Le doute

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Le Carnet et les Instants

Lorsque vous prenez le doute entre vos mains – un livre à la jaquette en papier Kraft ordinaire sur lequel vous pouvez lire ce titre laconique sans majuscule et observer un amusant dessin au bic d’un dromadaire, ou plutôt d’un chameau à trois bosses – vous êtes déjà happé par l’univers d’Anne Wolfers.Quand elle était enfant, Anne Wolfers passait son temps à se fabriquer de petites marionnettes. Elle aurait voulu s’orienter vers l’illustration, mais cette formation n’existait pas à l’époque. Après avoir découvert la gravure au cours d’un stage, elle décide de s’inscrire dans cette section à la Cambre (ENSAV) et cette passion ne l’a plus quittée. Cette graveuse hors pair a été professeure pendant de longues années à l’École des…


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De Salamanque à Guantanamo, une histoire du droit international

Gérard BEDORET , Olivier CORTEN et Pierre KLEIN , De Salamanque à Guantanamo, une histoire du droit international , Futuropolis, 2022, 251 p., 27 € / ePub : 18,99 € , ISBN : 978-2-7548-3353-0Choc ! Une BD, un roman/essai graphique qui n’est ni un roman ni un essai, vient nous délivrer le message de l’année, le contrepoint idéal à nos temps maussades de pandémies, populismes et agressions sociocidaires .    Il était une fois, au sud de Bruxelles, un village blotti autour d’une place atemporelle et moderne. Des dizaines d’artistes et d’intellectuels s’y étaient installés, attirés par la perception d’une âme faufilée entre les venelles, les bosquets, la vieille église et les écoles. Il était une fois, parmi ceux-là, deux professeurs d’université, Olivier Corten et Pierre Klein , et un architecte, Gérard Bedoret . Les premiers, loin de se limiter aux arcanes de leur domaine (le droit international), nourrissaient des projets citoyens. Faire descendre une notion essentielle au sein de publics moins avertis, ouvrir des lucarnes d’information et de réflexion. Le troisième, lui, désirait tourner la page d’une vie professionnelle pour se consacrer à un rêve en planches. Il était une fois, au bout d’une rencontre, un récit bouleversant. Qui nous prend par la main pour nous raconter la plus belle histoire du monde, celle d’une idée, nourricière, notre droit à exister, de manière libre, égale, fraternelle. Le pitch Une histoire du droit international est mis en scènes clés (controverse de Valladolid, massacre de la Saint-Barthélémy, congrès de Vienne, etc.), depuis les traités des 14e et 15e siècles, supervisés par le pape, qui devaient déterminer le partage du monde entre les puissances maritimes, exploratrices, du temps, Espagne et Portugal, puis France. Mais, au fil des chapitres, ce qui sous-tend ou préside les cogitations mute : dieu ou religion, raison et nature, mission civilisatrice, institutionnalisation, recherche d’un équilibre mondial. Le droit international ? Comme le dit Philippe Sands dans la préface, il «  fait tourner le monde et régit le transport et le commerce, les télécommunications et les services postaux, l’alimentation, la guerre et la paix, l’autodétermination et la décolonisation  ». On en entend parler tous les jours : telle horreur relève-t-elle du génocide, du crime contre l’humanité, du crime de guerre ?On parle donc d’une idée qui fonde notre humanité ou plutôt une humanité rêvée, une alter-humanité, relayée par des philosophes, des juristes, des artistes, des citoyens engagés, en contrepoint d’une humanité de bruit et de fureur, de besoins exaucés par la force, la manipulation, l’abus de pouvoir. L’art À dix mille lieues de tout pensum, Une histoire du droit international réussit la gageure de délivrer ses informations (dont le combat du tsar Nicolas II contre la course aux armements) et réflexions dans un pur plaisir de lecture. Les dessins de Gérard Bedoret enchantent les pages : personnages bien campés (Léopold II, Coligny, etc.), décors raffinés (Leyde, La Haye, Constantinople, etc.), couleurs et mise en page imprimant des atmosphères variées, prégnantes au-delà des contenus textuels. Les textes d’Olivier Corten et Pierre Klein sont vifs, limpides, saupoudrés d’infiltrations d’humour. D’où ce miracle de passer des tentatives de réalisation d’un mieux-vivre pour les individus, les peuples, la nature à leurs dévoiements, leurs échecs… en conservant le sourire et l’espoir, le désir d’agir encore. Le dilemme Le prologue du livre nous précipite au côté d’un Palestinien apatride arrêté en 2002 au Pakistan, soupçonné d’être un dirigeant d’Al-Qaïda, transféré d’un camp d’interrogatoire (et de torture) de la CIA à un autre (Guantanamo, Maroc, Lituanie, Afghanistan, Pologne, Thaïlande), privé de tout droit, détruit. L’épisode est une mise en abyme du livre. Des règles ont été définies à l’échelon international (convention européenne des droits de l’homme, convention des Nations-Unies contre la torture) pour prévenir l’arbitraire, mais elles sont sans cesse contournées. Amnesty condamne, Obama promet mais les États-Unis ne sont pas tenus de suivre telle convention ou n’acceptent pas la compétence de tel comité, et il y a le droit de veto des membres permanents du conseil de sécurité de l’ONU. Un récit-cadre Un couple de «  philosophes amateurs  » représente le lecteur (du début à la fin du livre), ses espoirs et ses désillusions, un dialogue permanent va faire osciller les avancées théoriques du droit international et les crimes qui les narguent. Ils mettent en situation, alerte et plaisante, une tension aussi vieille que la sociabilisation humaine : le désir d’un système de protection et de justice universelle et l’impossibilité de le faire respecter, «  faute d’autorité supérieure, de juge à compétence obligatoire  ».Bedoret, Corten et Klein, avec Une histoire du droit international, ont réussi une œuvre animée qui dit le monde tel qu’il est mais aussi tel qu’il pourrait être, au creux de notre aspiration à un paradis perdu, un univers d’adéquation et d’harmonie (qui est sans doute la transposition du lien enfant-mère prénatal). Tel qu’il est ne veut pas dire «  dominé par le Mal  ». Non, à relire, en filigrane du récit et en accéléré, notre histoire moderne (huit siècles), on est uppercuté par une évidence : deux forces (qui opposent ceux qui ont une préoccupation empathique vis-à-vis de l’autre et ceux qui l’instrumentalisent, le néantisent) se disputent le monde de toute éternité et leurs victoires ne sont jamais qu’éphémères, leur emprise n’est jamais globalisée. Le droit international a sauvé des millions de vie mais n’a pas empêché le massacre de millions d’autres. Propulsé bien des avancées (le respect des femmes, des enfants, des gens de couleur) mais vécu des régressions (droits des femmes aux États-Unis ces dernières années). Rappels édifiants à l’appui. Et notre dignité consiste à poursuivre la lutte. Comme les héros de La peste, l’étendard d’Albert Camus. En espérant qu’une utopie concrétisée nous attende au loin. Qu’on peut déjà tenter d’édifier autour de soi. Philippe…

Vent d’hiver : Petites histoires pour réchauffer les jours froids

Quelle que soit sa rigueur, on le trouve toujours trop long, trop froid, trop déprimant. L’hiver suscite peu notre enthousiasme : on peste lorsqu’il s’installe et on ne le célèbre que quand il disparaît. On tente même de le chasser à coup de carnavals, de le mater à force de proverbes, c’est dire ! La neige et ses jolis flocons n’emportent pas notre adhésion non plus. Certes, on s’en réjoui durant une séance de luge, elle intrigue par son atmosphère magiquement ouatée, on la contemple bien au chaud  derrière une fenêtre, mais elle nous hérisse sous les pneus, nous désole en flaques boueuses, nous brûle par ses gerçures. Décidément, l’hiver est la mal aimée de nos saisons. Ce qui est assez injuste pour lui car «  [il] est comme tout le monde. / Il n’aime pas le froid. / Mais c’est son boulot, voilà. / À l’école, il voulait faire printemps, / mais c’est un métier plutôt rare  ». De plus, «  [d]es quatre saisons, l’hiver est celle qui raconte le plus d’histoires. / Ce sont les mois où on a envie de se serrer les uns contre les autres. C’est sans doute une explication  ». Cela paraît un prétexte parfait pour Carl Norac qui nous offre à envisager ce temps de ralentissement, de calme et de préparation, à la lorgnette d’historiettes amusantes, inattendues et poétiques. Dans Vent d’hiver , on croise notamment une maman aux joues goûts framboise et fraise, des Finlandais aux fesses bleues, un bonnet réceptacle de pensées, un skieur en habit d’ours, un bonhomme de neige affreusement maussade. Et le plus attachant d’entre tous ces personnages parfois farfelus est monsieur-madame (selon les pages) Hiver, un être solitaire, rêveur, résigné, facétieux et amusé : «  On dit que l’hiver est triste, mais on se trompe. Il rigole beaucoup. Par exemple, si vous allez près d’un étang gelé, souvent vous entendez un craquement. Craquement, c’est seulement quand l’hiver a trop envie de rire. Il craque de rire. Il s’éclate.  » Qui l’eût cru ? Comme de coutume, la prose, rêveusement décalée, tout à fait personnelle, de Norac chatouille l’esprit du lecteur, petit ou grand.La découverte de ce livre se niche sans doute dans les dessins de la Gantoise Gerda Dendooven. Le public francophone la connaît (peut-être) un peu moins, alors qu’elle est une mine admirable du paysage graphique flamand, en ébullition hallucinante. Le trait de Gerda souffle comme le vent hivernal : de façon saisissante, un peu piquante, brute. À l’aide d’une palette réduite (essentiellement, du bleu, du blanc, du rouge), elle crée un univers vif, un brin désuet (elle aurait pu illustrer La semaine de Suzette ou un almanach du début du 20e siècle), très évocateur tout en s’inscrivant en résonnance avec une tradition flamande affirmée (planent les ombres indistinctes des Breughel, des Permeke et autres Masereel). Quelle joie pour nous que le Poète national de Belgique / Dichter des Vaderlands multiplie ces collaborations sans-frontières ( Vent d’hiver est déjà le treizième de ses opus illustrés par un talent du Nord) ! À présent, nous avons le cœur à chanter : « Oh ! Vive le vent, vive le vent… » Samia Hammami Au travers de courts textes poétiques, tour à tour drôles ou oniriques, l'auteur raconte les aventures de personnages représentant des saisons autour du thème central de la période hivernale. Ce livre rassemble de petits textes poétiques, tour à tour drôles ou oniriques, sur l’hiver. Le mariage puis le divorce de Madame Hiver et de Monsieur Printemps, les péripéties d’un bonhomme de neige au mauvais caractère, un hiver peu pressé de laisser sa place, l’invention du rhume… autant d’aventures qui parlent de saisons, de neige, de froid… à se raconter au coin du feu ! Car comme le dit l‘auteur dans une de ses poésies : « Des quatre saisons, l’hiver est celle qui raconte le plus d’histoires ! » Feuilleter un extrait…

La Prophétie d’Ocyrhoé et autres métamorphoses de Métamorphoses d’Ovide

Au nom d’Ovide est associé comme par automatisme L’art d’aimer , œuvre qui traversa les siècles mieux que les appels du Poète ne surent franchir des milliers de kilomètres pour atteindre l’inflexible Empereur Auguste, qui l’avait en l’An 8 contraint à l’exil sur les rivages de la Mer Noire. Les raisons de cette proscription restent mystérieuses : Ovide aurait-il été témoin d’un scandale de cour, dans un contexte politique qui affichait pourtant une volonté de restauration morale ? Aurait-il assisté à quelque cérémonie ésotérique dévouée au culte d’Isis, ou trop joué d’influence dans d’obscures querelles de succession au trône ? Michel Gheude avance, tout en maintenant l’inconnue, une explication littéraire, forcément plus séduisante, à cette arbitraire relégation. L’Empereur aurait vu dans Les Métamorphoses rien d’autre qu’«  une apothéose de la passion, une apologie sacrilège  ». Il aurait surtout eu la finesse de découvrir «  entre les lignes de ces récits enchaînés sans rationalité explicite, apparemment moralisateurs, mais constamment fascinés par le mal, […] la patiente affirmation d’une philosophie qui magnifiait la déraison humaine, qui, à l’inverse de la sagesse grecque et du droit romain, faisait reposer le monde sur l’hybris et les anges rebelles  ».Pouvait-on mieux résumer la pérenne subversion présente dans ce classique ? Et était-il une meilleure façon de confirmer l’inépuisable potentiel d’inspiration constitué par cette «  source toujours jaillissante  » (Frédéric Lefèvre) qu’en la continuant ? Le latiniste rigide, que le passéisme ventouserait à ses ruines comme la moule au rocher, s’offusquera sans doute de voir Déjanire, femme d’Hercule, porter un pull vert gazon et un pantalon taille élastique, ou les pis d’Io, labellisés bio, emprisonnés dans un «  soutien-gorge rouge passion, aux bonnets de tulle ourlé de dentelles  ». Il n’en croira pas ses oreilles quand Héra demandera à son époux : «  Quelque chose ne va pas, mon chéri ?  », et lui d’invoquer des soucis au travail, des tracasseries administratives pour expliquer ses humeurs… Il s’étranglera d’apprendre que Zeus lui-même s’est déjà pris à danser dans des rave-party sur de la House Music, du raï, du zouk, du grunge, de l’Acid jazz.Mais la prose, cadencée par de sous-jacents dactyles et spondées, ramènera notre lecteur ébahi au rythme que requiert la transmission du mythe. L’écriture fluide de Gheude sacre les épousailles, échevelées certes mais hautement poétiques, de la Tradition et de la Modernité. Entre les coups (hum…), un dessin de Scanreigh, manière de Cocteau déjanté, parachève l’illustration du propos, si c’était encore nécessaire.Irrévérence que d’ainsi travestir et actualiser un chef-d’œuvre ? Oui, et tant mieux si c’est pour prouver que l’amour et ses affres sont le cycle même de la vie. Désormais, preuve est faite que, pour la Byblis d’aujourd’hui, le fait d’être revêtue de pataugas couleur sable et d’un T-shirt Kookai n’est en rien incompatible avec le sentiment que, privée de son amant, elle «  retourne au mirage. À sa vibration. À son incandescence. Perdue entre ciel et terre. Entre les firmaments. Au-delà des horizons.…