De toutes les lettres de l’alphabet, la lettre G contient les auteurs qui m’impressionnent le plus. Si la lettre D déborde de ses rayons avec ses gros écrivains (Dickens, Dostoïevski, Dumas), G rassemble des êtres uniques. Ils ont écrit des œuvres singulières, marquées d’une grande pureté d’âme et de style, tout en étant originales, novatrices. Genet, Gide, Gogol, Guibert. Les deux extrémités de ce quatuor me demeurent inconnues. Je connais leurs titres, je les remets quotidiennement en rayon. Je vois des connaissances, des amis qui viennent les acheter dans la librairie. Et pourtant, je n’ai pas lu une ligne de Genet, ni de Guibert. Est-ce que je veux me protéger, est-ce que je préfère laisser à ces œuvres la possibilité d’être tout ce qu’il est imaginable d’être, ne pas être fixé sur leur nature, au risque de mourir sans avoir jamais su ce qu’il en était ?
Concernant Hervé Guibert, l’article de Stéphane Maton-Vann a confirmé toutes mes appréhensions. « Que nul n’entre ici s’il n’est géomètre », disait Platon, c’est-à-dire qu’il faut accepter de pénétrer dans le monde régi par la beauté, qu’elle soit photographiée ou écrite. Une beauté qui se trouve souvent dans le lien, dans les affinités électives que Guibert a tissées toute sa vie, sachant reconnaître les âmes sœurs qui l’entourent et celles qui viennent à lui. Une beauté qui sait affronter la bassesse humaine, mais une beauté qui lie également, qui envoûte et frappe « tel un coup fatal et béni de l’histoire spiralant autour de l’harmonie faite mot ? » Le cri de Diogène face à Alexandre le Grand est un peu le mien.
« Ôte-toi de mon soleil », ce n’est pas le ressentiment à l’égard d’une personne qui nous fait de l’ombre, c’est le pressentiment de l’approche d’un être qui pourrait à jamais nous dévier de notre axe…
Illustrateur de Hervé Guibert, les ombres blanches de l'ange (L'Article n°24)