Dans la célèbre famille du prix Nobel de littérature Thomas Mann, c’est du fils que nous pouvons tirer des leçons pour notre temps. Écrivain précoce et prolifique, Klaus Mann invente une manière de vivre préfigurant les sexualités queer. Avec sa soeur Erika, il incarne l’esprit de la République de Weimar.
Dès le début des années 1930, Klaus alerte sur les dangers qui menacent la fragile démocratie et l’Europe tout entière. En mars 1933, il prend le chemin de l’exil et devient, à travers ses romans, ses essais et la revue Die Sammlung, une figure de proue du combat contre le nazisme. Parmi les premiers déchus de la nationalité allemande, il mène une vie d’errance et de lutte entre le sud de la France, Amsterdam et New York, sans jamais renoncer à l’idéal d’un humanisme socialiste et européen.
Dans ce portrait biographique passionné, qui ne sépare pas les gestes des idées, Gilles Collard redonne tout son relief à un pan entier de l’histoire intellectuelle du XXᵉ siècle, qui voit dialoguer Klaus Mann et Stefan Zweig, Walter Benjamin, André Gide ou encore Hannah Arendt. Il retrace l’histoire de la « gravité désespérée » qui fut celle de Klaus Mann. Éloigné à la fois d’un héroïsme sacrificiel et de la victimisation stérile, celui-ci n’aura jamais cédé ni sur les principes universels, ni sur sa part d’ombre, opaque et singulière. C’est cette tension, tragique et lumineuse, qui fait de Klaus Mann un modèle pour les temps troublés qui sont à nouveau les nôtres.
Gilles COLLARD, Klaus. Une vie antifasciste, Climats, 2025, 382 p., 23 € / ePub : 15,99 €, ISBN : 9782080480101Les partis pris d’une couverture peuvent révéler bien des choses quant au contenu d’un livre. D’avoir préféré une photo de maturité, montrant un visage pris de face avec l’esquisse d’un sourire aux lèvres et d’une certaine sérénité, plutôt que celle montrant un ange dandy et torturé entouré d’un sfumato de cigarette ; d’avoir aussi choisi d’intituler le livre Klaus, comme si ce prénom suffisait à suggérer tacitement à sa suite le nom du père ; ces deux choix nous mettent d’emblée en présence d’un « portrait biographique ».Pas de parcours linéaire traditionnel, sagement…
Histoire d’une famille, Les Gendebien au temps des révolutions et des guerres européennes
Écrire la biographie d’un individu, avec ce qu’elle comporte de révélations, de rencontres, de richesses et d’aléas, relève déjà de la gageure ; mais s’attacher à retracer l’histoire des membres successifs d’une même famille depuis ses plus lointaines origines, quel défi ! L’ouvrage que Paul-Henry Gendebien consacre à sa lignée plaide en tout cas pour une extension des enquêtes généalogiques, qu’il s’agirait de réintégrer dans le récit national commun, et qui pourraient avoir ici pour objets les Nothomb ou les Orban… Docteur en droit, économiste, député à différents niveaux des structures de l’État, Délégué Général de la Communauté Wallonie-Bruxelles à Paris pendant huit ans, auteur d’études sur la Wallonie, l’Afrique et la Francophonie, l’homme est aussi connu pour son combat politique, lui qui fonda en 1999 le mouvement Rattachement Wallonie-France. Afin de dresser cet impressionnant « mémorial familial », Paul-Henry Gendebien a toutefois remisé sa panoplie de militant pour se faire authentiquement historien. Son désir premier est en effet de se situer dans la continuité et le legs d’un héritage tout immatériel mais sans cesse présent à la conscience de ceux qui en sont intimement porteurs. Il l’exprime sans ambages dans son avant-propos : Une communauté de destin lie entre elles un chapelet de générations dont le passé, si l’on n’y prend garde, risque tôt ou tard de se perdre, mais dont le futur doit émerger au-delà des nostalgies et en dépit des incertitudes. Ce fort sentiment d’appartenance, qui relève de l’évidence pour ceux qui ne sont saisis, exige pourtant d’être entretenu, revivifié, retrempé aux sources de la mémoire, contribuant de cette manière à la transmission morale d’une famille. Et il y en a, des anecdotes ou des hauts faits à relater, des sacrifices à saluer, des portraits à brosser, d’incessants aller-retour entre destin particulier, collectivité et Histoire majuscule, au cours des treize générations qui ont porté les Gendebien jusqu’au XXIe siècle… Aux alentours de l’an 1500, leur nom se rencontre sous différentes graphies, et ils sont alors « des artisans du métal, des maîtres de forges, des petits notables au pays de Dinant ». De là, leur essaimage gagne la Vallée de la Meuse, Mons, Bruxelles, La Haye, jusqu’à Paris. Comme une grande part de la population européenne, les Gendebien traverseront leur lot de bouleversements sociopolitiques et économiques, de catastrophes aussi. L’enfance de Bastien Gendebien, premier ascendant direct de la lignée dont la naissance se situe vers 1530, est bercée par les exactions du Téméraire et il verra, dans sa prime vingtaine, défiler dans sa cité les troupes de Henri II. Son fils Jean sera emporté en 1616, peu après son épouse Damide, par un mal qui a tout de la peste. En 1675, un autre Jean, de la quatrième génération, se résout à faire incendier sa propre maison afin qu’elle ne tombe pas dans les mains d’envahisseurs allemands…Une certaine force de résistance doublée d’un indéniable esprit d’initiative caractérise les membres successifs de la famille. Un Sébastien, dans la première moitié du XVIIe siècle, inaugurera en quelque sorte une tradition chez les Gendebien, à savoir se mêler avec pertinence et courage des affaires publiques. Il prendra en effet la direction des travaux visant à remettre en état les remparts de la citadelle de Dinant. En 1698, un autre Sébastien fera reconnaître par l’autorité française les armoiries familiales frappées aux couleurs liégeoises et dont « les armes sont d’or à un pal de gueule accosté de six flammes du même ».De chanoine sauveur de reliques en juriste épris de liberté – car au fil du temps les Gendebien serviront avec excellence le Rouge comme le Noir – nous arrivons au « moment Alexandre », qui fut l’un des principaux animateurs de la révolution de 1830. Les quelque cents pages que Paul-Henry Gendebien consacre à ce prestigieux aïeul valent à elles seules un essai de grande qualité, quasiment sécable de l’ensemble, qui non seulement montre le rôle central joué par le personnage dans les événements (notamment avec le Comité de l’Association nationale qu’il fonde pour enrayer, en mars 1831, la restauration des Nassau fomentée depuis Londres), mais qui restitue aussi le climat bouillonnant de l’époque, la violence des affrontements, la force de conviction chevillée à l’âme de cette génération de trentenaires et de quadras qui jetèrent en quelques mois les bases d’un nouvel état.Au fil des pages, l’ouvrage se mue en « beau livre », cédant le pas à un riche album photo, d’une très belle définition. Enfin, la perspective s’ouvre sur les entrelacs des frondaisons de l’arbre généalogique, avec ses apparentements. L’on y rencontre ainsi les noms du capitaine d’industrie Ernest Solvay et, pages plus intéressantes encore pour Nos Lettres, celui du postromantique Octave Pirmez, auteur de Jours de solitude , ou encore de Henry Carton de Wiart, à qui l’on devra l’œuvre qui a donné à Liège son surnom, La Cité ardente …Si la famille est bien cet agrégat organique et spirituel qui ne vit qu’en durant et en s’élargissant son espace vital, celle des Gendebien en est un spécimen de choix, elle qui s’est fondée et construite « sur le labeur permanent, sur la persévérance, sur la fidélité des vertus…