Auteur de Les fantômes de Théodore
Martine ROUHART, Les fantômes de Théodore, Murmure des soirs, 2020, 116 p., 16 €, ISBN : 978-2-930657-60-8Comme tous les dimanches, Charlie rend visite à son père Théodore. Ces deux-là sont unis par une belle complicité où les mots sont superflus : contemplatifs, ils aiment se gorger des petites contingences de la vie.Nous aimons les mêmes choses immatérielles et un peu inutiles, le roucoulement des tourterelles, le vent dans les feuilles, la couleur du ciel avant l’aube. Nous aimons souvent ne rien faire, dans le silence, sans nous ennuyer. Juste le plaisir d’être ensemble. Entre lui et moi, c’est une complicité tendre, tissée d’évidences qui ont la texture de ce qui nous relie aux arbres et à la terre. […]…
Lorsque Rascal se met à l’écriture. On connaissait les albums, il faudra désormais aussi compter sur les romans de Rascal. Voici un texte intimiste, sorte de journal ou de souvenirs au parfum d’autrefois. Au fil des saisons, en de courts chapitres le lecteur découvrir la vie quotidienne de Rose, une petite citadine. A chaque saison, elle revient à la campagne, chez ses grands-parents. Ici, comme des petites notes personnelles, elle y contient ses sentiments, ses secrets ou ses premiers amours. On sent le vent, l’odeur des feuilles en automne, la pluie sur les carreaux du train. Car ce texte est tout empli de nostalgie, du temps qui passe et qui, malgré les souvenirs, ne sera jamais retrouvé. On retiendra particulièrement les deux premières saisons : l’été, où Rose prépare, avec sa grand-mère complice, un bel anniversaire à son grand-père (il n’a jamais pris l’avion) ; l’automne avec cette étrange promenade en compagnie de son grand-père et cette photo dans une de ses poches (Rose pense que c’est la sienne). Ces passages sont d’une très belle tendresse. On est moins convaincu par les deux derniers chapitres : l’escapade hivernale durant la nuit, l’épisode du train et les premiers émois amoureux. Il n ‘empêche que ce premier roman reste d’une belle tenue, renforcée par de belles aquarelles couleur sépia de Nathalie Novi (où l’on croise pelle mêle, le facteur de Tati, un regard dans un rétroviseur, une nature morte sur une nappe aux carrés rouges).…
« Il a réglé la course, est sorti en sifflotant et, sans se retourner, il a soulevé son chapeau en guise d’adieu », telle est la dernière image qu’a laissée Soren. Nous sommes à Bordeaux, en novembre 2017, et ce musicien et producteur âgé de cinquante-huit ans a demandé au chauffeur de taxi de le déposer à l’entrée du Pont de pierre. Après, plus rien… plus de Soren. Qu’est-il advenu ? Le roman de Francis Dannemark et Véronique Biefnot s’ouvre sur cette disparition et met en récit plusieurs voix. Elles ont toutes connu Soren, de près ou de loin. Chacune d’elles plonge dans ses souvenirs, exhume des moments passés en sa compagnie, des instants de sa vie et, dans une polyphonie où les sonorités tantôt se répondent tantôt dissonent, elles livrent au lecteur une reconfiguration de ce mystérieux Soren, tentant de lui éclairer le mobile de son départ. Chacune y va de sa modulation. « On dira Soren ceci, Soren cela.. on dit tant de choses, mais au fond, qu’est-ce qu’on sait ? » Lire aussi : un extrait de Soren disparu La construction du roman joue sur un décalage entre temps de narration et temps de récit. Tandis que cette volatilisation du personnage principal orchestre les interventions des différents narrateurs – celui-là l’a appris par téléphone, l’autre en écoutant la radio, celui-ci l’annonce à son père, un autre encore y songe à partir d’une photo de chanteuse dans un magazine etc. –, les récits font appel à une mémoire narrative qui reconstruit, rend présente une antériorité qui parcourt la vie du disparu, de son enfance à cette nuit sur le pont. « Un souvenir entraîne l’autre. Quand on commence, on n’en finirait plus… »Cette temporalité se déploie dans une spatialité qui accroît le côté mémoriel des interventions. Le lecteur arpente un Bruxelles d’autrefois ; de l’auditoires de l’ULB au Monty, le piano-bar-cinéma d’Ixelles, près de Fernand Cocq, de la chaussée de Ninove au Mirano Continental, la capitale se fait le lieu de ce festival narratif. [L]es soirs où je glandais, on traînait ici ou là, au Styx, on attendait une heure du mat’, avant ça, rien de bien ne se passait nulle part. À pied la plupart du temps, on allait jusqu’à la Bourse, au Falstaff, à l’Archiduc…, on se faisait parfois refouler à l’entrée quand on était trop murgés ou trop nombreux, ou qu’un truc nous avait énervés, un film ou un bouquin, et que la discussion déraillait. On buvait du maitrank ou des half en half, ou rien, ça dépendait de qui payait la tournée, ensuite, on montait le nord, sous le viaduc, vers l’Ex, ou alors à la rue du Sel parfois. Cent-douze récits rythment ce roman choral où la musique est omniprésente . Fitzgerald, Les Stranglers, Wire, Chet Baker, Branduardi, Kevin Ayers, Neil Young, … La compilation forme une constellation où luisent les traits saillants qui permettent d’appréhender, par fragments, le disparu, de retracer son parcours, avec, en fond, ces musiques qui résonnent et accompagnent la lecture.Le duo Biefnot-Dannemark, déjà connu pour La route des coquelicots (2015), Au tour de l’amour (2015), Kyrielle Blues (2016) et Place des ombres, après la brume (2017), offre un nouveau quatre mains avec Soren disparu . Un roman kaléidoscope où se font échos les témoins de la vie de Soren ; lesquels, dans l’exploration du pourquoi et du comment d’une perte, mettent en lumière le temps qui passe, la complexité de l’existence et sa fugacité.Une nuit, traversant un pont, Soren disparaît. Tour à tour producteur, musicien, organisateur de festivals, cet homme multiple n'a eu de cesse d'arpenter le monde de la musique. Pour percer le mystère de sa disparition, une centaine de témoins…