierre blanche, c'est l'année où Liliane Wouters reçut trois distinctions importantes : en Yougoslavie, le Prix international de poésie de La clé d'or, à Paris, la Bourse Goncourt de poésie et à Bruxelles le Prix quinquennal de littérature. Liliane Wouters a été élue membre de l'Académie, le 9 mars 1985, au fauteuil de Robert Goffin. Le Prix Montaigne de la Fondation F.V.S. de Hambourg lui a été attribué en 1995. Depuis 1996 Liliane Wouters est membre de l'Académie européenne de poésie. Elle est aussi membre honoraire de l'Académie royale et langue et de littérature néerlandaises. Liliane Wouters est décédée le 28 février 2016.
Yves Namur

Auteur de Poètes aujourd’hui : Un panorama de la poésie francophone de Belgique

Né à Namur, le 13 juillet 1952, Yves Namur achève ses études secondaires au petit séminaire de Floreffe à dix-sept ans, conquiert son diplôme de médecin à vingt-quatre. Il a déjà, à ce moment, lu depuis longtemps les présocratiques, au point que ses condisciples l'ont surnommé Empédocle. Et dans les auditoires de l'UCL, il s'est fait d'emblée un ami, futur confrère et académicien : François Emmanuel. C'est le temps d'autres rencontres initiales et décisives : Jacques Izoard, Cécile et André Miguel, Marie Gevers qui l'invite maintes fois au domaine de Missembourg. L'Académie l'a repéré très tôt, puisqu'elle lui décerne dès 1974 son premier prix Lockem, réservé aux poètes de moins d'un quart de siècle. Quelques années avant que le docteur Namur commence sa pratique, le poète Yves Namur avait entamé son itinéraire, où Liliane Wouters a vu un parcours initiatique. L'œuvre de Namur, pour qui veut la prendre en considération globalement, est souvent mise en rapport avec les philosophes d'Elée, ou les sages orientaux, et si l'on cite fréquemment Jabès ou Juarroz à son propos, c'est qu'ils s'inscrivent dans un même courant. La quête de ce travail poétique, Jean-Claude Renard en voyait le but en un «lieu où s'allient le sacré et le profane, le yin et le yang, la Question, la Réponse et la Non-Réponse et où les antinomies sont dépassées tout en préservant le pourquoi fondamental du commencement sans commencement et de la fin sans fin». Dès ses débuts, qui pourtant se situent peu après 1968, où le spiritualisme en poésie suscite la méfiance, où le lyrisme est mal perçu, où l'expérimentalisme sévit d'abondance, Namur se pose en franc-tireur. Sa visée? Concilier économie verbale et densité. Bernard Noël apprécie sa façon de découdre «la langue des faussetés qu'on lui fait d'ordinaire envelopper sous prétexte de poésie». Ce qui pourrait buter sur le laconisme prend de plus en plus d'ampleur, la rigueur n'exclut pas la musicalité, la métaphysique de fait pas obstacle au poétique. Poétique qui recourt à des métaphores volontiers végétales, à une langue d'une simplicité de parabole. La répétition progresse en spirale, qui ose creuser jusqu'à l'abîme. Le livre des sept portes lui vaut, en 1992, le prix Jean Malrieu : c'est l'occasion de rencontrer à Marseille Roberto Juarroz qui est le lauréat étranger de la même distinction : ce sera le point de départ d'une amitié littéraire jalonnée de nombreuses rencontres à Buenos Aires. Le même texte va inspirer au musicien Lucien Gurinel un oratorio pour double chœur. L'œuvre de Namur est de plus en plus reconnue. Ses Figures du très obscur lui valent en l'an 2000 les Prix Robert Goffin et Louise Labé ainsi que d'être primé par les lecteurs aux Journées Antonin Artaud à Rodez. L'auteur d'un tel recueil ou du Livre des apparences pourrait paraître voué à l'abstraction, au maniement exclusif d'une plume sacrée. C'est négliger le grand vivant qu'il est, le fin gastronome qu'il n'oublie pas d'être, et qui transparaît dans La petite cuisine bleue. Le poète exigeant, le célébrant de la vie est aussi un homme d'action, doublé d'un inlassable découvreur, ce qui se perçoit dans son travail d'anthologiste, mené parfois en tandem avec Liliane Wouters, comme dans Un siècle de femmes qui rassemble la poésie féminine du vingtième siècle en Belgique et au Luxembourg. Ce travail de défricheur et de conservateur, il le fait avant tout à la tête des éditions du Taillis Pré qu'il anime depuis 1984. Le plus remarquable, dans cette maison qui s'impose comme l'une des cellules d'animation poétique les plus actives en Belgique, est qu'elle veut à la fois relayer des écrivains de sa communauté, et s'ouvrir largement au monde : on y publie de la poésie d'Amérique du Nord et du Sud, de partout en Europe.

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Laurent Demoulin (1966) a étudié à l’université de Liège, où il a reçu les enseignements de Jacques Dubois et de Jean-Marie Klinkenberg. Il y enseigne aujourd’hui. Son premier roman, Robinson , obtint le prix Victor-Rossel 2017. Son frère, le peintre Antoine Demoulin , dit Demant, illustre le présent recueil. Il avait déjà publié d’autres dessins en frontispice d’autres recueils : Filiation , Même mort , Palimpseste insistant et l’édition revue et largement augmentée d’ Ulysse Lumumba . Les deux frères avaient aussi publié une œuvre singulière à quatre mains, Homo saltans , où le texte et l’image s’entrelacent en un pas de deux très réussi. «  Rien de plus déprimant que d’imaginer le Texte comme un objet intellectuel (…). Le Texte est objet de plaisir  » écrivait Roland Barthes . Ce Bookleg de Laurent Demoulin recèle, dans son apparente diversité, de nombreux plaisirs stylistiques. Le choix des textes ne retient que des pièces destinées à être lues à haute voix. Slam femme est donc la juxtaposition d’une forme et d’un thème : la narration scandée librement, de manière rythmée, avec pour personnage central Greta Thunberg, jeune autiste Asperger et militante écologique. L’autisme, thème central de son remarquable roman Robinson , est donc une fois de plus présent chez l’auteur dans ces poèmes sous forme imprimée de textes destinés d’abord à l’oralité :(…) Ta pure volonté oui-autiste et sévèreQue tu deviens persona non grataChez les gris grisonnants qui méprisent le vert,Mais pour nous Great Greta, à jamais et basta !Tu es persona Greta (…)Que ce soit dans le domaine thématique ou stylistique, Slam femme & autres textes n’est pourtant ni disparate ni réducteur. Car la thématique de l’autisme pose une série de questions ayant trait à nos rapports au monde et aux autres.Utilisant la rime et les formes de manière à la fois classique et assez libre, avec des pastiches  empruntés à l’histoire de la poésie française, de la Renaissance à l’Oulipo et à la chanson contemporaine, Demoulin joue avec la langue et les images, la syntaxe et le vocabulaire, manie l’humour et le double sens, comme avant lui, celui qui, le premier, fit du slam à Liège : Jacques Bernimolin (1923-1995), auquel Demoulin consacra une belle approche critique . À propos de ce poète atypique, Izoard disait : «  Jeux de mots, calembours, cut-up, détournement de sens, faux lyrisme, humour décapant, sentimentalisme à rebrousse-poil, voilà quelques-uns des procédés utilisés par ce poète à la fois tendre et doux-amer  ». Malgré leurs différences, les manières d’écrire, chez Bernimolin et Demoulin, font indubitablement partie de la même parentèle. Mais derrière le ludisme des formes, on perçoit la gravité des interrogations : Bernimolin aborde des atmosphères oniriques et parfois angoissantes, Demoulin traite de problématiques sociétales qui bouleversent notre civilisation et n’ont rien d’apaisant : la violence, envers la Nature, les femmes, l’être humain comme l’interrogation de nos identités et modes de vie y sont présentes.Un autre type de violence est celui qui réside dans tout type d’incommunicabilité. Sur ce plan, l’autisme est exemplaire. À propos du roman Robinson , J.P. Lebrun écrit  : «  La pertinence clinique de ce véritable travail d’écriture auquel s’est tenu Laurent Demoulin tient précisément dans ce qu’il nous fait partager ce à quoi Robinson n’accède pas, à savoir ce qu’implique ce que l’auteur appelle « la quatrième dimension – celle du langage – dans laquelle il est si douloureux d’entrer – car on y rencontre le mot ‘mort’ et le mot ‘jamais’ – et dont il est impossible de sortir «  . Tout dans la description particulièrement fine de cette co-vivance entre père et fils, tout vient nous rappeler que n’a pas pu prendre place entre eux ce lien via le langage articulé qui définit notre espèce. » C’est pourtant dans cette coexistence entre le Livre et une autre écriture (l’écriture de l’Autre) , pour le dire comme Barthes, que survient la possibilité d’une compréhension des fragments réciproques de nos quotidiennetés et donc un désamorçage de la violence. Cette problématique est particulièrement sensible dans un poème comme « Minimum minimorum  » et la série intitulée « Poèmes que je n’écrirai qu’une seule fois ».Au-delà de l’éblouissante virtuosité verbale de Demoulin, son inventivité, ses traits ludiques, sa capacité de mise à distance et son oralité, on sera attentif à la dramaturgie de l’être humain, à ses silences, ses murs intérieurs, ses souffrances et à la violence innée qui l’habite, aux peurs qui déterminent ses rapports aux autres et au monde…                                                                     …

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