Le Sucre filé


RÉSUMÉ

Préface de Jacques De DeckerÀ propos du livre (extrait de la Préface)

Voici une épopée qu’inaugure une nymphe d’insecte et que conclut un fétu de paille. Entre les deux, trois lustres se déroulent, ils ont pour espace un fragment de pays plat, et pour temps ces années précédant immédiatement la tourmente qui sonna le glas du monde ancien et frappa les trois coups…


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Nous allons entamer les cinq derniers lustres de ce siècle, mon souvenir le plus lointain remonte à la fin de celui qui le précède.

La mémoire a ses métamorphoses, qui sont facétieuses. Considérée comme un objet, une nymphe d'insecte pourrait être un exemple, elle se compare mieux à une chaîne de montagnes scrutée de la plaine avec attention quand la brume la recouvre ; certains sommets émergent, d'autres sont invisibles, ils n'existent pas ; le vent s'élève, l'heure passe, le décor change, s'estompe ou s'éclaire, un village meurt, ou naît ; certains pics apparaissent ou s'effacent, d'autres sont demeurés étincelants à travers tout.

Je vois, avec une netteté singulière, mon grand-père ouvrir la porte de la boutique paternelle, courbé par la timidité, entrer lentement comme s'il allait importuner. Il venait de sa province, Saint-Nicolas, le chef-lieu du Pays de Waes, qui est, comme on sait et disent les manuels, le jardin de la Belgique. Les champs sont bombés. Il souriait, un peu compassé, comme s'il avait à s'excuser du long voyage qu'il venait de faire. En vérité, il l'avait fait pour moi. J'avais deux ans.

Il portait une cape, boursouflée d'un objet encombrant qui me faisait battre le cœur, une lavallière de soie noire, un chapeau d'artiste à larges bords. Ses yeux étaient-ils bleus, comme ceux de sa fille cadette ma tante Bée, qui composait aussi des chansons, un bleu intense, foncé et lumineux, de lapis-lazuli ? Je ne sais pas, mais son cœur l'était. Sur moi posé, il m'envoûtait par la douceur inhérente à un monde que je ne connaissais pas, celui des vieillards. Il m'a fallu tout un temps pour comprendre que mon grand-père, mon parrain, était le papa de mon papa.

«Attends!», car je m'étais précipité pour recevoir son baiser et tâtais l'objet qui gonflait sa cape. Le drap était rêche.
Table des matières

Préface : Une chronique de la quête de soi

Ch. 1 - Le tir chinois
Ch. 2 - Une famille d'artisans au début du siècle
Ch. 3 - La partie de pêche
Ch. 4 - Le petit cordonnier
Ch. 5 - Le noir
Ch. 6 - Je suis Dieu
Ch. 7 - Allemandes (die deutsche Schule)
Ch. 8 - La bicyclette
Ch. 9 - Dorothée
Ch. 10 - Un fils indigne
Ch. 11 - La dégradation de l'aube

Biographie de Paul-Aloïse de Bock
Bibliographie de Paul-Aloïse de Bock


À PROPOS DE L'AUTEUR
Paul-Aloïse De Bock
Auteur de Le Sucre filé


Paul-Aloïse De Bock naît le 13 septembre 1898 à Schaerbeek, où sa famille tient une célèbre pâtisserie que fréquente notamment Georges Eekhoud. Homme cultivé, jouant de la flûte, son père reçoit chez lui des peintres comme Laudry et Godfrinon. Il transmet à son fils son amour pour les arts, sa passion pour la pêche et la chasse. Sa mère est une femme chaleureuse, qui comptera beaucoup dans sa vie. Le futur écrivain fréquente l'Institut Sainte-Marie à Schaerbeek; une petite sœur née en 1905 ne vivra que cinq ans. En 1912, un frère agrandit le cercle de famille. Paul-Aloïse est inscrit à l'École allemande où il est le compagnon d'Herman Closson, de Georges Mogin (alias Norge), du futur poète spiritualiste von Radetsky et de l'Argentin Jules Payró, qui deviendra peintre et professeur d'histoire à Buenos Aires. Chez les Payró, il rencontre des artistes; l'un d'entre eux est Paul Delvaux, auquel une longue amitié va l'unir. Brièvement pensionnaire à l'Athénée de Huy, il regagne la capitale au début de la première guerre mondiale et fréquente l'Athénée de Schaerbeek où il se lie avec Hubert Chatelion. En 1916, le décès subit de son père le contraint à quitter l'école et à travailler dans la pâtisserie familiale pour aider les siens. En 1918, il obtient son diplôme d'humanités au jury central.

Eekhoud a vu ses travaux littéraires. Il l'oriente vers Ghelderode. Une longue amitié commence. Inscrit en droit à l'Université libre de Bruxelles en 1919, De Bock y a pour condisciple Odilon-Jean Périer; à deux, ils écrivent une pièce de théâtre dont il ne subsiste aucune trace. En même temps, il s'inscrit au Parti ouvrier belge. En 1922, il se marie; peu après, il devient avocat au barreau de Bruxelles et se consacre aux causes commerciales. En 1927, il est élu conseiller communal à Schaerbeek. C'est l'année de sa rencontre avec l'architecte van de Velde, une nouvelle et solide amitié. De Bock plaide aussi des procès politiques. Dès 1923, il a rencontré les milieux antifascistes italiens établis à Bruxelles. En 1930, il est aux côtés de Paul-Henri Spaak pour assurer la défense de l'anarchiste Fernando De Rosa, qui a commis un attentat contre le prince Umberto, fiancé de la princesse Marie-José. La même année, il est l'avocat d'un autre anarchiste italien, Arturo Berneri, auteur d'une tentative d'assassinat sur le ministre de la Justice de la péninsule, de passage à Bruxelles. En 1934, c'est à Hambourg qu'on le retrouve, au procès du chef communiste allemand Edgard André. Face à un tribunal asservi à l'idéologie nazie, il ne peut sauver la tête de son client, exécuté quelques heures après sa condamnation.

De Bock continue d'écrire, mais sans publier. En 1933 cependant, un premier récit traduit en espagnol parait dans La Nación de Buenos Aires. Il se lie à cette époque avec Plisnier et les époux Lilar. En 1940, il est mobilisé pendant quelques mois, puis reprend ses activités et entre dans la Résistance. Après les hostilités, il chasse et pêche souvent dans les Flandres avec d'autres amis, l'avocat Maurice Debra et le sculpteur Georges Grard. Sa nomination comme conseiller d'État en 1947 lui donne l'occasion de quitter son cabinet d'avocat et d'augmenter le volume de ses activités littéraires. À partir de 1950, il publie des nouvelles dans La Table ronde ou La Gazette des lettres et leur traduction dans des quotidiens hollandais sous le pseudonyme de Paul Bourgues; il se lie avec Marie Gevers et Paul Willems. En 1952, il est nommé professeur de droit à l'école de la Cambre à Bruxelles, en section urbanisme.

L'année suivante, Terres basses, un ensemble de nouvelles (qui sera réédité en 1984, augmenté de cinq récits) est édité à Paris et obtient le prix Rossel. La critique, tout en soulignant la place occupée dans ce volume par le réalisme et le mystère, sur fond d'expressionnisme, constate les similitudes d'atmosphère avec l'œuvre de Hellens. La même année, sa pièce Les Fourmis est lue en français au Théâtre national et jouée en allemand sous le titre Les Mains dans le vide à Baden-Baden. Un conte parait dans Les Nouvelles littéraires. De Bock est élu à l'Académie Picard. Sa rencontre avec Hellens est le début d'une autre longue amitié. Litanies pour les gisants, drame dans lequel l'auteur dénonce la guerre, est interprété à Paris au Théâtre de la Comédie. De Bock se remarie en 1957. Il publie quelques poèmes : L'Écume et le soc dans la revue La Sève, en 1954, et d'autres, en 1963, dans l'anthologie des Poètes de la rue des Sols. Une farce en un acte, Le Monologue conjugal, est jouée par le Kamertoneel d'Anvers.

En 1961, année où il perd sa mère, De Bock publie dans la revue Audace et à Paris, chez Denoël, Les Chemins de Rome. Ce roman s'inspire des procès des anarchistes que De Bock a défendus. Le héros est un révolutionnaire qui combat les régimes totalitaires et mourra pendant la guerre civile en Espagne. Pour un éditeur allemand, De Bock travaille à une biographie de son ami, le peintre Delvaux, qui paraîtra à Hambourg en 1965 et, deux ans plus tard, en français, sous le titre Paul Delvaux, l'homme, le peintre. Psychologie d'un art.

Admis à la retraite en 1970, De Bock se consacre totalement à l'écriture et donne des conférences. En 1976, il publie un recueil de souvenirs Le Sucre filé (réédité par l'Académie en 1994). L'auteur y raconte son enfance, les années d'école, le cercle de famille, l'attirance pour sa cousine, le tout écrit dans un style qui fait souvent penser à celui d'un journal intime. Il existe une suite inédite, intitulée Les Rayons de paille. Récits d'adolescence 1914-1923, datée de 1965-1966. De Bock y évoque la mort de son père, son travail de pâtissier, ses aventures sentimentales, son amitié avec Delvaux et Ghelderode. Le Pénitent, son dernier roman publié (1981), est une œuvre forte qui raconte, dans un climat halluciné, l'histoire d'une passion amoureuse se terminant dans la folie et dans le sang.

De Bock meurt à Boitsfort le 28 avril 1986, laissant un grand nombre de textes inédits. Il avait été élu à l'Académie le 23 avril 1977.


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