Le premier matin du monde se levait.
Avant la colère de Dieu, le paradis était aussi beau qu’une tasse blanche et bleue, translucide. Aujourd’hui les débris en jonchaient le monde : ici un étang, là une forêt, plus loin un bras de mer. Partout on retrouvait des morceaux aussi parfaits que les ongles d’enfants que l’on ramasse au bord de la mer.
Adam et Ève longeaient la lisière d’un bois. Au sud s’étendait une prairie où des lapins assis sur leurs pattes de derrière semblaient humer l’air nouveau.
Adam cueillit une baguette de saule, dont il caressa distraitement la jambe d’Ève. Dans les buissons les premières abeilles bourdonnaient mais on n’entendait encore aucun cri d’oiseau.
«Pas la moindre odeur», dit Adam.
Elle pensa qu’il avait raison, dans l’air il n’y avait pas la moindre odeur, pas plus que des cris d’oiseau.
«Le monde est neuf», dit Adam.
Dans ses romans comme dans son théâtre, un des plus importants écrits dans notre pays, Paul Willems (1912-1997) déploie un univers où la magie du rêve et de la prégnance des éléments naturels est mise à mal par le prosaïsme du réel. L’Herbe qui tremble, son second roman, paru en 1942, se construit sur une version très personnelle du mythe du paradis perdu.
Restons ces éternels errants des frontières pour qui le monde n’est pas une apparence qui cache une autre réalité, mais le spectacle immense, cruel et merveilleux de l’instant. Continuons à essayer de le chanter sans jamais y arriver : ces mots sont la conclusion d’une communication de Paul Willems à la séance du 12 décembre 1981 de l’Académie Royale de Langue et de Littérature françaises de Belgique. Elle éclaire l’art d’écrire d’un écrivain majeur de l’après-guerre en Belgique francophone, d’un prosateur et d’un dramaturge dont la langue aérienne, poétique, parfois ironique, semble constamment chercher une issue positive aux conflits implacables qui font l’histoire humaine. Bien entendu, quand je parle de l’instant,…
Terre mon corps est le dixième roman en presque trente ans de la trop discrète Michelle Fourez…
L’éléphant qui avait du pollen sur les pattes arrière
En 2001, de retour d’une visite chez sa mère, c’est décidé, Gilles veut savoir. Cet ingénieur du son quadragénaire, « un valide en chaise roulante » est bien résolu, après une nouvelle querelle avec sa mère, à découvrir le fin mot de l’histoire, de son histoire. Il s’adonne à un travail de fouille, il investigue, sonde les recoins de sa mémoire, interroge les actants de son histoire afin de savoir pourquoi. Pourquoi a-t-il été placé aux Écureuils ? « […] j’étais décidé d’aller jusqu’au bout. Jusqu’aux entrailles des Archives générales du Royaume où j’espérais, en désespoir de cause, dénicher la clé de l’énigme ». L’on suit alors cette construction du récit de soi à partir de cette « case départ » : « Depuis toujours, j’habitais aux Écureuils, un endroit plein d’enfants et de religieuses, au milieu d’un grand parc. Nous l’appelions l’Institut, c’était mon chez-moi ». Mais pourquoi, toujours, les souvenirs de ces moments remontent-ils à la surface ? « Les souvenirs, ce ne sont pas comme les chemises qui s’usent plus elles sont portées. Ils reprennent des couleurs en se frottant au temps qui passe. Ils rajeunissent avec les années. » Lecteur, je te dois un mot d’explication : tel un détective, j’effectue des recherches sur mon passé, plus précisément sur ma prime enfance. Tellement de cachotteries, de sous-entendus, de sourires gênés que cela en est devenu insoutenable. Je souffre de ne pas savoir ce qui s’est réellement passé. Personne ne m’a jamais donné la raison de mon placement en institution spécialisée alors que je n’avais même pas deux ans et que j’habitais chez mes parents. Et quant à mon état, des jambes sans grande force, je n’ai eu droit qu’à un festival d’argumentations pimentées de jargon médical, pour être sûr que je n’y comprenne rien. Par un enchevêtrement du passé et du présent, des anecdotes que la mémoire concède au personnage-narrateur mais également par l’entremise d’une boite métallique contenant des photos que la directrice actuelle de l’institut, jadis stagiaire, lui confie, ou encore grâce à son dossier médical, aux propos de sa tante Emma, aux élucidations de son ancienne assistante sociale, Agnès, et aux autres figures-clés de ce récit de vie, ou via le dossier protectionnel 1959 n° S 407356, cette recherche construit du sens tant pour Gilles que pour le lecteur.Des canaux d’informations divers documentent l’intrigue et l’ancrent dans le propos d’un personnage-narrateur ; le lecteur perçoit l’histoire par son prisme, sa conscience, ses souvenirs. La voix narrative s’historialise, remet en perspective son rapport à sa genèse et au monde. Toutefois, des ruptures de focalisation créent une discontinuité et perturbent la tension du récit, sans crier gare : de brefs segments sont portés par la voix de la mère, Gerda Covens, créant une différenciation intrinsèque, une scansion temporelle, des segments d’histoire parsemés mais criants pour la résolution de cette enquête.Un cadre temporel oscillant entre 1957 et 2021 en relation avec des configurations spatiales enchâssées qui donnent à voir le personnage principal tantôt dans ses excursions enfantines à la cascade de Coo, aux grottes de Han et à la mer du Nord, tantôt attablé à la terrasse du Roy d’Espagne, ou dans la salle des pas perdus du Palais de Justice de Bruxelles, ou « Chez Rose », le salon de coiffure de Gerda à Berchem-St-Agathe, ou dans la caverne d’Ali Baba de Tante Emma au Chant d’oiseaux, ou encore au Café de l’Union, au Théâtre de Paris pour la reprise de Starmania ou à Milan pour un ultime déchirement. Philippe Marchandise nous livre un voyage d’investigation qui raconte une quête de soi, une conquête en tant que sujet. L’éléphant qui avait du pollen sur les pattes arrière , un récit d’émancipation, la découverte des coulisses d’une existence et l’intime lien entre un fils et sa mère. Sarah Bearelle Plus d’information Gilles part sur les traces de son passé pour comprendre les raisons qui ont poussé sa mère à le placer alors qu’il…
Nous l’avions découverte, voici sept ans, dans Les rives identitaires , un « récit nomade » frémissant…