C’est avec l’ironie pour fil conducteur qu’Isabelle Moreels étudie en profondeur l’œuvre de Jean Muno dans son essai Jean Muno. La subversion souriante de l’ironie. Un choix qui semble aller de soi, tant cette liberté moqueuse, discrètement rebelle, de regard et de ton imprègne les romans, contes et nouvelles de l’écrivain qui nous a quittés trop tôt, et nous manque.Elle en repère les premières traces dans la pièce radiophonique restée inédite Un petit homme seul (1950), texte fondateur, et l’analyse de livre en livre jusqu’au dernier roman, Jeu de rôles, paru en 1988, quelques semaines après la mort de Jean Muno.Ce petit homme seul, effacé, timoré, mais qui oppose au monde une intime résistance…
Le Voyage au bout de la nuit de Céline : roman de la subversion et subversion du roman
À propos du livre À travers les différents niveaux de sens que le texte romanesque du Voyage au bout de la nuit superpose, cet ouvrage serre de près le processus d'instauration du langage célinien, de la surface des mots à la totalité de la création. Transposant la rhétorique de l'argot en un formidable discours subversif, ce langage fonde l'identité symbolique de Bardamu, le héros-narrateur, mais aussi celle de Céline dans cette Nuit de l'écriture où, entre vécu et imaginaire, durée et Histoire, désir et néant, l'écrivain triomphe des discours sociaux de son temps par l'affirmation souveraine d'un style. Mythe romanesque du voyageur de la Nuit, hallucinant de vérité désespérée et de révolte ; mythe littéraire de l'écrivainargotier dont le propos embrasse dans sa revanche verbale toute la honte, toute la souffrance du Mal contemporain : deux niveaux de cette «écriture de la parole» qui entretiennent un subtil trompe-l'oeil entre le sens et la représentation. C'est dans ce travail que résident la modernité de Céline, son art réel d'écrivain comme sa compromission authentique de sujet face à la société et à l'Histoire. Cette étude est le fruit d'une technique magistrale et…
Camille Lemonnier, Et s’il entrait dans la Pléiade ?
L’écrivain, critique, collaborateur du Carnet et les Instants , Frédéric Saenen persiste et signe. Il finissait son précédent essai, Camille Lemonnier, le « Zola belge » par ces mots : « Le tour du Maréchal des lettres n’est-il pas venu d’être le prochain Belge à entrer de plein droit dans la collection de la Pléiade, après Simenon, Michaux et Yourcenar ? » Un an plus tard, dans L’article , le mensuel des éditions Lamiroy, il propose Camille Lemonnier, Et s’il entrait dans la Pléiade ? une critique fiction d’anticipation. Nous sommes à l’automne 2029, sur le point de fêter le bicentenaire de la Belgique, la France a ratifié son adhésion à l’extrême-droite, Maurice Barrès a fait son entrée dans la Pléiade et le succès est fulgurant. À Paris, Frédéric Saenen est reçu dans les bureaux des éditions Gallimard par Céline Paridael, directrice de la Pléiade – il s’agit d’une anticipation optimiste, jamais une femme n’a encore dirigé la prestigieuse collection. Avec des racines anversoises, un patronyme sorti de La nouvelle Carthage et un grand professionnalisme, elle ne semble pas réticente à ce qu’un nouvel écrivain belge se retrouve envolumé sous la fameuse couverture de peau dorée à l’or fin, même si elle ne connaissait pas Camille Lemonnier avant la demande de rendez-vous de Frédéric Saenen (qu’elle prononce « Sénenne » ; tout comme elle dit « écoute » pour Eekhoud). Mais elle s’est renseignée, a lu partiellement Un mâle , Happe-chair , La fin des bourgeois et tient quelques avis et réserves sur le romancier. Pour les exposer, Frédéric Saenen a mis en place une disputatio pleine d’ironie, de finesse, d’enthousiasme où ses réponses à l’éditrice justifient la place de Camille Lemonnier parmi les plus grands écrivains de langue française (avec quelques incursions dans le wallon) : son incarnation de la complexité belge, son naturalisme en connexion avec « les forces de l’instinct, quasi surnaturelles » ; sa « compénétration » des tempéraments et des destinées, son lexique vertigineux, l’approche intimiste de la question sociale…Cet opuscule (environ cinq mille mots comme le prescrit la collection) est un exercice plein de vivacité, d’esprit pour donner envie de découvrir (sourire ironique) Camille Lemonnier, notamment aux professeurs de français de Belgique qui devraient le proposer en lecture à leurs élèves sans plus attendre – d’autant que la collection Espace Nord compte plusieurs de ses titres en son catalogue. Espace Nord, notre Pléiade à nous ? Michel Zumkir…