Les Béotiens


RÉSUMÉ

Né à Bruxelles en 1863, disparu en 1925, aujourd’hui trop oublié, Henri Nizet semblait promis à une belle carrière. Engagé, un peu tard, dans les voies du naturalisme, il pratiqua le tableau de mœurs avec Bruxelles rigole ou l’étude clinique d’un cas d’aberration sexuelle avec Suggestion. Intégré au groupe des Jeunes Belgique, il dirigea contre eux ce roman amer et explosif, Les Béotiens, satire impitoyable des milieux littéraires et journalistiques qui fit scandale.…


DOCUMENT(S) ASSOCIÉ(S)
Après une heure d'héroïques efforts, on est parvenu enfin à se rendre maître du feu. Les dégâts, heureusement peu considérables, sont couverts par plusieurs… La plume d'Étienne grinça, crachant à travers les lignes une fusée de points noirs, et il dut tamponner délicatement, avec un coin de papier buvard, la phrase éclaboussée. L'unique bec de gaz, trop haut, clignait sous l'abat-jour vert où le petit Priou avait épinglé tantôt un numéro de la Lanterne en guise de garde-vue. Entre les fenêtres, le grand vieux coucou de noyer, qui venait de tousser onze heures, émiettait les secondes avec un battement étranglé de cœur triste. Avant de lire son fait-divers, Étienne Sergery se leva, fit une ronde dans les deux salles désertes. Au fond, le cabinet du rédacteur en chef fermait sa porte de faux chêne dont le vernis miroitait à travers l'ombre. L'autre pièce, où l'on tripotait la politique, était toujours seule dès le crépuscule. Les collections du journal s'empilent le long des murs, dont des rayons poussiéreux et déjetés ; un chaos de brochures, de revues, de lettres recouvre les encriers, les boîtes de plumes et de pains à cacheter, les règles, les paquets d'enveloppes ; cela sent la besogne hâtée, l'article abattu à la diable, pour en finir. Un massacre de découpures, de papiers lacérés gît sur le plancher, parmi des crachats et des déchets de cigarette. Dans l'obscurité où le gaz glisse un regard lointain, Sergery reconnaît, au milieu du pupitre de M. Bagelot, le gros Vapereau fendant cette mer de paperasses à la remorque d'un almanach de Gotha, et puis une gazette quelconque, jetée à l'abandon, les plis cassés, qui dresse son titre au haut de la page tout ajourée par les ciseaux. À la place de Bernard Jeancoi, une carte de visite est oubliée sur des volumes neufs, aux couvertures claires. Dans l'encoignure de la cheminée, la boîte du téléphone dort, luisante de ferrures, à côté d'une carafe invalide et de verres boiteux posés sur la tablette. L'atmosphère morne a son odeur, parfum complexe mêlé de tabac aigre, d'épreuves fraîches, de papier humide et chanci. Une bouffée de dégoût monte au cerveau d'Étienne, il hoche lourdement les épaules à la pensée qu'il a ambitionné cette prison et que tant de badauds la lui envient encore, sans savoir. Il s'arrête parmi ces réflexions, s'empêtrant dans les calculs, supputant les journées prises entières, le temps perdu au labeur abrutissant et infructueux, la part de sa vie qu'il a vendue pour les cent sous quotidiens, — sa solde de reporter. Par un sentiment bizarre, il jouit de cette amertume, il lui plaît de s'énumérer les stupidités, les mesquineries, les bienveillances mauvaises, les doucereuses malices qu'il a connues depuis ces quatre années dont le poids lui glisse du dos. Il lui vient presque une admiration inexplicable de ces choses, car elles lui semblent grandiosement bêtes ; et dans la solitude de l'appartement, le tic-tac du coucou, machinalement écouté, répond à son cœur et palpite plus sourd, comme étouffé de désolation


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