L’herbe qui tremble


RÉSUMÉ

Le premier matin du monde se levait.
Avant la colère de Dieu, le paradis était aussi beau qu’une tasse blanche et bleue, translucide. Aujourd’hui les débris en jonchaient le monde : ici un étang, là une forêt, plus loin un bras de mer. Partout on retrouvait des morceaux aussi parfaits que les ongles d’enfants que l’on ramasse au bord de la mer.
Adam et Ève longeaient la lisière d’un bois. Au sud s’étendait une prairie où des lapins assis sur leurs pattes de derrière semblaient humer l’air nouveau.
Adam cueillit une baguette de saule, dont il caressa distraitement la jambe d’Ève. Dans les buissons les premières abeilles bourdonnaient mais on n’entendait encore aucun cri d’oiseau.
«Pas la moindre odeur», dit Adam.
Elle pensa qu’il avait raison, dans l’air il n’y avait pas la moindre odeur, pas plus que des cris d’oiseau.
«Le monde est neuf», dit Adam.

Dans ses romans comme dans son théâtre, un des plus importants écrits dans notre pays, Paul Willems (1912-1997) déploie un univers où la magie du rêve et de la prégnance des éléments naturels est mise à mal par le prosaïsme du réel. L’Herbe qui tremble, son second roman, paru en 1942, se construit sur une version très personnelle du mythe du paradis perdu.


DOCUMENT(S) ASSOCIÉ(S)


À PROPOS DE L'AUTEUR
Paul Willems
Auteur de L’herbe qui tremble
Né le 4 avril 1912, Paul Willems passe son enfance dans la propriété familiale de Missembourg, à Edegem, près d'Anvers, où les automnes et les hivers merveilleusement solitaires, les journées et les mythes, la nature et les légendes mis en mots par sa mère, la romancière Marie Gevers, l'éveillent à la magie d'un lieu isolé et d'une langue qui n'est pas celle des alentours. La vie lui fait parcourir, autour du domaine enchanté, des cercles de plus en plus larges; toujours, cependant, il revient à Missembourg et à l'Escaut qui coule vers le grand large, le fascine et l'appelle. Après ses études secondaires à Anvers et un périple de deux mois dans l'Atlantique, il entreprend le droit à l'Université libre de Bruxelles et lit Joyce, Hamsun et Lawrence. Il se spécialise en droit maritime, puis il voyage en France où il rend visite à Giono, et séjourne en Bavière où il découvre le romantisme allemand qui, par le biais de la peinture — il est fasciné par l'œuvre de Caspar David Friedrich — et de l'écriture — il lit avec passion Novalis, Kleist et Brentano s'attache au mystère des choses. Revenu en Belgique après cet apprentissage majeur, il devient avocat stagiaire au barreau d'Anvers, puis il entre, pendant les années de guerre, au service du ravitaillement, et épouse Elza De Groodt. Le roman qu'il a commencé à son retour d'Allemagne est publié en 1941 : Tout est réel ici. Dans ce texte frémissant d'images, de subtiles analogies font peu à peu disparaître la frontière entre le prosaïque et le merveilleux, le quotidien et le rêve. Une même dimension féerique marque L'Herbe qui tremble (1942), une sorte de journal intime mêlé de récits, et La Chronique du cygne (1949). On la retrouve également dans le premier théâtre de Paul Willems. Devenu secrétaire général du Palais des Beaux-Arts, il rencontre Claude Étienne qui lui commande une pièce pour le Rideau de Bruxelles, Le Bon Vin de Monsieur Nuche, accompagné d'une musique d'André Souris. Il donne ensuite, de 1951 à 1962, Peau d'ours, Off et la lune, La Plage aux anguilles et Il pleut dans ma maison (sa pièce la plus célèbre, créée d'abord en langue allemande à Vienne et à Cologne, jouée à Bruxelles avant de l'être à Moscou, à Omaha et à Belfast…), autant de moments où la fantaisie le dispute à la poésie. Une inquiétude, cependant, s'y fait jour: il n'est pas de magie ou d'enchantement qui ne laisse apparaître, çà et là, une brisure ou un arrachement. «Il y a certes dans mes pièces des moments de ravissement, dit l'auteur, mais cela ne change rien à mon pessimisme fondamental.» Une noirceur s'installe, qui avait marqué de façon assez foudroyante Blessures, un roman d'une grande densité tragique mûri pendant la guerre et publié en 1945. Le rêve, petit à petit, semble ne plus être qu'un refuge en face de la vie mutilante. Désormais, et pendant plus de vingt-cinq ans, le théâtre de Paul Willems, qui ne méconnaît ni l'âpreté, ni la cruauté ni les dérives langagières, donne à voir les vertiges intérieurs et la débâcle des sentiments, dans un monde plein d'ombres menaçantes, où le temps se fige, où la mémoire est lacunaire et les mots ambigus. Warna ou le Poids de la neige, La Ville à voile (qui obtient le prix Marzotto de même que le Prix triennal du gouvernement belge), Les Miroirs d'Ostende, Nuit avec ombres et couleurs, Elle disait dormir pour mourir et La Vita breve sont des œuvres dramatiques qui mêlent, avec une éclatante maîtrise le sourire et la douleur, la platitude du réel et le rêve d'un ailleurs, l'inventivité verbale et les jeux de miroirs troublants. Elle sont publiées en plusieurs langues (notamment en anglais et en allemand) par les soins de traducteurs fidèles. Elles balisent durant ces années la vie d'un homme qui agit, se déplace et joue un rôle prépondérant dans la vie culturelle. Devenu directeur général du Palais des Beaux-Arts, il sillonne le monde à la recherche de réalisations artistiques qu'il invite le public belge à découvrir. Parmi ces voyages, ceux qui le mènent en Autriche, en Hongrie, en Tchécoslovaquie, en Russie et en Chine le marquent profondément; il découvre, dans ces deux derniers pays en particulier, des formes de poésie, de musique, de danse et de chant dont l'étrangeté et l'intensité l'éblouissent durablement, comme en porte témoignage toute une partie de son œuvre. En 1969, retrouvant une idée qu'il avait déjà eu l'occasion de mettre en œuvre lors de l'Exposition universelle de 1958, il crée avec Franz de Voghel le festival Europalia qui, tous les deux ans, définit un pays par la diversité de ses pratiques artistiques. Un tel miroitement culturel ne l'empêche à aucun moment de retourner au texte, où se joue l'essentiel. Élu à l'Académie le 13 décembre 1975 à la succession de sa mère, il reçoit cinq ans plus tard le Prix quinquennal de littérature pour l'ensemble de son œuvre puis se retire progressivement à Missembourg. Convaincu que l'écriture est un voyage, il convoque ses souvenirs et ses notes et revient, avec La Cathédrale de brume (1984), Le Pays noyé (1990) et Le Vase de Delft (1995) à la forme narrative de ses débuts. Dans ces récits de longueur variable — qui, tous, d'une manière ou d'une autre, appartiennent à ce que l'auteur appelle la mémoire profonde et éclairent l'ensemble de son œuvre —, il tente, en une démarche proche du cheminement initiatique, de cerner d'invisibles blessures et des bonheurs ineffables, de percevoir le dédoublement du monde, d'entrevoir l'envers des choses, de saisir un instant leur autre dimension. Sur tout cela, il s'interroge en autobiographe et en sourcier de l'imaginaire qui passe imperceptiblement de la vie à la littérature, du souvenir à sa transposition poétique dans Un arrière-pays. Rêveries sur la création littéraire (1989). Ce qui se donne à lire, dans ce commentaire qu'il adresse à ses jeunes lecteurs, au cours d'une série de conférences données à Louvain-la-Neuve, est une véritable poétique de la mémoire. Paul Willems est mort le 28 novembre 1997.


NOS EXPERTS EN PARLENT...
Le Carnet et les Instants

Restons ces éternels errants des frontières pour qui le monde n’est pas une apparence qui cache une autre réalité, mais le spectacle immense, cruel et merveilleux de l’instant. Continuons à essayer de le chanter sans jamais y arriver : ces mots sont la conclusion d’une communication de Paul Willems à la séance du 12 décembre 1981 de l’Académie Royale de Langue et de Littérature françaises de Belgique. Elle éclaire l’art d’écrire d’un écrivain majeur de l’après-guerre en Belgique francophone, d’un prosateur et d’un dramaturge dont la langue aérienne, poétique, parfois ironique, semble constamment chercher une issue positive aux conflits implacables qui font l’histoire humaine. Bien entendu, quand je parle de l’instant,…


AVIS D'UTILISATEURS

FIRST:monde mer - "L’herbe qui tremble"
stdClass Object ( [audiences] => [domains] => Array ( [0] => 9548 ) )

Ceci pourrait également vous intéresser...

Terre mon corps

Terre mon corps est le dixième roman en presque trente ans de la trop discrète Michelle Fourez…

L’éléphant qui avait du pollen sur les pattes arrière

En 2001, de retour d’une visite chez sa mère, c’est décidé, Gilles veut savoir. Cet ingénieur du son quadragénaire, «  un valide en chaise roulante  » est bien résolu, après une nouvelle querelle avec sa mère, à découvrir le fin mot de l’histoire, de son histoire. Il s’adonne à un travail de fouille, il investigue, sonde les recoins de sa mémoire, interroge les actants de son histoire afin de savoir pourquoi. Pourquoi a-t-il été placé aux Écureuils ?  «  […] j’étais décidé d’aller jusqu’au bout. Jusqu’aux entrailles des Archives générales du Royaume où j’espérais, en désespoir de cause, dénicher la clé de l’énigme  ». L’on suit alors cette construction du récit de soi à partir de cette « case départ » : «  Depuis toujours, j’habitais aux Écureuils, un endroit plein d’enfants et de religieuses, au milieu d’un grand parc. Nous l’appelions l’Institut, c’était mon chez-moi  ». Mais pourquoi, toujours, les souvenirs de ces moments remontent-ils à la surface ? «  Les souvenirs, ce ne sont pas comme les chemises qui s’usent plus elles sont portées. Ils reprennent des couleurs en se frottant au temps qui passe. Ils rajeunissent avec les années.  » Lecteur, je te dois un mot d’explication : tel un détective, j’effectue des recherches sur mon passé, plus précisément sur ma prime enfance. Tellement de cachotteries, de sous-entendus, de sourires gênés que cela en est devenu insoutenable. Je souffre de ne pas savoir ce qui s’est réellement passé. Personne ne m’a jamais donné la raison de mon placement en institution spécialisée alors que je n’avais même pas deux ans et que j’habitais chez mes parents. Et quant à mon état, des jambes sans grande force, je n’ai eu droit qu’à un festival d’argumentations pimentées de jargon médical, pour être sûr que je n’y comprenne rien. Par un enchevêtrement du passé et du présent, des anecdotes que la mémoire concède au personnage-narrateur mais également par l’entremise d’une boite métallique contenant des photos que la directrice actuelle de l’institut, jadis stagiaire, lui confie, ou encore grâce à son dossier médical, aux propos de sa tante Emma, aux élucidations de son ancienne assistante sociale, Agnès, et aux autres figures-clés de ce récit de vie, ou via le dossier protectionnel 1959 n° S 407356, cette recherche construit du sens tant pour Gilles que pour le lecteur.Des canaux d’informations divers documentent l’intrigue et l’ancrent dans le propos d’un personnage-narrateur ; le lecteur perçoit l’histoire par son prisme, sa conscience, ses souvenirs. La voix narrative s’historialise, remet en perspective son rapport à sa genèse et au monde. Toutefois, des ruptures de focalisation créent une discontinuité et perturbent la tension du récit, sans crier gare : de brefs segments sont portés par la voix de la mère, Gerda Covens, créant une différenciation intrinsèque, une scansion temporelle, des segments d’histoire parsemés mais criants pour la résolution de cette enquête.Un cadre temporel oscillant entre 1957 et 2021 en relation avec des configurations spatiales enchâssées qui donnent à voir le personnage principal tantôt dans ses excursions enfantines à la cascade de Coo, aux grottes de Han et à la mer du Nord, tantôt attablé à la terrasse du Roy d’Espagne,  ou dans la salle des pas perdus du Palais de Justice de Bruxelles, ou « Chez Rose », le salon de coiffure de Gerda à Berchem-St-Agathe, ou dans la caverne d’Ali Baba de Tante Emma au Chant d’oiseaux, ou encore au Café de l’Union, au Théâtre de Paris pour la reprise de Starmania ou à Milan pour un ultime déchirement. Philippe Marchandise nous livre un voyage d’investigation qui raconte une quête de soi, une conquête en tant que sujet. L’éléphant qui avait du pollen sur les pattes arrière , un récit d’émancipation, la découverte des coulisses d’une existence et l’intime lien entre un fils et sa mère. Sarah Bearelle Plus d’information Gilles part sur les traces de son passé pour comprendre les raisons qui ont poussé sa mère à le placer alors qu’il…

Ni langue ni pays

Nous l’avions découverte, voici sept ans, dans Les rives identitaires , un « récit nomade » frémissant…