La corde

À PROPOS DE L'AUTEUR
Jean Tordeur

Auteur de La corde

Né le 5 septembre 1920 à Schaerbeek, d'un père brabançon, militant de gauche, et d'une mère croyante, de filiation lorraine et galloise, Jean Tordeur éprouve le premier choc spirituel de sa vie lorsqu'il est confié, à l'âge de neuf ans, aux bénédictins de l'abbaye Saint-André, près de Bruges. Cette institution d'enseignement de haute tenue, où séjournèrent en leur temps Claudel, Maritain, Henri Ghéon, dont Daniel Gilles fut l'élève, l'imprègne profondément. La liturgie lui enseignera notamment l'accompagnement du calendrier civil par un calendrier sacré. C'est sans doute au cours de ces années que Tordeur prit la mesure, à la fois, de l'emprise de la nature et de la puissance de l'aspiration métaphysique. Il n'a cessé, en tout cas, de considérer cette période comme la plus formatrice de sa jeunesse. Il doit s'éloigner de ce lieu, initiatique par excellence, à la mort de son père et aborder, brutalement et précocement, les exigences de la vie réelle. Mais la poésie, déjà, lui avait ouvert la voie : non celle d'une échappée des contingences, mais celle d'une intégration dans une vision globale, où le sacré et le profane coexistent et s'étayent l'un l'autre. L'apprentissage, au fil des métiers, sera rude. Il passera par des fonctions administratives aussi multiples que modestes avant de s'orienter, dès 1945, vers la profession qu'il exercera, à quelques exceptions près, quarante ans durant : celle de journaliste. Il travaillera pour plusieurs titres, parfois éphémères, comme Le Quotidien et L'Occident avant de passer trois ans à La Libre Belgique qu'il quitte pour devenir secrétaire de rédaction de La Cité. Mais l'écrivain s'était déjà manifesté avec un premier recueil, Éveil et Maurice Carême aura tenu à préfacer ce coup d'envoi d'un nouveau venu de vingt et un ans. Ce sont ses premiers textes, suivis, en 1947 de Prière de l'attente, qui suscitent l'attention d'autres passionnés de poésie, et, d'abord, celle de Pierre-Louis Flouquet, sur celui qui obtiendra le premier prix des Poètes catholiques de l'après-guerre. Réfléchi, introverti, Tordeur n'est pas un solitaire. Son écriture sera stimulée par la rencontre de quelques aînés, au premier rang desquels il faut citer Norge et Roger Bodart, et par la complicité de compagnons fraternels comme Jean Mogin ou Charles Bertin avec lesquels il partage une conception ambitieuse et altière de la poésie. Ces proximités, à la fois littéraires et affectives, ne l'empêcheront cependant pas d'emprunter un itinéraire singulier, âpre et exigeant, dont quelques recueils seulement témoignent, mais qui tracent une ligne de faîte dont l'acuité et l'originalité se sont confirmées au cours des années. Deux livres, La Corde (1949) puis Le Vif (1955), qui d'ailleurs s'engendrèrent l'un l'autre, lui permettent d'ajuster une prosodie et une lecture du monde où la virtuosité et la vivacité des formes épousent une interrogation de fond, celle des risques que la modernité prend en rompant avec quelques ancrages anciens. C'est le thème du conservateur qui s'esquisse, perçu comme celui qui, sans freiner ou combattre une évolution, y maintient le projet de ce que René Char a appelé le dur désir de durer. Un auteur majeur va d'ailleurs l'aider à mettre au point l'esthétique que suppose un tel enjeu : T.S. Eliot, à qui il a consacré un essai (1946) qui est également une réflexion sur ses propres questionnements. Avec Conservateur des charges (1964) qui lui vaut le Prix triennal de poésie, Tordeur a donné un livre-bilan, où se concentre une pensée, s'affirme un ton et se déploie en cinq temps, qu'on pourrait appeler stations, un chemin de foi et de doute, une quête de l'espérance et de la jouissance, et le constat de la perte inéluctable, mais pleinement assumée. Chaque poème allie densité et fluidité, tout en affrontant la superficialité trompeuse du siècle, et en avouant cet affairement qui court à l'action et s'agite dans l'urgence des choses dont parle Maurice Blanchot. Un livre-repère dont les urgences se sont avérées, depuis sa parution, à maints égards visionnaires. Le journalisme a de plus en plus requis Tordeur, surtout à partir du moment où, en 1956, il est entré à la rédaction du quotidien Le Soir dont il créera, quinze ans plus tard, le service culturel en y ouvrant une page littéraire qui fera date. Dans les pages de ce journal, mais aussi sous forme de préfaces, d'études ou de discours prononcés à l'Académie, où il est élu le 9 mars 1974, à la succession de Roger Bodart, avant d'en devenir le secrétaire perpétuel de 1989 à 1995, il va disséminer une œuvre d'essayiste et de critique scrupuleux et pénétrant, soucieux de scruter au plus près les nervures des textes qu'il commente. Sa qualité d'informateur et de médiateur lui permettra aussi de se consacrer à des causes qui lui importent : le développement culturel de Bruxelles (suscitant dès 1966 la constitution d'un Quartier des arts), ce qui le fera nommer membre de la Commission des monuments et des sites, le statut international de la ville (il agira au sein de l'Union des capitales de la Communauté européenne, animera la revue Présence de Bruxelles. Il consacrera une étude au centre historique des six premières capitales du Marché commun) et mènera campagne en faveur du statut et de la protection des droits de l'artiste. Dans le cadre de son mandat de secrétaire perpétuel (1989-1995), il contribuera à inscrire clairement l'Académie dans la Communauté française de Belgique tout en prenant l'initiative d'un important programme d'éditions et d'utiles rééditions. Essentiellement axée sur la poésie, son œuvre et son action sont tout entières irriguées par elle. Les incursions qu'il fit dans la forme dramatique (les oratorios Lazare, 1949 et Europe qui t'appelles Mémoire, 1959), sa considérable activité critique consacrée, pour une part majeure, à l'analyse de la démarche d'autres poètes, mais aussi ses interventions d'homme d'idées et d'action sont marquées de ce sceau qui peut dès lors le définir sous toutes ses facettes : celui d'un méditatif combattant au nom d'une vision qui relève d'une lecture poétique du monde. Jean Tordeur est mort le 27 janvier 2010

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