Enfant, dès que le soleil se montrait enfin, je vivais nue dans mon jardin. Parfois je portais une culotte parfois rien. Personne ne m’a jamais demandé d’aller me rhabiller. J’avais le droit d’exister.
Je jouais ainsi des étés entiers, sans qu’aucun désir ne vienne jamais se poser sur ma peau. Sans traquer le reflet le défaut. Sans chercher à préserver à séduire à cacher. Je parlais aux animaux. J’avais le droit d’exister.
À pleines dents croquer la pomme. Courir pieds nus dans les graviers sans jamais chercher à plaire à personne. J’avais le droit d’exister.
En me moquant d’être fille ou garçon. Mon corps n’était pas une question : il me servait à manger des glaces, à grimper aux arbres, avant. Avant les religions barbares. Avant les jugements et la pudeur obligatoire. Avant les exigences imposées par d’autres regards. J’ai eu le droit d’exister.
Autrice de Insatiable
Si tu ne m’offres pas de quoi oublier la fin du mondeje m’emmerde très vite Dans un long cri qui tient tant du chant que du rugissement, Gioia Kayaga ouvre sa propre peau pour mettre à nu toutes les contradictions de notre époque. Usant d’elle-même comme matière première de son expérimentation, c’est avec une sincérité à toute épreuve que la poétesse s’empare des sujets qui font grincer les dents du patriarcat bourgeois, blanc et bien-pensant. De l’imaginaire pornographique qui hante nos réflexes charnels aux traces indélébiles laissées par le colonialisme sur la langue, les corps et les esprits, le souffle de Kayaga soulève les tapis pour ne rien laisser dans l’ombre et la poussière. Secouant les absurdités consacrées qui fondent nos sociétés…