Depuis des années, tel un argonaute, Michel Delhalle fouille, sonde, compulse, scrute les ouvrages à la recherche des plus beaux aphorismes, des plus drôles, des plus percutants.
Il partage ses pépites lors de conférences endiablées où les jeux de mots, les calembours, les traits d’esprit marquent à jamais les auditeurs ébaubis par tant de verve.
Il était temps que Michel rejoigne la joyeuse troupe des joviaux aphoristologues de la bande à Cactus.
Avant-goût
Aujourd’hui est le fœtus de demain.
Veuillez m’éplucher votre nom.
Le murmure est le sous-sol de la parole.
Il est aussi prétentieux qu’un subjonctif plus-que-parfait.
Dépoussiérez-vous, vivez !
Jeter ses larmes dans le sèche-linge de l’indifférence.
Prendre ses désordres pour des réalités.
Bien qu’oscillant entre philosophie et poésie, l’aphoriste n’a rien du sage ni du parfait honnête homme. Les traits qu’il décoche n’ont d’autre cible que lui-même, mais à travers l’ironie de sa féroce autodérision, c’est chacune de nos consciences qui est visée ; ce sont toutes nos valeurs et nos certitudes qui sont percées à jour. Il n’est nul besoin de citer les œuvres immenses bâties avec ce matériau textuel en apparence si friable et qui, cependant, passent parfois mieux à la postérité qu’un pensum. Qui n’a ainsi en tête une formule radicale, une de ces phrases qui dénudent le réel jusqu’à l’os et assurent la survie mentale dans un monde tout d’apparat et de toc ? Un verset de L’Ecclésiaste, une formule de Lichtenberg, une sentence de…
Silence, Chavée, tu m’ennuies. 1031 aphorismes rassemblés par Jean-Philippe Querton
Figure incontournable du surréalisme belge (et plus particulièrement du groupe hennuyer), Achille Chavée demeure nimbé d’une aura qui, cinquante ans après sa disparition, rend toujours son cas aussi fascinant et épineux. Ayant physiquement combattu la « bête immonde » durant la guerre d’Espagne puis en tant que résistant entré dans la clandestinité, le brigadier international Chavée traîne cependant quelques dérangeantes casseroles rouges. À commencer par les soupçons d’interrogatoires musclés durant des procès staliniens à l’encontre de militants anarchistes. L’info est catégoriquement relayée dans la notice Wikipedia, mais sérieusement réévaluée dans certain article de Paul Aron sur l’engagement des écrivains belges francophones contre le franquisme… Mais depuis quand juge-t-on de la valeur d’un écrivain, d’un poète sur ses actes militants et ses aveuglements idéologiques ? Et même sur sa biographie, l’homme fût-il, imaginons, avocat porté sur la bibine, joueur de poker impénitent et mauvais perdant de surcroît, individu signalé comme désagréable et méprisant envers son épouse ? C’est bien connu, les artistes, les vrais, ne progressent pas, ils empirent, selon le célèbre adage : « On commence par tuer sa mère et on finit par voler la cathédrale de Chartres. »Au fait, qui a dit cela ? Chavée, justement, l’expert en prononcé de sentences laconiques, dont Jean-Philippe Querton propose un recueil d’aphorismes – presque – exhaustif ; 1031 en tout, c’est élégant et solide comme un nombre premier, et cela contient l’essentiel de « l’enseignement libre » dispensé par un esprit toujours frappeur. Car, grâce à Chavée, on apprendra que « La chaise est toujours assise », « Le pain n’a pas faim », « Une dynastie est une collection de cadavres numérotés » et que « Le bossu se démontre par sa bosse ».Selon les mots de Chavée lui-même, l’aphorisme est un genre d’auto-défense où se crée « un équilibre entre le lyrique et le réel ». La définition du genre est parfaite. Les antiphrases, antiproverbes et antimorales délivrés en rafales dans ce substantiel volume sont extraits des recueils publiés à La Louvière au Daily-Bul ainsi que de l’œuvre complet (au masculin, permettez) publié par les amis de Chavée. Libre à quiconque de les grappiller ou de les lire en enfilade, l’important est d’« apprendre entre les lignes de la page blanche ». Dans la galerie d’évocations qui précède l’ensemble, les beaux mots d’André Miguel rendent l’ambivalente présence de Chavée presque palpable : « Il avait une présence physique extraordinaire. Un regard à la fois tendre et pénétrant avec une certaine dureté par moment et aussi un visage de mage, surtout à la fin de sa vie de mage et de peau-rouge. Il y a avait chez lui quelque chose de diabolique si on veut, mais aussi une grande tendresse… »Chavée, tu déranges. Chavée, tu incommodes. Chavée, tu…
L’histoire du petit livre signé Jean-Pierre Otte , La bonne vie , qui paraît aux éditions Cactus…