Illustrer Proust : Histoire d’un défi

RÉSUMÉ

« Illustrer Proust m’a toujours paru inconcevable. Comment éviter la représentation prédominante de ce qui n’est qu’un décor, aux dépens de ce qui constitue véritablement la matière d’À la recherche du temps perdu ? », écrivait Yan Nascimbene, illustrateur de Du côté de chez Swann. Mais il s’empressait d’ajouter : « Bien entendu il aurait été absurde de prétendre “enrichir” le texte de mes dessins ! J’espère cependant qu’ils pourront prolonger la rêverie du lecteur… »

Le brillant essai de Jan Baetens présente et discute les réponses successives données par les artistes et leurs éditeurs au désir et à la difficulté d’illustrer Marcel Proust, depuis plus d’un siècle. Il en retrace l’histoire, du premier livre de Proust, Les Plaisirs et les jours (1896), illustré par Madeleine Lemaire, un des modèles de Mme Verdurin, à la nouvelle édition d’Un amour de Swann, « ornée » par Pierre Alechinsky en 2013.

Mélangeant bibliophilie et culture de poche, éditions courantes et impressions de luxe, Pierre Faucheux et Philippe Jullian, Kees Van Dongen et André Brasilier, Maxime Dethomas et Judith Rothchild, notamment, ce livre démontre, images à l’appui, qu’il y a une logique dans la manière dont on illustre Proust. Les changements de goût en matière d’illustration, le profil personnel de chaque artiste, le contexte historique des projets éditoriaux, les rapports enfin d’une publication à l’autre déterminent largement la forme et le contenu des images qui accompagnent le texte de Proust. Cette riche iconographie esquisse un « texte dans le texte », qui aide à relire l’ensemble de la Recherche.

PRIX
  •   Grand prix de l'essai de l'Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique, 2022
À PROPOS DE L'AUTEUR
Jan Baetens

Auteur de Illustrer Proust : Histoire d’un défi

Jan Baetens est peut-être le dernier poète flamand d’expression française. Né en 1957 à Sint-Niklaas, il est professeur à la KUL, où il est responsable du master en études culturelles. Il a écrit de nombreux ouvrages d’analyse et de critique littéraire. Ses travaux portent essentiellement sur les rapports entre texte et image, notamment dans les domaines du récit photographique et de la bande dessinée. Son livre «Hergé écrivain» (Flammarion, coll. Champs) est devenu un classique du genre. Il est également l’auteur de plusieurs volumes de poésie, dans lesquels il expérimente des voies originales.
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En cette année 2022 qui célèbre le centenaire de la mort de Marcel Proust, Jan Baetens rend un hommage de biais à l’auteur d’À la recherche du temps perdu, en interrogeant cet interdit implicite qui veut qu’« [o]n n’illustre pas Proust ». L’abondance des illustrations qui forment le corpus d’étude du livre de Jan Baetens semble contredire la censure tacite mais force est de reconnaître, avec l’auteur d’Illustrer Proust, qu’il devenait urgent de se confronter à l’Histoire d’un défi, ainsi que le précise le sous-titre de l’ouvrage.Ce défi découle de deux facteurs : la place problématique de l’illustration dans le champ littéraire et le style de l’écrivain…


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Dire et (contre)faire. Jean de Boschère, imagier rebelle des

Figure quelque peu oubliée de nos lettres, Jean de Boschère (1878-1953) fut poète, romancier, essayiste, critique d’art, mais aussi dessinateur, graveur, peintre, sculpteur.Personnage singulier, solitaire, révolté, s’inscrivant en marge des courants littéraires de son temps qu’il traversa sans y adhérer vraiment, il mena longtemps une existence itinérante.Né à Uccle, vivant dès l’enfance en Flandre, il quittait la Belgique occupée en 1915 pour Londres où il se liait aux imagistes anglo-américains groupés autour d’Ezra Pound et de T.S. Eliot ; habiterait quelques années en Italie, «  le Pays du Merle bleu  » ; s’établirait en 1926 à Paris, où il côtoierait les surréalistes ; et achèverait sa route vagabonde à La Châtre, petite ville de l’Indre où il s’éteindrait en 1953. Laissant une œuvre aux accents très personnels, aux registres variés, admirée par Valéry et par Antonin Artaud, portée par la recherche d’un absolu spirituel. Dans son essai Dire et (contre)faire. Jean de Boschère, imagier rebelle des années vingt , Véronique Jago-Antoine a entrepris de «  ré-arpenter les chemins méandreux de cet univers de mots et d’images  ». Son étude très dense et approfondie, abusant parfois de termes savants, qui paraît aujourd’hui aux AML dans la collection Archives du Futur, rend toute sa place à un écrivain-plasticien complexe, difficile, tourmenté, dont l’œuvre  dès les débuts n’a cessé d’exercer une «  incommode fascination  ». Des débuts d’inspiration symboliste : les poèmes en prose Béâle-Gryne (1909), et, deux ans plus tard, Dolorine et les Ombres où il prend déjà ses distances avec la tentation de fuir dans le rêve.Suivait la trilogie des métiers, qui ravive, rajeunit une tradition ancienne. Trois petits recueils illustrés – Métiers divins (1913), 12 Occupations (1916), Le Bourg (1922) – souvent négligés, que l’auteur explore avec acuité, soulignant le dialogue textes-images ; nous faisant vivre la mue de l’écrivain, dès son exil Outre-Manche, entre le premier recueil, où percent encore les afféteries de la Décadence, et ceux qui suivront, toujours plus incisifs, dépouillés jusqu’à l’épure.Au cours du séjour londonien paraissent, en édition bilingue, deux recueils : The Closed Door (1917) et Job le Pauvre (1922), livre majeur, que Véronique Jago-Antoine scrute avec une attention passionnée. Un recueil âpre, véhément, douloureux («  Ces pages d’extrême détresse  », écrivait Jean de Boschère à un ami, et, dans sa dédicace à Robert Guiette, «  ce livre noir, sans ciel, sans oiseaux, sans fleurs ; mais malgré l’enfer ouvert, non sans espoir  »). C’est celui dans lequel il reconnaissait un accomplissement : «  J’atteignais à peu près mon but dans Job le Pauvre ». Commençant par ces deux vers intenses que Liliane Wouters citait comme la plus belle, la plus éclairante évocation de la poésie : «  Et puis, enfin, un midi et à jeun, / La pensée se fend et s’ouvre  ».L’auteur nous entraîne dans une analyse pénétrante, minutieuse, presque vertigineuse, des poèmes mais aussi des gravures, des collages qui les accompagnent et les prolongent. «  Il me semble que ce livre ne concerne pas la littérature, et qu’il est difficile à classer. On n’en parlera pas, et tout sera parfait. C’est probablement le dernier que je publierai : ce qui me reste dans l’âme ne peut pas se dire  », confiait le poète à André Suarès, un de ses amis les plus proches, avec Max Elskamp, René Daumal ou Audiberti…Véronique Jago-Antoine épingle certaines années, correspondant à des étapes. Telle 1913 où Jean de Boschère signe les proses poétiques des Métiers divins, mais aussi deux textes remarquables sur Bruegel l’Ancien, qui enthousiasmèrent Max Elskamp : «  Sais-tu, mon cher Jean, que ces pages sont, selon moi, les plus belles que tu aies écrites…  ». Ou encore 1927, quand paraît le roman largement autobiographique Marthe et l’Enragé , écho de son adolescence solitaire et rebelle en Flandre, à Lier, marquée par le sort tragique de sa sœur. Dans cette veine s’inscriront Satan l’Obscur (1933) et Véronique de Sienne . C’est également à partir de 1927 que les mots et les images, jusque là indissociables dans sa quête poétique, prennent des voies séparées. En témoigne l’absence de toute illustration lors de la réédition en 1929, dans Ulysse bâtit son lit , de The Closed Door et de Job le Pauvre .Véronique Jago-Antoine achève son étude par l’examen d’une facette méconnue de l’écrivain-artiste : ses écrits sur l’art. Des textes sur Bruegel, «  élu comme un frère d’armes  », aux monographies consacrées à Jérôme Bosch et à Léonard de Vinci.Et conclut son voyage au plus près de celui qui s’était dépeint un jour comme «  un ouvrier solitaire et fiévreux, dont les mains seules ont réponse à la vie  », par une certitude : «  Nous pouvons nous sentir loin de ses formes, parfois. Son enjeu – oserions-nous dire sa brûlure – demeure…